Plus de huit mille enfants sont touchés par l’incarcération d’un de leurs parents. Comment les aider à vivre cette séparation? Comment éviter une rupture avec la mère ou le père détenu·e·s? Les murs de la prison sont parfois des obstacles infranchissables pour préserver les liens entre les parents incarcérés et leurs enfants.
Un père ou une mère détenu·e·s ne cessent pas d’aimer leurs enfants quand la porte de la prison se ferme derrière eux et leurs enfants peuvent vivre la séparation comme un énorme choc, une réelle souffrance. Comment garder les liens? Comme souvent en Belgique, c’est le secteur associatif qui assure cette mission sociale et plus particulièrement le Relais Enfants-Parents. Une mission qui n’a rien d’évident car l’administration pénitentiaire n’est pas la plus encline à aider les professionnel·le·s comme les bénévoles dans leurs contacts avec les détenu·e·s. Nous avons rencontré Amandine Bosquet, Pauline Anne de Molina et Elodie Druwart, toutes trois psychologues pour le Relais Enfants-Parents. Elles estiment que 30% environ des enfants n’ont plus de contact avec leur parent incarcéré. Le Relais Enfants-Parents part dans 85% des cas d’une demande du parent incarcéré. «Nous recevons un rapport de la prison qui mentionne cette demande, explique Amandine Bosquet. Mais il peut aussi s’agir d’une intervention d’un Service d’Aide à la Jeunesse ou d’un appel du parent gardien». Dans la grande majorité des cas, le parent détenu est un père pour la simple raison que les hommes sontde loin- les plus nombreux à être incarcérés. «Nous travaillons dans des prisons où sont détenus des hommes comme des femmes, explique Amandine Bosquet mais l’essentiel de nos dossiers concernent effectivement des pères».
Refus de visite
Le fait qu’un père demande à recevoir la visite de son ou de ses enfants ne suffit pas à lui assurer ce droit. Il peut y avoir une opposition à l’exercice de ce droit soit par la Justice ou, plus souvent, par le parent gardien de l’enfant. «L’enfant est pris dans des conflits familiaux, explique Amandine Bosquet. Nous avons souvent des enfants qui ne voient plus ou très difficilement leur parent en prison parce que l’autre parent s’y oppose. Et on ne peut pas obliger le parent gardien à permettre la visite. Si c’est non, nous sommes face à un mur. Dans un premier temps, nous envoyons un courrier au parent gardien. Parfois, celui-ci est sans nouvelles du père (le plus souvent) depuis deux, trois ans voire davantage. Il faut donc y aller doucement. S’il n’y a pas de réaction à ce courrier et si on dispose d’un numéro de téléphone, on peut appeler pour demander si la lettre est bien parvenue. Mais si la personne qui s’occupe de l’enfant n’est pas collaborante, on ne peut rien faire». «Il faut savoir, enchaîne Pauline Anne de Molina, que des parents nous contactent depuis la prison alors que cela fait des années qu’ils n’ont plus de relations avec leur conjoint et leurs enfants. La prison est souvent vécue comme un temps pour se poser, réfléchir. Se dire, par exemple, ‘maintenant que j’ai cessé de consommer de la drogue’, je vais essayer de reconstruire ma vie de famille. Mais cela peut être mal vécu par le parent gardien». Quand les visites s’opèrent, parfois après une longue absence, la reprise des liens se fait souvent de manière assez aisée, estiment les psychologues du Relais Enfants-Parents. «Rencontrer le papa, c’est pouvoir répondre aux questions que se pose l’enfant, pouvoir mettre un visage à l’absent. Peut-être le lien ne se poursuivra pas mais c’est bénéfique pour l’enfant de savoir qu’il a un père biologique. Une fois encore, poursuit Amandine Bosquet, on n’est pas là pour forcer. Si l’enfant nous dit qu’il a vu ce qu’il a voulu voir et entendu ce qu’il a voulu entendre et qu’il veut en rester là, c’est son choix». Avec les mères incarcérées, les choses se déroulent de la même manière. La seule différence, c’est que l’enfant est le plus souvent confié à une famille d’accueil et il y a alors moins de refus de laisser l’enfant rendre visite à sa mère en prison «Cela se fait plus dans la nuance, précise Pauline Anne de Molina. C’est rarement un «non» catégorique mais plutôt «pas pour le moment» ou «on doit préparer l’enfant».
Une pièce d’accueil familiale pour 800 détenus
Lorsque nous demandons aux intervenantes du Relais Enfants-Parents si les prisons font des efforts dans l’aménagement des lieux pour les visites d’enfants, nous déclenchons des rires qui sont en soi une réponse. «Cela dépend totalement du directeur de prison», explique Amandine Bosquet. Et de son degré d’empathie». Les visites se font le plus souvent dans la salle prévue pour toutes les visites. «Notre association a reçu du matériel, des jouets. Nous pouvons aménager la salle quand c’est possible. On essaie alors de créer des espaces différents, un pour la psychomotricité avec des tapis mousse, un espace plus créatif et un espace «détente» où l’on peut mettre des coussins, des livres. Nous organisons en général deux visites par mois le mercredi après-midi». Pour autant que les grèves à répétition dans certains établissements ne compromettent pas ce rare instant de visite. Certaines prisons sont aménagées pour rendre le passage des enfants plus agréable. À Berkendael, il y a un petit studio avec une kitchenette et un espace de jeu, à Saint-Gilles, une pièce qui sert à la fois de lieu de visite «conjugal et familial». Une pour huit cents détenus… Encore faut-il pouvoir franchir les portes de la prison. La plupart des établissements pénitentiaires ont quitté les villes et sont peu accessibles par transports en commun. A l’initiative du fonds Houtman s’est créé le réseau «Itinérances», composé de bénévoles de la Croix-Rouge. Ceux-ci se chargent d’aller chercher l’enfant à son domicile et de le conduire vers la prison. «Il y a énormément de demandes et pas assez de bénévoles, regrette Amandine Bosquet. Mais sans ce service, beaucoup de visites ne seraient pas assurées». Beaucoup de choses restent à faire pour améliorer l’accueil des enfants dans la prison, concluent les psychologues du Relais Enfants-Parents. «En juin, nous avons visité une prison semi-ouverte où l’enfant est accueilli par une personne déguisée en pingouin. Ce serait bien de recevoir l’enfant d’une manière plus ludique par ce genre d’animal qui pourrait le guider vers la salle de visites. Les enfants n’ont pas à subir les bruits, la dureté de la prison. Rendre ces visites plus conviviales traumatiserait moins l’enfant et encouragerait le parent à garder des relations avec son enfant, ce qui est bénéfique pour sa réinsertion. Mais, conclut Amandine Bosquet, l’administration pénitentiaire est une des administrations les plus rigides qui soit».
Martine Vandemeulebroucke, Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente
Oubliées du système pénitentiaire?
Le pourcentage de femmes détenues en Belgique ne varie guère. Elles étaient 439 en 2017 soit environ 4,33% des détenu·e·s. Elles sont souvent condamnées pour des faits relativement mineurs comme les vols, le trafic de stupéfiants ou alors à des peines très lourdes pour meurtre, assassinat, le plus souvent de leurs proches (conjoint, enfants). Plus de la moitié d’entre elles n’ont pas le diplôme de l’enseignement secondaire et 30% n’ont pas obtenu celui de l’enseignement primaire. Selon certaines études, 75% d’entre elles sont des consommatrices problématiques de drogues et d’alcool. Dans son rapport 2016, la section belge de l’Observatoire international des prisons a dénoncé le fait que les femmes sont les «oubliées» du système pénitentiaire. Elles ont souvent moins accès au travail et aux loisirs. Elles bénéficient moins de certaines modalités de l’emprisonnement comme la semi-détention (dehors le jour et la nuit en prison). En janvier 2018, le comité pour la prévention de la torture (CPT) constatait également qu’on ne proposait aux femmes détenues que des activités comme la couture et l’artisanat en les excluant des formations à vocation plus professionnelle réservées aux hommes. Les besoins spécifiques des femmes en matière d’hygiène (serviettes, tampons) sont insuffisamment pris en compte. Même chose pour les besoins alimentaires spécifiques des femmes enceintes, relève le CPT qui s’inquiète aussi du nombre particulièrement important de femmes souffrant de graves problèmes de la personnalité et du comportement.
Peu de cellules sont adaptées aux mères et à leur bébé
Comment se déroule le quotidien d’une maman en prison? Ici encore, beaucoup dépend de la prison où elle est incarcérée. Les femmes enceintes de plus de six mois sont généralement transférées à la prison de Bruges,
l’histoire d’Ombline, une femme incarcérée
qui donne naissance à son fils en prison.
mieux équipée sur le plan médical. De là, elles sont amenées vers l’hôpital pour l’accouchement. Détail qui n’en est pas vraiment un: pendant leur transfert, ces femmes restent menottées. Jusqu’en 2005, elles accouchaient ainsi entravées! Il a fallu l’intervention de l’ancien délégué général aux droits de l’enfant, Claude Lelièvre pour faire cesser cette pratique. Selon la section belge de l’Observatoire International des Prisons (OIP), aucune présence familiale n’est tolérée pendant l’accouchement et il faut souvent insister pour obtenir un suivi post-accouchement. La Belgique a voté une loi pour la création d’unités spécifiques pour les mères détenues mais en pratique rien n’existe encore. Les choses devraient changer avec la future prison de Haren. Pour le moment, seules deux cellules ont été aménagées pour les mères à la prison de Berkendael et trois autres à Lantin mais bien d’autres mères se retrouvent dans des cellules «normales» avec d’autres détenues. A Berkendael, on compte actuellement quatre bébés. Dans notre pays, l’enfant peut rester avec sa mère jusqu’à l’âge de trois ans. «Un enfant qui vit en prison n’est pas détenu», rappelle Pauline Anne de Molina, psychologue au Relais Enfants- Parents. Il ne devrait pas subir les effets de l’incarcération et en principe, la porte de la cellule devrait rester ouverte. En principe. Dans les faits, il n’existe aucun régime spécifique pour les mamans détenues. Tout dépend du directeur. L’incarcération a-t-elle des effets négatifs sur le développement de l’enfant? Le bébé est, de manière générale, moins stimulé, constate Pauline Anne de Molina. «Quand il sort pour la première fois à l’extérieur, il découvre les voitures, il peut être effrayé à la vue de pigeons, de chiens. Par ailleurs, il est soumis à des bruits qui ne sont pas «naturels», le bruit des portes qui claquent, celui des clés. Ce sont tout de même des choses qui peuvent marquer les tout petits». Le Relais Enfants-Parents travaille avec l’ONE pour assurer le développement du bébé et essaie de convaincre les mères de «laisser sortir» l’enfant de temps à autre. «Quand une maman vit en prison avec son bébé, le lien d’attachement est encore plus fort. On propose aux mères de confier le bébé le week-end au père ou à un autre membre de la famille. On tente de les convaincre d’accepter que les bébés aillent en crèche, pour qu’ils connaissent un autre milieu que la prison». Des volontaires de la Croix-Rouge assurent ce service. Assez curieusement, le SAJ (Service d’Aide à la Jeunesse) n’intervient pas d’office pour assurer le suivi de ces enfants et décider de confier (ou non) le bébé à un parent, le temps d’un week-end ou pour une période plus longue. C’est la mère qui doit décider et faire la demande. Ce n’est pas normal, estime le Relais Enfants-Parents car il s’agit tout de même d’un enfant qui a besoin d’aide et d’une mère qui est fragilisée. Trois ans avec la maman, c’est trop? Trop peu? «Cela dépend d’un cas à l’autre mais il fallait bien mettre une norme, estime la psychologue du Relais Enfants-Parents. Je pense que ce n’est pas une bonne idée de laisser un enfant de trois ans vivre en prison. À trois ans, le lien d’attachement a été créé. L’enfant marche, parle, il a besoin d’espace et d’être en relation avec d’autres enfants».