Une mobilisation gagnante à l’école J.J. Michel

Mercredi 5 décembre 2018

Face à la politique migratoire du gouvernement belge actuel, des citoyens et des citoyennes se mobilisent pour venir en aide aux migrant·e·s. Dans les écoles, aussi, on agit.

En vertu de la loi sur l’obligation scolaire du 29 juin 1983, la Belgique a fait du droit à l’instruction, un droit fondamental pour tout enfant, y compris donc pour tout·e mineur·e étranger·e. Les écoles de la Communauté française

accueillent réellement tous les enfants qui se présentent y compris ceux qui n’ont pas de papiers. Mais encore faut-il qu’ils aient l’occasion d’arriver jusqu’aux portes des établissements scolaires. Quand les familles sont hébergées dans des centres d’accueil, la prise de contact se fait assez facilement grâce aux référents scolaires présents sur place qui guident alors les enfants vers les écoles qui ont un DASPA[1]. Les mineur·e·s étranger·e·s non accompagné·e·s (MENA) sont, pour leur part, pris en charge par le Service de tutelles et hébergé·e·s dans des structures d’accueil via Fedasil ou l’aide à la Jeunesse qui dispose, elle aussi, de quelques centres. Par ailleurs d’autres associations encadrent spécifiquement ces jeunes particulièrement fragilisés. Malheureusement, il y a beaucoup de familles avec enfants qui n’arrivent pas dans les centres d’accueil et qui s’installent dans les grandes villes et sont livrées à elles-mêmes. Il y a aussi celles qui après avoir été accueillies dans un centre, reçoivent un ordre de quitter le territoire et doivent se cacher. Pour celles-ci, le chemin vers l’école est parfois tout simplement trop risqué.

L’école impuissante?

Même si au sein de l’établissement scolaire, l’enfant sans papier est «protégé» de toute ingérence de l’Office des étrangers et de la Police, dès qu’il quitte l’école, le risque de se faire interpeller est grand, que cela soit dans les transports en commun, dans les centres d’accueil ou dans la rue… De plus, quand un ordre d’expulsion est délivré à une famille, la Communauté française et les écoles ne sont pas officiellement informées. La plupart du temps, aucun recours et aucun accompagnement de ces familles avec enfants n’est possible. De fait, en termes de compétences, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a pas son mot à dire puisque la politique migratoire relève bien du pouvoir fédéral. Ce qui n’était jamais arrivé en dix ans s’est produit à 4 reprises en 2017-2018. 4 familles avec enfants ont été «cueillies» à 6 heures du matin dans leur centre d’accueil, par l’Office des étrangers, en vue d’une expulsion et sans que le cabinet de la ministre de l’Éducation n’ait été averti. Seule mesure du côté de la ministre de l’Éducation: proposer aux directions d’écoles d’envoyer une équipe mobile de crise, avec des assistants sociaux et des psychologues pour soutenir les équipes pédagogiques et les autres enfants.

Menacés d’expulsion

Les tensions actuelles liées à ces arrestations violentes déclenchent un peu partout des mobilisations citoyennes et solidaires locales qui parviennent parfois à de vrais résultats. Ce fût le cas à l’école J. J. Michel située à Saint-Gilles, commune bruxelloise qui figure parmi les communes comptant le plus de personnes de nationalités étrangères et qui abrite toutefois dans le haut de son territoire, une part importante de personnes dont la situation socioéconomique est plus favorable[2]. Nous y avons rencontré Peace, cette mère rwandaise arrivée en Belgique il y a 8 ans et qui s’est vue contrainte de quitter son pays d’origine, son mari et Joshua, leur fils aîné, pour sauver Joël, leur cadet gravement malade. Dès les premiers mois d’existence de l’enfant, les médecins rwandais s’inquiètent pour lui mais ne parviennent pas à poser un diagnostic. Dans un premier temps, Peace obtient un visa pour raisons médicales, ce qui lui permettra d’amener rapidement son fils devant des médecins belges. S’en suivront des années de lutte tant pour diagnostiquer la maladie de Joël que pour tenter d’obtenir l’asile et éviter une expulsion qui anéantirait les chances de le sauver. En 2012, Joël et sa maman évitent une première expulsion, contrecarrée par une demande d’annulation et un recours en cassation. Durant les trois années qui suivront, Peace bataillera avec l’Office des étrangers qui, dans un premier temps, ne reconnaîtra pas la nécessité d’un traitement médical en Belgique pour Joël. Il est pourtant atteint de dysplasie osseuse, une affection grave et évolutive dont les principales complications sont des fractures, des déformations et des douleurs. Il subira plusieurs interventions lourdes à la colonne vertébrale et aux jambes. Pour Peace, la situation devient invivable. «J’étais sur le point d’abandonner. Je venais d’accoucher de ma petite fille. J’étais seule et on ne peut rien faire toute seule. J’avais besoin d’être sauvée et portée, ce qui est arrivé».

Important relais médiatique

«À son retour à l’école, la maladie de Joël devient littéralement plus visible. Il circule en chaise roulante. Les enfants de l’école commencent à se poser des questions sur son état», explique Cataline Sénéchal, parent d’élève. Et quand en 2015, un deuxième ordre de quitter le territoire leur est adressé, les enfants apprennent que Joël et sa maman sont menacés d’expulsion. Ils décident de faire circuler une pétition qu’ils rédigent eux-mêmes. C’était clair et net: papiers ou pas, Joël devait rester et être soigné. Il fallait l’aider». Rapidement rejoints par de nombreux parents et les enseignant·e·s de l’école J. J. Michel, la pétition récoltera au total plus de 12.000 signatures. L’école et les parents organiseront une manifestation devant l’Office des Étrangers qui sera fortement relayée par les médias. Finalement au bout de quelques mois et sous la pression médiatique, l’Office des Étrangers concèdera un titre définitif de séjour pour raisons médicales. Un soulagement pour Peace et ses trois enfants, Joshua, le frère aîné de Joël ayant rejoint entre temps la Belgique. Aujourd’hui, ils habitent dans un entresol de deux pièces; l’une servant de salon et l’autre de chambre pour Peace et les enfants (3, 9 et 11 ans). Les parents solidaires sont restés très proches de Peace et tentent à présent, de l’aider à trouver un meilleur logement.

Reconnaissance du droit d’asile

Peace, Cataline et Marie-Hélène (parent d’élève, elle aussi) expliquent le succès de leur mobilisation par plusieurs raisons. Tout d’abord lance Peace, «C’est la maladie de Joël qui a permis autant de mobilisations». MarieHélène le déplore: «C’est triste à dire mais le fait qu’il soit malade et qu’il risque de mourir en rentrant au pays, ça a parlé à beaucoup de gens et aux médias». Le 28 mai 2015, le quotidien Le Soir titrait au sujet de l’histoire de Joël: «Le droit d’asile des malades est-il bafoué?» faisant des malades, un cas «à part» de demandeurs d’asile qui seraient prioritaires sur les autres non-malades. Pour Christine Dubois-Grard, anthropologue ASP FNRS, «Ce glissement d’une régularisation par le droit à une régularisation pour raisons humanitaires ou médicales est à prendre pour ce qu’il est: une non-reconnaissance d’un trajet de vie, de motifs de la migration ni même de la volonté d’intégration. Ce qui est reconnu, c’est la maladie[3]». Outre la maladie, la réussite de l’opération de mobilisation menée par les parents et les enseignant·e·s s’explique aussi par cette capacité d’entraide et d’organisation qui a su se développer autour de Peace et Joël. «C’est une école relativement privilégiée où le lien entre les parents est fort et organisé. En outre, beaucoup maîtrisent parfaitement les codes du système juridique et de la presse». Par ailleurs, l’histoire de l’école est clairsemée d’initiatives de soutien. «Le contexte est particulier à J. J. Michel, rappelle Cataline. L’école s’était déjà mobilisée pour un papa d’élève incarcéré en centre fermé. De fait, pour Joël, cela a été très facile de rallier les parents car l’école, sa direction, ses enseignants ont toujours été très ouverts au dialogue avec les parents et à leur participation active à la vie dans l’école et dans le quartier».

Maud Baccichet, Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente  

[1] Dispositif d’Accueil et de Scolarisation pour les enfants Primo-Arrivants. [2] Données de l’IBSA2005-2015, Institut bruxellois de Statistique et d’Analyse. In: http://ibsa.brussels/ fichiers/publications/bru19/St-Gilles.pdf [3] Christine Dubois-Grard, «La maladie comme ultime recours: Le droit d’asile pour raison humanitaire», publication de Vivre Ensemble Éducation, 2011.   Illustration / photo: Cataline, Peace et Marie-Hélène.  

déc 2018

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