Compétences contemporaines… Et si tout avait changé?

Lundi 9 mars 2020

Les compétences d’hier ne sont pas celle d’aujourd’hui, tout comme les compétences d’aujourd’hui ne sont pas celles de demain. Les savoir-faire évoluent, les compétences ne sont plus les mêmes. Dès lors, pourquoi l’ancrage dans les savoirs académiques reste toujours de mise dans une société où la technologie influence de plus en plus les compétences techniques et les métiers?

Les changements économiques, sociaux, politiques et mondiaux influencent les métiers et les compétences à acquérir. Dans ce système, l’école, les universités (Hautes Écoles comprises) et tout autre programme d’apprentissage, doivent intégrer les besoins de notre époque. En tant que préparateurs à la vie active; ils remplissent une mission fondamentale auprès des jeunes: les pousser à développer des capacités et compétences leur permettant de choisir une voie professionnelle épanouissante et qui réponde, dans la mesure du possible, aux demandes du secteur de l’emploi. Or, l’écart entre les compétences acquises par les jeunes à l’école et celles dont ils ont besoin sur le terrain de l’emploi se creuse de manière dramatique. Selon le rapport du Forum économique mondial New Vision for Education de 2016[1], «l’apprentissage traditionnel ne permet plus aux élèves d’acquérir les connaissances dont ils ont besoin pour s’épanouir professionnellement et de réussir dans l’économie numérique en constante évolution.»[2] Dès lors, les diplômes ne suffisent plus aux jeunes pour avoir un travail satisfaisant! Par ailleurs, même si les connaissances académiques restent toujours de mises dans la recherche d’emploi, les recruteurs observent et scrutent plus que jamais la personnalité et les capacités d’innovation des postulant·e·s. Avoir un diplôme universitaire n’est donc plus le sésame de la réussite professionnelle. Où est-ce que le bât blesse? Comment en est-on arrivé là?

Un modèle scolaire désuet

L’école contemporaine est ancrée dans une vision des savoirs et des besoins sociaux élaborée à la fin du XIXe siècle et qui se base sur un système pyramidal favorisant la réussite individuelle et la compétition entre élèves. Comme le souligne François Taddéi[3], le modèle scolaire classique tend à privilégier le travail individuel au collectif, «réussir, ça n’est pas seulement apprendre des choses ou surmonter des difficultés, c’est être classé parmi les premiers, car c’est ainsi qu’on accède aux écoles d’élite»[4]. Ce modèle compétitif est aujourd’hui obsolète et de moins en moins en adéquation avec le monde du travail pour deux raisons. Tout d’abord il ne permet pas de mettre en perspective les divers talents et intelligences multiples des élèves. Ensuite, il ne répond plus aux demandes du secteur de l’emploi.

Un monde en mutation

L’avenir semble incertain et imprévisible… Dans le rapport «Le futur de l’éducation et des compétences, Le monde de l’emploi de demain»[5], Andreas Schleicher, de la Direction de l’éducation et des compétences de l’OCDE, alerte: dans un avenir proche, l’homme devra faire face à diverses crises qui mettront à mal les modèles individualistes de l’éducation et de l’emploi. On peut anticiper trois grands types de défis futurs pour l’humain: - environnemental: face à la pression environne mentale (réchauffement climatique, épuisement des ressources naturelles), nous devrons évoluer vers une démarche de production plus durable et éco-responsable tant pour les entreprises que pour les particuliers. Le durable va impacter directement la mobilité, l’alimentation, la santé, le logement et l’emploi. Face à cette urgence climatique, la dualisation de la société sera plus nette: soit plus individualisée soit plus responsable; - économique: à l’avenir, les crises financières et l’implémentation croissante du numérique et de l’intelligence artificielle vont fortement impacter le secteur de l’emploi. L’augmentation du prix des ressources sera conjointe à une diminution des ressources et donc une augmentation de la concurrence. La production de proximité sera également de mise dans une démarche éco-responsable; - social: face à l’évolution mondiale, la croissance démographique et les effets du dérèglement climatique, nous devrons nous attendre à vivre des grandes vagues de migration, un accroissement de la population, une augmentation des inégalités, des conflits, guerres, etc. Ces défis vont mettre à mal les emplois et les statuts des individus au sein de la collectivité. L’individu devra faire face à des parcours diversifiés auxquels il devra s’adapter. Lors de ces crises, l’inventivité et la résilience de l’homme seront fortement sollicitées. Toujours selon l’OCDE, «Pour tracer leur chemin au milieu de tant d’incertitudes, les élèves devront faire preuve de curiosité, d’imagination, de résilience et d’autodiscipline; ils devront respecter et évaluer les idées, les points de vue et les valeurs d’autres personnes, et ils devront surmonter l’échec et le rejet et affronter l’adversité.»[6]

Une question, pourtant, ne peut plus être éludée: de quels savoirs nos jeunes doivent-ils disposer pour comprendre le monde dans lequel ils vivent, mais aussi se comprendre eux-mêmes dans ce monde? André Giordan

La digitalisation de l’économie et des métiers

Alors que la technologie évolue à vitesse grand V, réciter des fables ou mémoriser des théorèmes mathématiques n’auront, vraisemblablement, plus un grand intérêt face aux tâches accomplies par les machines de demain. Selon le rapport élaboré dans le cadre du Plan Marshall 4.0, «Compétences pour le futur - Synthèse transversale des rapports d’analyse des besoins en formation par domaine d’activités stratégiques en Wallonie», l’évolution du numérique va durablement impacter l’avenir des métiers et des compétences. En effet, selon les analystes, la digitalisation de l’économie va être croissante et évoluera encore au cours des prochaines décennies: la numérisation continuera de proposer de nouvelles interfaces interdépendantes et interconnectées entre l’homme et la machine mais aussi entre la machine et l’homme et aussi entre machine et machine. Si, dans le premier âge de la machine, la machine était le prolongement de l’homme, à l’avenir certaines machines seront capables de prendre des décisions meilleures que celles des humains.[7] Dans ce contexte, les métiers et compétences vont évoluer à travers la relation homme-machine. La machine ne sera plus exclusivement au service de l’homme, l’homme lui sera également dévoué et ce dans une relation d’interconnexion intense. Face à cette numérisation croissante des savoirs et l’autonomisation des machines, il sera primordial de remettre l’humain et l’hybridation des savoirs au centre des préoccupations. En effet, il faut savoir tirer le meilleur parti du progrès technologique et ne pas entrer dans une digitalisation à tout prix. Nos démocraties doivent faire les bons choix quant à l’utilisation des nouveaux outils numériques afin de garantir la création d’un environnement sain et durable humainement (McAFEE, 2015).

Quelles seront les compétences d’avenir?

L’apport et l’émergence des intelligences artificielles vont modifier le paysage des compétences et des métiers. Les compétences classiques de la mémorisation et de la restitution de savoirs encyclopédiques, largement valorisées dans les systèmes scolaires classiques, ne seront plus aussi sollicitées. En effet, à côté des compétences techniques, les compétences transverses (aussi appelées soft-skills ou attitudes), plus stables et plus étendues, seront fortement sollicitées et obtiendront leur titre de noblesse (voir encadré: Les compétences transverses selon G.P. Bunk). Par ailleurs, malgré l’évolution du numérique, l’exécution d’un travail multitâches reste problématique pour les robots. Dès lors, les compétences transverses telles que, par exemple, la créativité, l’esprit critique, l’expérimentation, la capacité de communication et de collaboration, l’adaptabilité, le leadership, la conscience sociale et culturelle, la prise d’initiative seront davantage valorisées à l’avenir. La compétition et l’individualisme ne seront plus de mise à l’avenir au bénéfice de la collaboration et du relationnel. Ces aptitudes, combinées avec les compétences traditionnelles (techniques), permettront aux jeunes d’évoluer plus sereinement au cœur d’une économie digitale en perpétuel changement. Dans ce contexte futuriste, les métiers qui resteront à la mesure de l’homme seront ceux qui exigent de construire des relations complexes avec d’autres individus (santé, éducation), les métiers créatifs (la recherche, l’art) et les emplois aux tâches multiples et imprévisibles impossibles à réaliser par des robots[8].

Vers la transdisciplinarité

L’humain n’est donc pas encore obsolète! La force de l’homme sur la machine est la créativité. À l’avenir, il nous faudra des individus créatifs capables de (ré)inventer le futur. Il est alors nécessaire de développer plus encore l’intelligence humaine, non seulement à travers la polyvalence mais aussi, et peut-être surtout, dans la créativité et l’éducation à l’esprit critique et ce, à tous les âges de la vie. Il nous faut un enseignement tourné vers l’avenir. Un enseignement qui décloisonne en valorisant tant les intelligences abstraites que manuelles, tant les compétences techniques que transverses. C’est de ce décloisonnement et de l’exploration de la transdisciplinarité que naîtra l’innovation. Pour ce faire, l’école va devoir se réinventer pour former des élèves capables de travailler et d’innover tant individuellement que collectivement. Il s’agit de développer les compétences dont les jeunes ont besoin pour évoluer sereinement dans le monde de demain, de le comprendre, d’y participer activement et de leur donner l’envie d’apprendre toute leur vie. La polyvalence des compétences, la transversalité, l’hybridation des savoirs, l’éducation à l’esprit critique mais aussi l’auto-apprentissage seront les compétences clés de demain.

Marie Versele, secteur communication Illustration: Max Tilgenkamp  

[1] Forum économique mondial New Vision for Education: Favoriser l’apprentissage social et émotionnel par la technologie, http://www3. weforum.org/docs/WEF_New_Vision_for_ Education.pdf [2] What are the 21st-century skills every student needs?, Jenny Soffel, 2016, www.weforum.org/ agenda/2016/03/21st-century-skills-futurejobs-students?utm_content=buffer27e41&utm_ medium=social&utm_source=twitter. com&utm_campaign=buffer [3] François Taddéi est chercheur en biologie de l’évolution, dans la vision scolaire classique. [4] François Taddéi, «Notre modèle compétitif est totalement obsolète», Sciences humaines, dossier «Réussir à l’école»octobre 2019, p: 58. [5] Le futur de l’éducation et des compétences, projet Éducation 2030 de l’OCDE, 2018 www. oecd.org/education/OECD-Education-2030- Position-Paper_francais.pdf [6] Idem. [7] «Voici à quoi va ressembler «le deuxième âge de la machine», entretien avec Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, www.slate.fr/story/112209/ deuxieme-age-machine [8] (Brynjolfsson et Mcafee 2015)


Les compétences transverses selon G.P. Bunk

Les travaux de G.P Bunk[1] permettent de catégoriser le champ des compétences opérationnelles: à côté des compétences techniques («le savoir») se trouvent les compétences transverses qui peuvent être de trois ordres:

  • méthodologiques: «le savoir agir», agir de manière adéquate aux tâches demandées et au changement, c’est-à-dire l’autonomie, le travail de précision, la gestion de l’info, le développement d’une éthique...
  • sociales ou personnelles: «le savoir être», la capacité de collaborer et de coopérer, l’aisance relationnelle, c’est-à-dire collaborer, s’adapter, communiquer, faire preuve d’empathie, savoir écouter, apprendre à apprendre...
  • contributionnelles: «le savoir participer», la manière dont la personne est capable de contribuer de manière constructive à son poste et à l’environnement dans lequel il évolue, c’est-à-dire coacher, coordonner, créer, faire preuve d’initiative, déléguer, décider, diriger...

[1] G.P. Bunk, «transmission de la compétence dans la formation professionnelle en Allemangne» 1994.


Le potentiel… quesako?

Nouveau créneau des employeur·se·s et recruteur·se·s, le potentiel entre en ligne de compte tout comme les compétences des postulants. À l’instar des compétences qui englobent tout ce dont l’individu à besoin pour réaliser sa tâche correctement (aptitudes techniques, manuelles, intellectuelles…), le potentiel vise le talent et le degré de motivation des individus. Outre les compétences et la motivation, le potentiel englobe également la capacité d’apprentissage, la flexibilité et l’adéquation de valeurs avec l’organisme employeur.


Numérisation de l’économie: quels risques pour l’emploi?

La numérisation de l’emploi, ou l’emploi 4.0 est une révolution complexe qui pourrait changer le monde du travail. En effet, le dernier rapport des économistes de l’OCDE[1] estime que 14% des emplois pourraient, à terme, être réalisés par des robots ou ordinateurs. Néanmoins, l’OCDE ne sous-estime pas l’impact de la révolution numérique et ajoute que plus de 30% des travailleurs devront affronter une modification de la nature de leur emploi. Parallèlement à cela, le numérique pourrait engendrer la création de nombreux emplois et réduire la pénibilité au travail. En effet, pour chaque emploi qui disparaîtra en raison de la numérisation, 3.7 nouveaux seront créés.[2] La numérisation de l’économie est donc une arme à double tranchant: d’un côté elle permet des prouesses techniques jusque là inespérées, de l’autre elle représente une pression sur le marché de l’emploi et une nécessaire adaptation. Un immobilisme risqué Selon l’étude «Be the Change» menée par Agoria[3] (organisation d’employeurs et association professionnelle de Belgique), les conséquences de l’immobilisme face à l’avancée technologique seraient désastreuses tant pour les entreprises que pour les individus. En effet, selon l’étude, l’immobilisme engendrerait plus de 584 000 postes vacants à l’horizon 2030. Par ailleurs, sans adaptations, de nombreux emplois pourraient rester vacants dans le secteur des soins de santé, de l’IT et de l’enseignement. Une adaptation nécessaire L’enjeu n’est donc pas la perte pure d’emploi mais la capacité qu’auront les entreprises à s’adapter aux nouvelles technologies et d’exploiter toutes les compétences de leurs employé·e·s. De leur côté, les individus devront pouvoir réaliser de nouvelles tâches technologiques jusque-là inconnues afin d’être en mesure d’assumer des nouveaux métiers. Pourtant, selon l’OCDE, aujourd’hui, 6 adultes sur 10 n’ont pas les compétences de base en TIC ou n’ont aucune expérience en informatique. L’hybridation des travailleur·se·s sera donc favorisée et recherchée chez les individus qui devront développer de nouvelles compétences tout au long de leur vie professionnelle. Il est donc important de proposer de nouvelles formations et de mettre à jour les contenus des savoirs inculqués tant à l’école qu’en formation continue. Repenser le système de solidarité Les dangers de la numérisation croissante de l’économie sont palpables. En effet, est-ce que tous les individus seront capables de s’adapter au monde de demain? Pourrons-nous tous rencontrer les exigences du terrain de l’emploi? Face à ces incertitudes, certains théoriciens des nouvelles technologies, tel que McAffe, préconisent une refonte de notre système social via l’instauration d’un revenu universel ou l’adoption d’un impôt négatif permettant ainsi de répondre aux inégalités croissantes de nos sociétés. [1] . L’avenir du travail, Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019, éléments marquants www.oecd.org/fr/emploi/Perspective-de-emploi-2019-Highlight-FR.pdf [2] Pourquoi il faut se préparer aux métiers numériques de demain www.lalibre.be/debats/opinions/pourquoi-il-faut-se-preparer-aux-metiers-numeriques-de-demain-5d232a7ed8ad5815cb7756be [3] www.agoria.be/fr/BeTheChange

Mar 2020

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