Depuis début 2019, la Ligue de l’Enseignement, en collaboration avec des organismes français et italiens, travaille sur un projet autour de l’impact environnemental et social du numérique: Conscience Numérique Durable.
Le numérique prend une place de plus en plus importante dans nos vies. Son impact n’est cependant pas nul. Par exemple, commander un Uber, regarder une vidéo sur YouTube ou acheter un nouveau smartphone a des implications sur nos vies, mais aussi sur la société dans laquelle nous vivons, sur l’environnement et même sur des populations beaucoup plus lointaines. Les adolescent·e·s, de même que les adultes, sont très peu conscients de ces enjeux. Le projet Conscience Numérique Durable (CND) a pour but de sensibiliser les élèves du secondaire - ainsi que le grand public - sur les opportunités, risques et enjeux sociaux et environnementaux liés au numérique.
Trois types de production
Depuis plusieurs mois maintenant, notre groupe européen, composé de la LEEP, de la Ligue 42 et de la coopérative Sociale Le Mille e una notte, travaille sur 3 productions. La première est un recueil d’informations et de réflexions sur le numérique dans la société. La deuxième est un «kit pédagogique». La troisième consiste en des formations. Nous espérons que notre projet permette de rendre les participant·e·s: - capables d’identifier et de comprendre les enjeux, les problèmes et les opportunités du numérique en relation avec le développement durable dans un contexte planétaire; - conscientes des comportements numériques (individuels et collectifs) qu’il serait souhaitable d’adopter pour préserver les écosystèmes et sociétés humaines; - capables de modifier ses comportements numériques et s’engager sur un plan citoyen. Dans le but de donner une vision globale des enjeux et de ne pas faire l’impasse sur la complexité des situations, nous avons décidé de nous appuyer sur les 17 ODD (Objectifs de Développement Durable) de l’ONU. Ceux-ci seront en toile de fond dans les trois productions. La production du «recueil de réflexions», dont la Ligue est la contributrice principale, est la plus avancée. À travers 14 courts chapitres divisés en 2 grandes parties: enjeux socio-économiques et enjeux environnementaux, ce recueil a pour but d’apporter des éléments de réflexion sur la place actuelle et future du numérique dans nos pays et dans le monde. Nous espérons que son style d’écriture le rendra accessible au grand public tout en gardant une rigueur sur les faits. Ainsi, le contenu de cet écrit pourra être utilisé dans les autres productions du projet, et nous espérons également qu’il puisse servir de ressource pour les enseignant·e·s. Pour garantir l’exactitude et l’équilibre des contenus, nous nous sommes entourés d’organisations et de chercheurs/euses expert·e·s dans les domaines traités. Nous sommes notamment en contact avec GreenIT.fr, The Shift Project, Electronics Watch, WWF Italie, Oxfam-Magasins du monde ou encore Oxfam Grande-Bretagne. Les deux autres productions, les kits pédagogiques et les formations, sont en phase de réflexion. Leur réalisation devrait commencer au cours de l’automne. Elles devront ensuite être testées auprès des publics cibles pour garantir qu’elles rencontrent leurs attentes.
Un exemple de chapitre: Travail décent
En attendant la version finale de la première production, qui devrait être disponible au cours de l’année 2020, voici un extrait adapté du chapitre sur le thème du travail décent (ODD 8). Il évoque les conditions de travail dans les mines d’où sont extraits les métaux de nos appareils digitaux1 . Les appareils électroniques, dont font partie les objets numériques, ont une chaîne d’approvisionnement très longue et compliquée. Tout d’abord, elle implique de nombreux matériaux venant de mines des quatre coins du monde. En effet, la plupart des 62 éléments métalliques du tableau périodique sont utilisés dans les appareils numériques. Plusieurs rapports et enquêtes ces dernières années ont révélé de gros problèmes associés à l’extraction minière. Il est difficile d’avoir une vision globale pays par pays, et de l’ampleur du rôle du secteur du numérique. Par conséquent, nous nous contenterons de relater le cas de la République Démocratique du Congo (RDC), qui est le plus documenté. Ce pays est primordial pour la production des objets digitaux, car il est un des fournisseurs principaux de plusieurs métaux très prisés dans les appareils électroniques, comme le cobalt et le tantale. Les mineur·euse·s de RDC sont appelé·e·s «creuseur·euse·s». Ils seraient 500.000 rien que dans la province du Katanga. Ils/elles subissent des conditions de travail déplorables à bien des égards, et ce terme est un euphémisme. Les mineur·euse·s, travaillant généralement pour leur propre compte dans la mine, doivent creuser des tunnels à la main ou avec quelques outils rudimentaires. Une journée de travail dure au moins 12 heures et leur rapporte environ 6 euros selon la quantité de minerai récoltée. Une partie de cette somme est par ailleurs régulièrement ponctionnée par des représentant·e·s corrompu·e·s du gouvernement. Les jours de congé ne sont même pas envisagés puisqu’il serait alors impossible de se nourrir. Le travail des enfants est très répandu dans les mines de RDC. Certain·e·s commencent à 6 ans. Dans un rapport datant de 2015, Amnesty International raconte l’histoire de Paul, 14 ans, qui doit creuser dans les tunnels pendant 24 heures d’affiliée. Les enfants restent toutefois généralement en surface pour filtrer les eaux ou garder la mine. Ils/elles sont encore beaucoup moins bien payé·e·s que les adultes, parfois moins d’un euro. Les tunnels creusés peuvent faire jusqu’à 80 voire 100 mètres de profondeur. Puisqu’ils ne sont pas sécurisés, les éboulements sont fréquents. Certains sont mortels. Un mineur congolais interrogé par Cash Investigation en 2015 parle de plusieurs éboulements mortels dans sa mine lors des mois précédant le reportage, l’un ayant coûté la vie à 175 personnes. Amnesty International rapporte un éboulement ayant causé 80 morts la même année, selon des chiffres officiels soupçonnés d’être sous-évalués. Étant donné la nature informelle et souvent illégale de ces exploitations, il est difficile d’établir le nombre de décès dus à des éboulements en RDC. Il semble toutefois raisonnable d’imaginer qu’au moins plusieurs centaines, voire des milliers de personnes en meurent chaque année. Les éboulements ne sont pas les seules causes de décès. Ainsi, puisque les exploitations minières sont généralement illégales, il arrive que des policier·ère·s tirent aléatoirement sur les mineur·euse·s. De plus, le contact avec certains métaux extraits, dont le cobalt, peut provoquer des dermatites, de graves problèmes respiratoires et des cancers. Les creuseur·euse·s n’ont aucun équipement pour se protéger. L’exploitation minière est également associée à la guerre dans le pays. Cette dernière, toujours en cours, est la plus meurtrière depuis la Seconde Guerre mondiale, ayant fait 6 millions de morts entre 1998 et 2014. Or, une des raisons importantes de ce conflit est la souveraineté sur les ressources minières. En effet, certaines mines, surtout dans l’est du pays, sont gérées par des groupes armés qui se servent des revenus miniers pour financer les conflits. En 2015, des chercheurs ont visité 1615 mines de l’est de la RDC, et ont observé la présence de groupes armés dans 56% d’entre elles. Sans l’exploitation minière, le conflit aurait sans doute une moins grande ampleur. Les métaux associés à cette guerre, appelés «minerais de sang», sont principalement l’étain, le tungstène, le tantale et l’or. La situation en rapport avec les mines artisanales de RDC semble s’améliorer depuis peu. Ceci est notamment le résultat de directives mises en place aux États-Unis et en Union européenne, forçant les multinationales à mieux connaître la provenance des minerais de sang et à évaluer les risques associés à leurs fournisseurs. Concernant le travail des enfants en RDC, la situation semble également aller dans le bon sens. Toutefois, le travail à accomplir reste immense.
- Nous avons supprimé les références bibliographiques par souci d’espace.
Si vous souhaitez collaborer avec nous dans la réalisation du projet ou si vous êtes intéressé·e par l’utilisation des productions de CND, n’hésitez pas à contacter Adrien Plomteux, à l’adresse adrienp@ligue-enseignement.be
Adrien Plomteux, Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente