
Avez-vous déjà entendu parler de l’endométriose? Cette maladie qui touche une à deux personnes menstruées sur dix avec une errance diagnostique moyenne de sept à douze ans? Courante mais méconnue et peu prise en charge, l’endométriose impacte pourtant durablement la santé des personnes touchées et leur vie sociale.
Saviez-vous que 70% des personnes ayant de l’endométriose souffrent de douleurs chroniques invalidantes1
? Selon l’asbl Toi Mon Endo, « l’endométriose est une maladie gynécologique chronique qui peut débuter dès les premières menstruations. C’est une maladie qui dépend du fonctionnement des hormones. Sans prise en charge adaptée dès les premiers symptômes, la maladie peut évoluer et provoquer des douleurs et des troubles importants à court et long termes. Plus concrètement, les femmes ayant de l’endométriose ont des cellules semblables à de l’endomètre (muqueuse qui tapisse l’utérus) qui s’implantent en dehors de leur place habituelle dans l’utérus (migration des cellules dans le système digestif, l’appareil urinaire, etc.)»2
.
Les symptômes de l’endométriose ne se limitent pas à des règles douloureuses (qui persistent malgré la prise d’un antidouleur) ou à de l’infertilité dans certains cas. Les douleurs pelviennes chroniques (douleurs sous le nombril, membres inférieurs ou/et dos), les troubles digestifs et urinaires, la fatigue chronique accablante, les douleurs durant (ou après) les rapports sexuels sont autant de symptômes courants de la maladie. Mais on peut aussi souffrir d’endométriose sans avoir de règles douloureuses! Il existe en effet plusieurs formes d’endométriose. Enfin, il n’existe pas de traitement pour guérir la maladie, bien que des options permettent de réduire la douleur provoquée par l’endométriose.
La parole est aux femmes!
Passé les chiffres et les symptômes, quels sont les impacts de l’endométriose sur la vie quotidienne des filles, des femmes et des personnes menstruées? Cette analyse donne la parole aux premières concernées3 . Au-delà des vécus individuels, des similitudes se tracent et s’entrelacent au fil des témoignages reçus. Ceux-ci se concentrent sur les relations avec les prestataires de soins durant leur suivi médical et sur la qualité de vie amoindrie dans toutes ses facettes – vie sociale, travail, santé mentale, sexualité, etc.
Leurs récits offrent un premier aperçu des difficultés rencontrées par les personnes souffrant d’endométriose. Dès l’apparition des premiers symptômes, le corps devient un champ de bataille involontaire. Certaines personnes se reconnaissent comme des combattantes, d’autres ne veulent pas de ce statut. Dans tous les cas, toutes souhaitent qu’on leur propose un trajet de soins clair: un diagnostic efficace et une prise en charge multidisciplinaire par du personnel formé en nombre.
Errance médicale et trajet de soins chaotique
Or la majorité des témoignages indiquent largement des difficultés rencontrées avec les prestataires de soins. Le manque d’écoute est criant. En effet, les récits mettent en avant une minimisation fréquente de la douleur par le personnel soignant: «Je suis déjà passée par quatre gynécologues, dont la première m’a clairement dit que j’étais une nunuche et que je devais apprendre à mieux encaisser la douleur», lance Annie. Édith indique n’avoir eu un diagnostic d’endométriose et d’adénomyose qu’après douze ans: «En gros, j’ai passé la moitié de mon existence à souffrir tous les mois sans savoir pourquoi. À en vomir, à en tomber dans les pommes. Mais c’est “normal” il parait.» Et Erin se rappelle la phrase d’un médecin: «Il n’y a pas de traitement, il faudra vous habituer à avoir mal, Madame.»
L’endométriose est une maladie peu investiguée par la recherche, et donc moins bien connue par les médecins: «Le diagnostic a mis plus ou moins deux ou trois ans à tomber. Après avoir changé de prestataire qui ne trouvait pas pourquoi j’avais des douleurs en dehors des règles et durant les rapports, ça a été un peu le soulagement, car vous commencez à penser que vous êtes folle et que la douleur est dans votre tête. D’ailleurs, les prestataires vous le font comprendre dans ce sens-là», explique Assia. «Depuis plusieurs années, je souffre de grosses douleurs inflammatoires, j’ai consulté un tas de médecins qui n’ont pas su ce que c’était. Un jour, en ayant lu des articles sur l’endométriose, j’en ai parlé à ma gynéco et elle m’a envoyé à Erasme dans un service spécialisé», complète Charlotte.
Lorsque les spécialistes ne (re)connaissent pas suffisamment les symptômes de l’endométriose, cela induit des difficultés à proposer des examens médicaux adéquats aux patientes, laissant ces dernières dans une situation de souffrance. Certaines d’entre elles comptent donc sur leur ténacité (comme Charlotte) afin de trouver un·e prestataire de soins qui les accompagne correctement. Mais, combien de patientes ne savent pas quoi faire ni vers qui se tourner?
La méconnaissance de la maladie peut aussi amener à partager des informations erronées, comme l’expose Soline: «Opérée il y a un an, j’ai l’impression que rien n’a changé. Que malgré l’opération je me retrouve à nouveau à devoir prouver que j’ai de l’endométriose, car pour certains médecins, avoir été opérée signifie que l’on a été traitée.» L’endométriose est pourtant une maladie différente chez chaque femme et qui évolue avec elle. Le manque d’informations claires et fiables4 peut être ressenti comme une véritable violence par les patientes. Soline fait les comptes: «Prise en charge aléatoire. Opérée deux fois. Beaucoup de violence institutionnelle et psychologique. Quasi impossible d’avoir une info fiable et une prise en charge digne de ce nom.»
Il existe bien quelques spécialistes de la pathologie, mais les délais pour un rendez-vous sont souvent plus longs: «Je n’ai pas à me plaindre de ma gynéco. Le seul souci c’est qu’elle est très prise et il est parfois difficile d’avoir ses rendez-vous de contrôle tant elle est surbookée (ce n’est parfois la faute de personne, mais avoir des mois de retard pour son rendez-vous annuel rajoute du stress)», explique Perrine.
Une qualité de vie impactée
De nombreux témoignages soulignent une qualité de vie amoindrie avant et après avoir été diagnostiquée. Chaque aspect de la vie quotidienne (vie sociale, travail, etc.) est intimement relié aux autres. Les femmes souffrant d’endométriose sont souvent seules à «gérer» cette maladie chronique en fonction des ressources dont elles disposent. Leur santé mentale, physique, sexuelle et reproductive est ainsi mise à rude épreuve.
Cette situation impacte durablement leur vie sociale: «Les douleurs sont compliquées à gérer, la fatigue lors des périodes de crise est aussi difficile. Les crises ne se prévoient pas et on se retrouve souvent dans l’obligation d’annuler notre planning», témoigne Katarina. «Je reste donc sans certaines réponses à mes questions et avec la peur d’une crise qui peut surgir n’importe quand, m’empêchant de vivre normalement et de me rendre sur mon lieu de travail ou à autres rendez-vous», confie Yoke.
Ainsi, l’endométriose rend parfois difficile le maintien du lien social avec les proches (annulation au dernier moment, absence à certains évènements clés, etc.). L’entourage peut aussi avoir du mal à appréhender les conséquences d’une telle pathologie au quotidien. Enfin, il existe encore des tabous autour des menstruations5 et des douleurs ressenties par les femmes: «C’est normal d’avoir mal pendant ses règles», «Tu enfanteras dans la douleur», «Il faut souffrir pour être belle», «Ne fais pas ta fillette!» sont des expressions encore couramment entendues.
La santé mentale elle aussi dégradée
«Cette maladie est tellement dure physiquement et psychologiquement! Dix ans d’errance médicale!», «Ce n’est peut-être pas un cancer, mais c’est une maladie qui nous tue psychologiquement et physiquement!», déplorent Soline et Christelle. La charge mentale qu’engrange un trajet de soins complexe, mêlé à une gestion de la douleur difficile (d’autant plus lorsque celle-ci n’est pas reconnue par l’entourage ou par les acteurs et actrices en santé), un mélange de culpabilité et d’isolement (liés notamment aux activités sociales manquées) peut expliquer en partie cette santé mentale dégradée.
Pour certaines femmes, une solitude subie6 peut s’installer durablement, due à «l’incompréhension du personnel de santé qui ne connait pas la maladie et à des gens qui n’y comprennent rien!», explique Christelle. Pour sa part, Alice conclut: «Tout ce temps, et encore maintenant, j’ai besoin de parler de cette maladie, des questions qui me viennent, mais je ne trouve pas de groupe de parole».
Une vie de couple perturbée
Certaines femmes se sont confiées sur leur sexualité et l’abordent sous le prisme de leur vie de couple. Annie explique: «Ma vie est un enfer, ma sexualité l’est d’autant plus. La souffrance qui est la mienne m’empêche d’avoir des relations sans douleur avec mon compagnon, ce qui fait que j’évite cela au possible. J’ai déjà perdu un amoureux à cause de cela». Perrine ajoute: «Je n’ai aucune libido. Pour moi, difficile de démêler ce qui est dû à l’endo ou à autre chose. Mon compagnon me met zéro pression, mais la culpabilité est là.» Dans ce contexte, la recherche du plaisir féminin est aussi moins satisfaisante. Néanmoins, (re)trouver une sexualité épanouissante est possible. Des consultations en sexologie peuvent favoriser un espace de parole serein tout en partageant des outils aux femmes et aux couples concernés.
Par ailleurs, moins de la moitié des femmes avec de l’endométriose (30 à 40%) présentent un trouble de fertilité7 . Pour rappel, l’infertilité est la difficulté à concevoir un enfant (mais cela reste possible) contrairement à la stérilité (définitivement impossible). Différentes réactions existent autour de l’infertilité. Certaines femmes ne souhaitent pas devenir mères: «Je ne veux pas d’enfants, donc les éventuelles répercussions sur ma fécondité ne me préoccupent pas outre mesure. Au final, je vis assez bien avec», confie Erin.
Pour d’autres femmes, le non-désir d’enfant est corrélé directement à la maladie: «J’ai tellement mal que j’ai su dès l’âge de 16 ans que je ne porterais pas d’enfant. Jamais. La douleur m’a fait comprendre que je ne voulais plus subir aucun traumatisme à ce niveau-là. Ce qui est difficile pour des hommes de se projeter dans un futur avec moi.»
Le projet de parentalité peut aussi se décider au sein du couple, comme pour Assia: «En gros, j’ai un peu laissé tomber après discussion avec mon compagnon, on se laisse du temps. Car cela crée des tensions dans le couple et malheureusement, à cause de la maladie, la relation peut en être brisée.» Certaines femmes avec de l’endométriose développent un projet d’enfant: «J’ai de l’endo sur la trompe gauche, on l’enlève en juin 2022, ménopausée pour trois mois, et puis maintenant, je suis enceinte», retrace Claire.
Le recours à la procréation médicalement assistée (PMA) est parfois nécessaire pour concrétiser le projet de parentalité. Dans le cas de l’endométriose, c’est alors un trajet de soins supplémentaire qui se greffe aux précédents suivis: parcours endo classique, rendez-vous avez des spécialistes divers (kinésithérapeute, diététicien·ne, etc.), tests d’alternatives, suivi psychologique…
Et au travail?
Le bien-être au travail dépend fortement de la reconnaissance de la maladie et du sentiment de soutien par l’employeur ou l’employeuse: «Vie professionnelle plus que compliquée. J’ai de la chance que mes cheffes me comprennent, mais toujours dans l’inquiétude que mes incapacités soient mal vues et comprises», témoigne Katarina. «Je me suis déjà fait opérer cinq fois et on m’a refusé un mi-temps médical. Le médecin-conseil m’a dit que ce n’était pas une maladie valable… Donc, on fait avec les médicaments pour tenir au travail quand ça ne va pas», regrette Christine.
Annie souligne: «Le pire, c’est de devoir gérer les nausées, les céphalées violentes (et je passe le reste des symptômes) lorsque je suis au travail. Cacher la douleur est plus difficile que de la laisser s’exprimer.» Et Leila d’affirmer: «Je n’ai pas envie d’en parler au travail, je ne pense pas, de toute façon, pouvoir être soutenue dans ma maladie…» Finalement, Sacha déclare: «J’ai été licenciée, car j’étais souvent opérée et donc absente, et quand je recherche un emploi, je ne suis pas engagée à cause de cette maladie.» Comment développer des conditions de travail ou un maintien à l’emploi satisfaisants lorsque l’endométriose n’est même pas reconnue?
Ces témoignages démontrent que l’endométriose ne se limite pas à des obstacles individuels dans le parcours de soins. Les impacts durables de la maladie, encore sous-estimés, découlent directement de la façon dont la société (santé, travail, etc.) la reconnaît ou non, comme tant d'autres pathologies… Il est donc primordial d’agir à toutes les échelles, tous secteurs confondus! L’association Soralia a coconstruit avec des femmes ayant de l’endométriose un carnet de recommandations8 à destination de différents secteurs, dont le monde politique. Selon la dernière déclaration politique fédérale, un plan d’action pour l’endométriose pourrait être mis en œuvre dans le courant de l’année 20259 . À suivre…
- 1Toi Mon Endo, «Les symptômes», https://tinyurl.com/36w35yje.
- 2Toi Mon Endo, «L’endométriose», https://tinyurl.com/4y96vj2j
- 3À partir d’une démarche qualitative exploratoire, Soralia a lancé une enquête en ligne en 2023 afin que les personnes concernées puissent raconter leur vécu et exprimer leurs besoins.
- 4Pour plus d’infos, voir : Service Public Fédéral Santé publique, Loi «Droits du patient», Brochure en ligne, http://tinyurl.com/5n6vwdnx
- 5Voir les planches de BD et la campagne 2022 de Sofélia «Sang rougir!»: http://tinyurl.com/2bms4trz
- 6La solitude subie est différente de la solitude choisie. La première n’est ni volontaire ni souhaitée et généralement mal vécue par la personne, contrairement à la solitude choisie.
- 7EndoFrance, «Infertilité et endométriose», https://tinyurl.com/bp72crxd
- 8D’ORTENZIO Anissa. Endométriose, changeons les choses!, Soralia, 2024: https://tinyurl.com/3mzp9nwx
- 9LEURQUIN Anne-Sophie. «Soins et inégalités de genre: les avancées de l’Arizona en trompe-l’œil», Le Soir, 7 février 2025: https://tinyurl.com/2eatcxjn

Article rédigé à partir de l’analyse approfondie d’Anissa D’Ortenzio Endométriose: entre récits de vie et enjeux sociétaux. La parole est aux femmes!, Soralia, 2023.
Analyse disponible dans son intégralité sur https://www.soralia.be/wp-content/uploads/2023/12/Analyse2023-endometri…