«Deux heures de philosophie et citoyenneté, c’est un minimum!»
Jeudi 12 octobre 2023
Benoit Van der Meerschen est Secrétaire général du Centre d’Action Laïque (CAL). Observateur attentif de la mise en place du cours de CPC, il se montre optimiste quant au passage à deux heures obligatoires dans l’enseignement officiel, selon lui indispensables à la formation citoyenne des élèves.
Éduquer: La législature arrive tout doucement à son terme. A-t-on avancé sur le dossier du CPC?
Benoit Van Der Meerschen: Oui et non. À la suite de l’arrêt fondamental de la Cour constitutionnelle de 2015, tous les élèves du primaire et du secondaire de l’enseignement officiel ont obligatoirement une heure de cours de philosophie et de citoyenneté. Cela concerne les élèves qui fréquentent les cours dans l’enseignement communal, provincial et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le choix de la deuxième heure hebdomadaire est donc laissé à l’appréciation des élèves et de leurs parents: soit une deuxième heure de philosophie et de citoyenneté, soit une heure des actuels cours de religion et de morale.
Dans les faits, cette situation n’a pas changé. Mais il faut aussi souligner que le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a avancé sur la question. Ainsi, à la suite d’auditions organisées à huis clos au sein du groupe de travail chargé de se pencher sur la question, les parlementaires ont voté une proposition de résolution émettant diverses recommandations adressées au Gouvernement afin d’étendre l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté à deux heures, en veillant à une soutenabilité du cadre humain, budgétaire, statutaire et organisationnel de la réforme.
Éduquer: Mais actuellement, ça n’avance plus trop…
B.VDM.: En effet, suite à cette résolution, différents scénarios ont été discutés au sein du Gouvernement. Pour des raisons de cohérence, de budget et d’organisation, le scénario le plus logique est celui qui déplace l’heure optionnelle de religion ou de morale en dehors de la grille horaire. Cette option permettrait de créer un cours de deux heures de philosophie et citoyenneté, tout en respectant le prescrit constitutionnel d’une offre d’éducation religieuse. Mais changer les habitudes nécessite du temps. La ministre de l’Enseignement a d’ailleurs récemment confirmé que le dossier n’avancerait plus sous cette législature, mais que tout est dessiné pour la suivante. A cette fin, il est utile de tordre le cou à la désinformation pour rassurer les parents: il n’a jamais été question de supprimer les cours de religion. Ce serait d’ailleurs anticonstitutionnel. Le principe est juste de déplacer l’offre. Par ailleurs, c’est une offre d’éducation religieuse qui est exigée par la Constitution, et non une offre de cours stricto sensu…
«Fournir à tous les élèves les outils pour développer leur esprit critique, leur questionnement philosophique et leur citoyenneté est une nécessité pour eux mais aussi pour notre démocratie.»
Éduquer: Peut-on rester positifs?
B.VDM.: Evidemment! La volonté du Parlement aurait d’ailleurs sans doute été rencontrée sans les deux années de crise sanitaire qui ont mobilisé l’enseignement sur l’ouverture des écoles. Mais surtout, face aux enjeux fondamentaux de la défiance démocratique, de la montée de l’extrême droite, du réchauffement climatique, de l’intelligence artificielle ou encore des violences sexistes, fournir à tous les élèves les outils pour développer leur esprit critique, leur questionnement philosophique et leur citoyenneté est une nécessité pour eux mais aussi pour notre démocratie.
La lutte contre les théories de post-vérité exige de traiter les informations avec un regard critique et de pratiquer la décentration, c’est-à-dire la mise en perspective et l’interrogation de nos certitudes. Ces savoir-faire ne sont pas innés. Ils doivent être appris, confrontés, mis en pratique, exercés, et le cours de philosophie et citoyenneté est le seul endroit qui garantit à tous les enfants francophones de bénéficier de manière équitable de cet apprentissage. A cet égard, deux heures de philosophie et citoyenneté, c’est un minimum! Réunir les élèves dans une même classe pour faire face à ces enjeux, quelle que soit leur confession, va dans le sens de l’histoire. Rappelons que l’enseignement est notre dernier service public qui sépare les enfants sur base de leurs convictions religieuses, ou celles de leurs parents.
Éduquer: Rendez-vous lors de la prochaine législature?
B.VDM.: On l’espère. Il faut rappeler que ce dossier est le fruit d’un long processus démocratique, notamment parlementaire, qui porte en lui tous les éléments à même de trouver un équilibre entre les aspects juridiques, organisationnels, budgétaires, politiques et philosophiques. Le statu quo est d’ailleurs intenable, tant pour les élèves que pour les professeur·es et l’ensemble des directions d’école, et ne permet pas d’atteindre les objectifs du cours de philosophie et citoyenneté.
Comme en 3ematernelle, où l’heure de religion est accessible sur demande, il est désormais temps que les élèves de l’enseignement public en Fédération Wallonie-Bruxelles bénéficient de vrais outils pour développer ensemble leur citoyenneté et s’ancrer ensemble dans la société de demain, quelles que soient leurs convictions. Refuser de leur ouvrir cette voie démontrerait que les velléités communautaires ou religieuses l’emportent sur le bien-être et la formation citoyenne de nos élèves dans l’enseignement public, sur les conditions d’organisation des écoles, sur les conditions de travail des professeurs de CPC et sur le processus démocratique.