Dernière chronique (inter)culturelle avant la prochaine: «Regarde où tu es, tu es peut-être chez toi…»
Lundi 9 mars 2020
Si ce titre peut prêter à sourire, rassurez-vous, il m’a fait éclater de rire. C’est l’une de mes collègues qui l’a trouvé alors qu’elle souhaitait répondre à un appel à projets sur l’appropriation de l’espace urbain. De mon côté, l’esprit mal tourné, je l’avais interprété comme ça: «t’emballe pas petit migrant, te sens pas trop vite chez toi, rien n’est joué, tout n’est encore que ‘peut-être’ ici!». Cette anecdote n’est pas récente mais elle m’est revenue lorsque l’une de mes apprenantes, à l’occasion d’un exposé sur sa ville natale, nous relatait ses rêves d’enfant: l’idée qu’elle avait toujours su qu’elle partirait loin un jour, vivre son rêve à l’américaine. Et, ironie du sort, parce qu’elle a atterri à Molenbeek, « y ’ a toujours autant de Marocains, c’est en fait un peu comme au bled!»… Certes, en plus froid, mais avec la sécurité sociale et l’école de qualité. Heureusement, elle n’est pas déçue de la destination finale, et elle l’affirme aujourd’hui avec conviction: «Chez moi, c’est ici!». Qu’est-ce qui crée le sentiment d’intégration, d’appartenance à un groupe? Selon Roger Mucchielli (psycho-sociologue du XXe siècle), l’appartenance n’est pas le fait de se trouver avec ou dans un groupe (puisqu’on peut y être sans le vouloir), elle implique plutôt une identification personnelle par référence au groupe (identité sociale), des attaches affectives, l’adoption de valeurs, de normes, d’habitudes, un sentiment de solidarité avec ceux qui font aussi partie du groupe, leur considération sympathique. Ainsi, pour les uns, ce serait la possibilité de pouvoir pratiquer leur religion librement, pour les autres, de pouvoir acheter les produits qu’on a l’habitude de manger. En y repensant, je me suis posé la question: qu’est-ce qui m’aiderait à me sentir chez moi, moi qui viens du côté luisant du canal bruxellois? Alors, je me suis projetée dans l’idée de m’expatrier. Au hasard, je partirais au Népal, pour me ressourcer. Et au détour d’une promenade méditative, un dimanche matin, je tomberais sur un troquet servant des brunchs. Le combo complet: muesliyaourt-baies de goji, smoothies verts et pudding aux graines de chia. J’appartiens sans doute au groupe des-gens-quibrunchent-le-dimanche-matin et c’est vrai, comme quand on croise une plaque d’immatriculation belge sur l’autoroute à l’étranger, je me sentirais moins loin de chez moi, le temps d’un repas.
Pamela Cecchi, formatrice au secteur interculturel de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente
Illustration: Pauline Laurent