Pisa 2022: ce que le Covid démasque

Jeudi 18 janvier 2024

PISA
Timothé Fillon, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Tous les trois ans, les enquêtes PISA évaluent les compétences des élèves à l’échelle mondiale. Si les conséquences de la crise sanitaire sont lisibles dans ce huitième volet, que révèlent plus généralement ces évaluations de la situation de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles?  

Le diagnostic du huitième cycle des enquêtes PISA établit une baisse importante des résultats de l’ensemble des pays de l’OCDE en mathématiques (-17 points), un affaiblissement plutôt relatif en lecture (-11 points) et marginal en sciences (-4 points)1 . Organisées tous les trois ans, les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) ont pour objectif de fournir des indications sur l’efficacité, l’efficience et l’équité des systèmes éducatifs, afin d’établir des points de comparaison internationaux.

Une année extraordinaire

À l’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les enquêtes PISA 2022 ont examiné les performances de plus de 700.000 jeunes issus de 81 pays: 37 pays membres de l’OCDE et 44 pays partenaires. Dans le cadre de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), l’étude a interrogé 2913 élèves issus de 103 établissements, sectionnés de façon à garantir une proportionnalité entre les réseaux et les filières. Une des particularités méthodologiques de ces enquêtes est qu'elles interrogent les élèves en se focalisant sur leur âge plutôt que sur leur niveau scolaire. L'âge retenu est de 15 ans, âge auquel les jeunes tendent, à l’échelle internationale, à prendre leurs premières décisions d'orientation professionnelle.
Depuis l’instauration de la première étude PISA en 2000, la version 2022 est une année extraordinaire, marquée par les impacts de la pandémie. Préalablement prévue pour 2021, l’enquête triennale a dû être reportée d’une année, en raison des fermetures d’écoles et du passage à l’enseignement à distance qui ont chamboulé la scolarité de plus d’un milliard d’élèves à travers le monde. Selon l’UNESCO, les effets de la pandémie se chiffrent pour la FWB à 9 semaines de fermeture totale et 18 semaines de fermeture partielle entre février 2020 et novembre 20212 . Des conséquences directement tangibles dans les résultats moyens de l’ensemble des pays participant aux enquêtes, où l’on constate une baisse des performances généralisée.
Les élèves de l’OCDE auraient ainsi perdu l’équivalent de trois quarts d’une année en mathématiques et d’une demi-année en lecture3 . L'ampleur des retards, particulièrement prononcés en mathématiques par rapport à la lecture, peut être interprétée à la lumière des périodes de confinement. Chaque matière nécessite sa propre méthodologie et temporalité, elles sont donc affectées différemment par la suspension des cours. La lecture, en tant que compétence qui s'acquiert sur le long terme, semble moins impactée, tandis que la compréhension des mathématiques implique l'accumulation de connaissances spécifiques et se trouve davantage affectée par la suspension des cours.  

Une baisse considérable en mathématiques

L’évaluation PISA 2022 a placé l’accent sur la culture mathématique, et les prestations dans cette matière n'ont jamais été aussi faibles depuis la mise en place des épreuves internationales. Les enquêtes PISA examinent la culture mathématique, c’est-à-dire son utilisation concrète dans la résolution de problèmes à partir de données précises, et non les connaissances mathématiques. À titre d’exemple, les élèves sont interrogés sur la vitesse moyenne d’une cycliste, sur l’analyse de résultats d’un championnat sportif et non sur des questions théoriques. Selon un groupe d’experts réunissant des inspecteurs en mathématiques et des conseillers pédagogiques: «80% des questions […] relevaient de contenus travaillés principalement au premier degré de l’enseignement secondaire (ou parfois même dans le primaire).» 4 De 2018 à 2022, la moyenne des pays de l'OCDE a chuté drastiquement. Cette diminution est similaire à celle observée au niveau de la FWB, où les résultats en mathématiques atteignent 474 points, enregistrant un recul de 21 points. Plus précisément, en se fiant à l’étude détaillée de l’Université de Liège, les jeunes de la FWB se positionnent à un niveau semblable de ceux de l'OCDE concernant la qualité de leur raisonnement. Ils ont des facilités à interpréter et à évaluer des résultats mathématiques contextualisés, tandis qu'ils montrent une compétence légèrement moindre dans l'utilisation de techniques mathématiques, alors que la formulation d'énoncés mathématiques représente un léger défi pour les élèves francophones. Les performances en mathématiques en FWB sont ainsi comparables à celles de pays comme l'Allemagne ou la France. Les pays de l’ODCÉ obtenant les meilleures performances en mathématiques sont le Japon, la Corée et l’Estonie, tandis que le podium hors OCDE se compose de Singapour, Macao et Taïwan.

Politique de redoublement

Les enquêtes PISA révèlent également du positif: en FWB, elles constatent une amélioration dans la proportion des élèves qualifiés d’«à l’heure», passant de 58,9% en 2018 à 66,8% pour 2022. Un pourcentage qui reste largement en dessous de la moyenne de l’OCDE, s’élevant à 90,6% pour 2022. Ce score peut notamment s’expliquer par la pratique belge du redoublement et de l’orientation précoce vers des filières professionnalisantes qui s’apparentent parfois à des filières de relégation. Cette amélioration des chiffres de la FWB trouve son origine d’une part dans la volonté politique d’une diminution du taux de redoublement – au cœur du Pacte pour un Enseignement d’excellence – et de l’autre, de l’effet de clémence des conseils de classe pendant la crise sanitaire. Selon la ministre Caroline Désir, il s’agissait alors «de ne pas accentuer la pression que nos jeunes subissent déjà étant donné le contexte de crise sanitaire»5 .

Une des répercussions du mécanisme de relégation pourrait s’exprimer par une perception déterministe de l’intellect. En effet, la FWB est le pays de l’OCDE où les jeunes appréhendent le plus l’intelligence comme une donnée innée et immuable. Près de 80% d’entre eux répondaient par l’affirmative à la proposition: «certaines personnes ne sont tout simplement pas douées en maths, même en étudiant beaucoup». Selon l’étude de l’Université de Liège, cette perception entraine des effets concrets: «le fait d’être dans l’enseignement qualifiant est lié à des conceptions encore plus fixistes de l’intelligence»6 .
Cette conception essentialiste de l’intelligence est partagée par certains enseignant·es belges répondant à l’enquête Le niveau baisse?, publiée en octobre 2023 par l’Appel pour une école démocratique (Aped). Quand 14% «estiment qu’un déficit de capacités intellectuelles serait une cause fréquente de difficultés scolaires», 40% «pensent que cela arrive parfois». En revanche, 43% de ces professeur·es interrogé·es estiment que ce n’est jamais ou rarement là qu’il faut chercher l’origine des faiblesses. A travers les résultats de PISA, il s’avère que les pays ayant adopté une conception dynamique et évolutive de l’intelligence obtiennent de meilleurs résultats.

Les inégalités scolaires en augmentation

Les enquêtes PISA sont également un outil efficace pour étayer statistiquement les inégalités sociales présentes dans l’enseignement de la FWB. Ainsi, si l’on oppose les 25% d’élèves les plus favorisés aux 25% d’élèves les moins favorisés, on obtient un écart de 118 points en mathématiques, 133 points en lecture et 127 points en sciences. Les acquis d’une année scolaire correspondraient, selon l’ODCÉ, à environ 30 points. Pour mettre ces points en perspective, si l’on se réfère à l’étude des résultats de l’Université de Liège qu’elle recommande de considérer avec précaution: en mathématiques, «l’écart en fonction de l’origine socioéconomique serait de l’ordre de quatre années de scolarité». Cet écart place la Belgique en troisième position du podium des inégalités scolaires, après la Hongrie et la Slovaquie!

Ces inégalités sont en augmentation depuis l’enquête PISA 2018, notamment en raison des cours en distanciel. Cette méthode d'enseignement accentue les disparités liées aux nombreuses fractures numériques, que ce soit en termes d'équipements informatiques, de compétences numériques ou d'utilisation davantage récréative que pédagogique des outils. De plus, les inégalités socioéconomiques contribuent à amplifier ces écarts, les familles les plus aisées étant généralement mieux en mesure d'assister leurs enfants dans le cadre des cours virtuels. Les chiffres reflètent ces inégalités, avec 57% des élèves en FWB indiquant un manque de motivation, contre 11% qui signalent une absence d'accès à un appareil nécessaire pour suivre les cours en ligne. Par ailleurs, 64% des élèves de la FWB estiment avoir pris du retard. Ces inégalités se manifestent également dans la différence entre les genres, les garçons obtenant 9 points de plus dans les résultats des épreuves mathématiques. Cette disparité est observée dans la quasi-totalité des pays de l'OCDE. Des écarts significatifs sont encore à souligner entre les élèves natifs et les élèves immigrés, atteignant 49 points.

La perception des élèves

La période examinée, marquée par la perturbation due à la pandémie et à l'adoption des cours hybrides, se reflète dans une perception légèrement plus critique des enseignant·es de mathématiques par les élèves, par rapport aux enquêtes précédentes. Si 71% des jeunes affirment que «le professeur aide les élèves à apprendre», ils étaient encore 79% à le penser en 2012. Cette diminution de l’appréciation du corps enseignant s’accompagne d’une baisse de la perception de l’ambiance de la classe de mathématiques, où un tiers à la moitié des élèves se plaignent d’être distraits.

Parmi les 1500 professionnel·les de l’enseignement interrogés par l’Aped, 72% allaient dans le même sens que les résultats du PISA 2022, s’estimant d’accord avec l’affirmation d’une baisse de niveau de l’éducation. Alors qu’un élève sur trois serait en difficulté7 , 54% des enquêtés expliquent cet étiolement par un nombre d’élèves trop élevés par classe, une réalité qui ne semble pas en réelle augmentation depuis les années 2000, époque du début des enquêtes PISA. Les jeux vidéo et les réseaux sociaux seraient souvent une cause, selon 47% du personnel de l’enseignement. Ce que confirment les élèves interrogés par PISA 2022, où en classe de mathématiques, 31% rapportent être distraits par leur propre smartphone ou celui des autres.

Ce que PISA ne calcule pas

Si les enquêtes PISA ont la vertu d’interroger les performances des systèmes pédagogiques de différents pays, il faut réfléchir à ce qu’elles considèrent comme les performances et ce qui n’en fait pas partie. En effet, elles condensent la pluralité des conceptions d’un bon système pédagogique à son efficacité interne à court terme, uniformisée par l’étau de l’utilité. L'OCDE qui les finance occupe une position centrale dans la tendance à la mondialisation des politiques éducatives, adoptant une orientation néolibérale basée sur les principes de l'économie du savoir. Selon cette approche, les performances des élèves sont perçues comme un moyen pertinent de mesurer les compétences futures de la main-d'œuvre d'un pays, et donc comme l'indicateur principal du potentiel de développement économique de celui-ci.
Selon la sociologue Marie Duru-Bellat, «ces enquêtes permettent de rechercher des corrélations entre les performances enregistrées dans les pays d’une part, et de l’autre certaines caractéristiques des systèmes éducatifs et certaines réformes, même si chacun sait qu’une corrélation est insuffisante pour établir des relations causales»8 . Les recommandations provenant de PISA épinglent les conséquences statistiques de différents systèmes pédagogiques, sans se référer aux contextes socioéconomiques qui les sous-tendent: «au-delà des facteurs strictement scolaires, ce sont les modalités de la stratification sociale et du fonctionnement du marché du travail qui sont également en jeu». D’autres critiques soulignent également son étroite concentration sur les compétences de base, craignant que cette approche ne néglige d’autres aspects cruciaux de l’éducation. De plus, la standardisation des tests suscite des inquiétudes quant à l'éventuelle uniformisation des pratiques pédagogiques au détriment de la diversité éducative.
En FWB, le Pacte pour un Enseignement d’excellence a été élaboré en réponse à certaines réalités mises en lumière par les enquêtes PISA. Le déploiement progressif du tronc commun, au cœur de cette réforme, est en cours. Le tronc commun renforcé est entré en application en 1re et 2e primaire à la rentrée 2022-2023 en FWB. Il sera d’application en 3e et 4e primaire pour la rentrée 2023-2024 et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il atteigne la fin de la troisième secondaire (en 2028-2029). Pour observer ces impacts sur l’enseignement, rendez-vous au PISA 2028.

 

  • 1Les chiffres cités dans cet article sont issus des Résultats du PISA 2022 (Volume I) de l’OCDÉ et de l’étude consacrée par l’Université de Liège: BAYE A., BRICTEUX S., CRÉPIN F., DEMONTY I., HINDRYCKX G., MATOUL A., QUITTRE V. «Résultats de PISA 2022 en Fédération Wallonie-Bruxelles» in Les cahiers des Sciences de l’Éducation n°46, décembre 2023.
  • 2https://webarchive.unesco.org/web/20220625033513/https://en.unesco.org/…
  • 3Résultats de PISA 2022 en Fédération Wallonie-Bruxelles, Université de Liège
  • 4Ibid.
  • 5https://www.rtbf.be/article/evaluation-des-eleves-caroline-desir-demand…
  • 6Résultats de PISA 2022 en Fédération Wallonie-Bruxelles, Université de Liège.
  • 7HIRTT N., MOTTINT O., DELABIE T. Le niveau baisse? L’enquête. Appel pour une école démocratique, octobre 2023.
  • 8DURU-BELLAT M. «Évaluations, mesures ou classements? Á propos des enquêtes PISA», Revue française de linguistique appliquée, XXIV, 7-19,2019.

fév 2024

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