Dernière chronique (inter)culturelle avant la prochaine / La poétique rencontre
Jeudi 6 février 2020
Parmi les événements récents remarquables de ma vie de formatrice, il y eut la visite de la Fondation Maurice Carême à Bruxelles.
On avait rendez-vous à 10h, un matin. À 9h55, une vieille femme nous ouvre la porte, nous signale qu’il est «moins 5» et nous ferme la porte au nez… Le ton est donné. Premières sueurs froides pour moi: «pourvu que ça ne dérape pas…». Lorsque la porte s’ouvre une seconde fois, une série d’injonctions se succèdent: bien essuyer ses pieds, retirer sa veste, laisser son sac et son téléphone au vestiaire - «ce maudit téléphone qui pourrit tant notre époque!» nous précise-t-elle. Sad, un jeune Casablancais, rétorque avec un accent bien marqué «T’as raison Madame, quand c’est pas l’heure, c’est pas l’heure!». Ouf, l’ambiance se détend. On s’entasse dans le salon de l’auteur, la dame commence l’histoire du moindre petit objet, les portraits de Carême aux murs sont tous signés. Notre guide entame un monologue de souvenirs et d’anecdotes qui durera deux heures - elle parle autant de cougnous que de djihadistes, m’infligeant à plusieurs reprises quelques frayeurs quant à la poursuite cordiale de l’échange. En effet, si beaucoup, à l’instar des festivals de musique du monde, associent «l’interculturel» à des valeurs telles que la tolérance et la bienveillance, le risque de polémiques existe. Il naît généralement de mésententes sur la religion, la politique ou les habitudes culturelles… un peu comme dans les soupers de réveillon! Mais - Oh joie! Oh étonnement! - le groupe boit ses paroles, interrompant parfois la dame pour mieux comprendre un terme. Lorsque la révélation de son identité intervient, je les vois pontois. La toute petite femme de 94 ans vient se coller sous mon nez en articulant tout bas «J’étais l’illégitime!». Ils me regardent, je les regarde. «Tu étais son amie Madame?». Oui, voilà, une bonne amie… qui a «côtoyé» le poète pendant 35 ans et qui travaille toujours à la préservation de son œuvre depuis sa mort, en 1978. Le travail abattu est titanesque: elle retrouve, classifie, range les moindres allusions relatives de près ou de loin à l’auteur, de manière chronologique, alphabétique ou géographique. «Toute ma vie, je me suis contentée d’un quart d’heure de sommeil de temps en temps! Mais là, il me faut quand même quelques heures». Au terme de la visite, certain·e·s participant·e·s s’offrent un recueil. Et nous saluons notre hôte, satisfait·e·s d’avoir rencontré la muse du poète, d’avoir pu vivre un instant aux côtés de Maurice Carême.
Pamela Cecchi, formatrice au secteur interculturel de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente
Illustration: Pauline Laurent