Des politiques migratoires répressives et conditionnées par la peur. Des initiatives citoyennes solidaires et hospitalières. Deux lectures et attitudes différentes face à l’enjeu actuel des migrations.
Aujourd’hui, les migrant·e·s internationaux ne représentent qu’un peu plus de 3,4 % de la population mondiale (soit 258 millions de personnes[1]) contre 6% au début du 20e siècle. La perception vivace selon laquelle les
migrations sont principalement un phénomène du Sud vers le Nord ne correspond pas non plus à la réalité. Elles sont avant tout régionales. Seul·e·s 35% (soit 85 millions) des migrant·e·s internationaux se déplacent du Sud vers le Nord. La migration Sud-Sud (90 millions ou 37% de migrant·e·s) a pris plus d’ampleur que la migration Sud-Nord[2]. Les raisons de l’exil sont multiples et s’entremêlent: choisies (études, famille, tourisme…) et/ ou subies (guerres et conflits, tensions politiques et persécutions, surexploitation et redistribution inégale des ressources naturelles…). Contrairement aux idées reçues, l’Europe n’accueille pas «toute la misère du monde». Elle en est même loin puisqu’elle n’accueille que 6% des personnes réfugiées (soit environ 500.000 personnes[3]). La majorité (85%) est accueillie dans des pays du Sud[4].
Repli sur soi…
Les réponses développées par l’UE prônent la fermeture des frontières et le renforcement des contrôles afin d’éviter «une crise migratoire» et un «appel d’air». Cela se concrétise par les opérations de l’agence «Frontex», mais aussi, dorénavant, par la collaboration avec les pays dits d’origine ou de transit. En effet, l’UE et certains de ses États membres comme l’Italie et la Grèce négocient des accords ou des pactes avec des pays tiers tels que la Turquie et la Libye. L’UE et ses membres monnaient ainsi l’accès aux fonds européens en échange de la participation de ces pays à leurs objectifs politiques en matière de migration. Ces pays tiers jouent donc le rôle de gendarme de l’Europe en empêchant les personnes présentes sur leur territoire de rejoindre le continent européen et en facilitant les procédures de retour des personnes en situation irrégulière en Europe[5]. À noter que ces fonds européens sont notamment issus du portefeuille de l’aide publique au développement, qui est censée être octroyée pour lutter contre la pauvreté et non la mobilité. Comme le rappelle l’OCDE[6], la mobilité est pourtant considérée comme un facteur de développement et vice versa! En juin 2018, l’Union européenne proposait la mise en place dans des pays tiers, de plateformes de débarquement[7] des personnes secourues en mer, en vue de statuer sur leur possibilité ou non de disposer d’un accès légal au territoire européen. Une manière d’externaliser les questions de l’asile et de la migration en total désaccord avec le droit international. Cependant, depuis la fin du mois d’octobre, la Commission européenne a fait marche arrière. «Les Plateformes de débarquement en Afrique ne sont plus à l’ordre du jour et n’auraient jamais dû l’être», a déclaré le président de la Commission européenne Juncker, le 26 octobre, lors d’une conférence de presse à Tunis avec le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed. Quant aux États membres, ils concentrent leurs politiques sur le renvoi des personnes en situation irrégulière et signent des accords avec des gouvernements non-démocratiques. À titre d’exemple, le secrétaire d’état à l’Asile et aux migrations, Théo Francken, a collaboré avec le Soudan (une délégation de fonctionnaires soudanais s’est rendue en Belgique afin d’identifier les citoyens soudanais), dont le président est poursuivi pas la cour pénale internationale pour crimes contre l’Humanité.
Pas d’accueil décent en Europe
Les résultats de ces politiques posent question. Les routes empruntées pour éviter les contrôles deviennent de plus en plus dangereuses, au bonheur des trafiquants qui s’enrichissent d’une prise de risque plus conséquente (qui dit risque plus important, dit bénéfice plus élevé) et brassent un nombre grandissant de candidat·e·s, fautes de voies sûres et légales de migration. Par ailleurs, s’il y a une réduction des traversées suites aux pactes d’externalisation, le nombre de morts ne diminue pas et l’état de santé des personnes ayant réussi est encore plus alarmant[8]. Le trafic d’êtres humains ne fait qu’augmenter. La Libye l’illustre bien au regard des ventes d’esclaves. Pourtant, les États membres ne jouent pas la carte de la solidarité intra-européenne et laissent les pays de 1ère ligne gérer l’accueil des nouveaux arrivants. L’orientation des politiques actuelles n’offre pas des moyens concrets pour la mise en place d’un accueil décent des personnes migrantes, mais laisse la situation se gangréner, favorisant le renforcement de discours prônant le rejet. La responsabilité des autorités est questionnée et amène l’éclosion d’initiatives citoyennes au travers de l’Europe désireuse de répondre aux carences des politiques migratoires des différents niveaux de pouvoir du continent.
Pour une justice migratoire
Si les politiques migratoires promeuvent le repli sur soi au travers de la fermeture des frontières, ce n’est néanmoins pas une fatalité. Effectivement, des solutions existent comme celles défendues par l’idée de «Justice migratoire». Cela passe par la mise en place de voies d’accès sûres et légales de migration en Europe, afin de mettre fin à la violence aux frontières et également par l’instauration de l’égalité de droits dans les pays d’accueil, afin de renforcer la cohésion sociale. La justice migratoire nécessite de communiquer un discours juste et positif sur les migrations afin de lutter contre les préjugés et les amalgames.
Une initiative citoyenne européenne
En réponse aux choix politiques de l’UE et de ses États membres, des mouvements citoyens s’unissent pour venir en aide aux personnes migrantes. Que cela soit à l’échelle locale, nationale ou européenne en passant par les universités, les citoyens s’unissent pour revendiquer l’hospitalité. Au niveau européen, le monde associatif de plusieurs pays de l’Union européenne s’est lancé dans une initiative citoyenne européenne (ICE)[9] qui vise à interpeller la commission européenne sur les politiques migratoires qu’elle porte en rassemblant un million de signatures au travers de l’Europe. Cette initiative porte trois revendications et se pose:
- contre la criminalisation de l’action humanitaire et la solidarité citoyenne envers les personnes migrantes;
- pour un accueil citoyen et associatif des personnes réfugiées via un accès aux fonds publics;
- pour le renforcement et la création de mécanismes de plaintes en cas de violations des Droits Humains des personnes migrantes.
Université, haute école et école d’arts hospitalières Plusieurs communes se sont revendiquées hospitalières au travers d’une motion portée par des citoyen·ne·s. En Belgique, on en décompte plus de 65. La Plateforme citoyenne d’aide aux réfugiés compte 40.000 personnes qui ont hébergé, pour une nuit ou plus, des personnes migrantes, afin d’offrir un moment de repos. Le milieu académique s’est joint au mouvement, une série d’institutions se revendiquent «Université, haute école, ou encore école supérieure des arts hospitalières» et s’engagent, par le biais d’une motion, à faciliter l’accès aux études des personnes migrantes, à soutenir la participation des migrant·e·s pendant leur parcours académique, à sensibiliser la communauté et à agir en tant qu’acteur dans la société.
Violette Brassart, chargée de campagne CNCD-11.11.11
Le Centre National de Coopération au Développement (CNCD11.11.11) est une organisation non gouvernementale belge de solidarité internationale active depuis 1966, regroupant quatre-vingts associations et ONG de développement ainsi que des organisations sociales. Le CNCD a trois missions: l’interpellation des pouvoirs publics et privés, la sensibilisation du public aux enjeux internationaux et le financement de programmes de développement (Opération 11.11.11)
[1] C’est-à-dire, celles et ceux qui ont franchis une frontière et non les déplacés internes. www.un.org/en/development/desa/population/migration/ publications/migrationreport/docs/MigrationReport2017_Highlights.pdf [2] OIM, Fiche d’information sur les tendances de la migration dans le monde en 2015. [3] www.europeanmigrationlaw.eu/documents/Eurostat-Decisions%20sur%20 les%20demandes%20d%E2%80%99asile%20dans%20l%E2%80%99UE%20 en%202017.pdf [4] www.unhcr.org/fr/news/stories/2017/2/58b53982a/pays-avances-accueillentmajorite-personnes-deracinees.html [5] Rappelons que l’Union européenne distingue deux catégories d’entrées sur son territoire: les entrées légales (VISAS) via la «réinstallation», le regroupement familial, les études, le tourisme et les entrées irrégulières qui concernent parfois des personnes en quête de protection n’ayant pas été dans les conditions d’obtenir de visas d’entrées. Il leur faut alors introduire une demande de protection internationale, via la procédure d’asile couverte par la Convention de Genève ou la «protection subsidiaire» temporaire et qui est offerte par exemple aux victimes de guerre. [6] Organisation de coopération et de développement économiques [7] Plus d’informations: http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-4629_fr.htm [8] www.unhcr.org/5acdc3e64?utm_campaign=HQ_EN_post_Global_ Core%2520Social%2520Media%2520Outreach&utm_source=twitter&utm_ medium=social [9] Une ICE est un outil de démocratie participative permettant aux citoyens européens d’interpeller la commission sur un sujet si un million de signatures a été récolté. La commission devra répondre au travers d’une discussion en commission et au parlement européen et se positionner sur l’interpellation citoyenne afin de modifier le TFUE (Traité de fonctionnement de l’Union européenne)
Petit lexique...
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Une personne migrante
Toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays [UNESCO]. Les personnes migrantes quittent leur pays pour des raisons qui peuvent être économiques, familiales, politiques, climatiques…
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Une personne demandeuse d’asile
Personne qui a fui son pays d’origine parce qu’elle/il y a subi des persécutions ou craint d’en subir et souhaite obtenir une protection, un statut de réfugié.
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Une personne réfugiée
Toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (statut donné par le HCR sur base de la Convention de Genève).
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Une personne clandestine ou sans-papiers
Le terme approprié est «personne en situation administrative irrégulière». En effet, le terme “clandestin” est empreint d’un caractère péjoratif, criminalisant et abusivement utilisé pour désigner des étranger·e·s en situation irrégulière en laissant penser que ces personnes ont volontairement franchi irrégulièrement la frontière du pays où elles se trouvent, pour y rester dans l’illégalité. En réalité, la plupart des étranger·e·s en situation irrégulière sont entré·e·s régulièrement sur le territoire européen: avec un visa de touriste, d’étudiant·e ou autre, ou encore en déposant une demande d’asile à leur arrivée. C’est le fait de demeurer dans le pays où ils se trouvent une fois leur visa expiré, parce qu’ils n’ont pas pu obtenir le droit d’y séjourner durablement, ou après le rejet de leur demande d’asile, qui les fait basculer dans la catégorie des “sans-papiers”. La proportion d’étranger·e·s qui entrent sur le territoire européen sans papiers ou avec de faux documents est très faible, malgré la médiatisation importante qui entoure parfois ces arrivées. C’est en rendant très difficile la délivrance de visas et permis de séjour et, par conséquent, la possibilité pour les migrant·e·s de faire des allers-retours entre le pays où ils travaillent et celui dont ils sont originaires, que les politiques migratoires “fixent” les sans-papiers sur le territoire européen. Ce lexique est issu du «Petit guide – Lutter contre les préjugés sur les migrants[1]», édité par la Cimade[2]. [1] www.lacimade.org/faq/qu-est-ce-qu-un-migrant/ [2] La Cimade est une association de soutien aux personnes opprimées et exploitées qui défend la dignité et les droits des personnes réfugiées et migrantes, quelles que soient leurs origines, leurs opinions politiques ou leurs convictions.