Le Gouvernement de la Communauté française a soumis au Parlement de la Communauté Française le projet de décret du 6 juillet 2018 modifiant le décret dit «Missions» du 24 juillet 1997.[1] Bien que présenté comme une résultante directe des travaux du Pacte d’excellence, le texte est en réalité l’approfondissement de dispositions adoptées antérieurement qu’il est destiné à remplacer.[2] Contractualisation, «délégués aux contrats d’objectifs» (DCO), scission de la Communauté française dans ses rôles de régulateur et de pouvoir organisateur…
Telles sont les nouveautés!
Le texte est important. Il instaure un tout nouveau mode de gouvernance du système d’enseignement. Celui-ci est basé sur la contractualisation. Il est censé donner plus d’autonomie aux équipes pédagogiques et permettre de mieux atteindre les objectifs généraux du système éducatif. Il implique une réorganisation complète de l’administration et des services d’inspection et suppose la scission de la Communauté française dans ses rôles de régulateur et de pouvoir organisateur, laquelle n’est pas encore acquise.
Contrats et responsabilisation des directions
Le nouveau système est organisé de manière décentralisée par zones. Le pouvoir régulateur, c’est-à-dire, la Communauté française, délègue auprès des pouvoirs organisateurs (PO) et des établissements scolaires de l’enseignement obligatoire, tous niveaux et tous réseaux confondus, des équipes de «délégués aux contrats d’objectifs» (DCO). Ceux-ci définissent des «contrats», à partir du plan d’action stratégique élaboré par chaque équipe pédagogique, qui fixent les objectifs atteindre en six ans et les moyens d’y parvenir. Les actions définies à travers ces «contrats» constituent la contribution de l’établissement scolaire aux objectifs généraux d’amélioration poursuivis par le système d’enseignement dans son ensemble. Ces objectifs visent, pour l’essentiel, la moyenne des résultats de pays de l’OCDE atteints dans les études PISA, dans un certain délai. Dans le nouveau système, le projet d’établissement en est réduit à n’être plus qu’un catalogue de valeurs et d’intentions pédagogiques, au profit du «contrat» qui a un caractère plus directement opérationnel. Le «contrat» est signé par le DCO et le PO, et contresigné par la direction de l’école de telle sorte que sa responsabilité soit engagée. Le PO devra d’ailleurs reprendre dans la lettre de mission, sur base de laquelle la direction est évaluée, les principaux éléments du «contrat». Les objectifs généraux étant déterminés par décret t les objectifs propres à l’établissement scolaire étant de l’appréciation du DCO, l’autonomie des équipes pédagogiques se limite au choix des stratégies, mais celui-ci fait lui-même l’objet de l’appréciation du DCO qui contrôle si les modes d’action choisis par l’école sont en adéquation avec les objectifs fixés. Quel contrôle des résultats? Après trois et six ans, l’activité de l’école est contrôlée par le DCO. En cas d’échec, trois cas de figure se présentent: - l’établissement échoue sans être responsable de l’échec et voit ses objectifs adaptés dans un plan réactualisé; - l’échec de l’établissement traduit «une incapacité ou une mauvaise volonté manifeste» de mettre en œuvre le plan. Dans ce cas, l’établissement fait l’objet d’un «suivi rapproché», d’une «procédure d’audit externe» ou subit des «sanctions» (réduction de moyens de fonctionnement), ou encore, se voit attribuer un «manager de crise» tandis que la direction est écartée; - il s’agit ’un «établissement en difficulté» confronté à des problématiques particulières, qui bénéficie dès lors d’un «dispositif spécifique de contractualisation», avec audit, «dispositif de rattrapage spécifique», évaluation annuelle.
Objectifs d’amélioration
Sept objectifs d’amélioration sont définis et devront être pris en considération pour l’élaboration et la contractualisation des plans de pilotage/contrats d’objectifs:
- améliorer significativement les savoirs et compétences des élèves;
- augmenter la part des jeunes diplômés de l’enseignement secondaire supérieur;
- réduire les différences entre les résultats des élèves les plus favorisés et des élèves les moins favorisés d’un point de vue socio-économique;
- réduire progressivement le redoublement et le décrochage;
- réduire les changements d’école au sein du tronc commun;
- augmenter progressivement l’inclusion des élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire;
- accroître les indices du bien-être à l’école et du climat scolaire.
Des indicateurs
Pour chaque objectif, des indicateurs et des valeurs de référence sont établis à partir des résultats des études PISA. Par exemple, pour l’objectif d’amélioration des savoirs et compétences des lèves, les indicateurs et valeurs de référence suivantes sont choisis: «Indicateur 1: Part des jeunes e 15 ans qui possèdent des compétences moyennes et de haut niveau dans chaque domaine couvert par PISA: sciences, mathématique et lecture. Valeur de référence: Atteindre en 2030 la doyenne des pays voisins aux tests PISA (ce qui signifie passer de 76 à 80% de la population concernée). Indicateur 2: Part des jeunes de 15 ans qui possèdent des compétences de haut niveau dans chaque domaine couvert par PISA: sciences, mathématique et lecture. Valeur de référence: atteindre en 2030 la moyenne des pays voisins aux tests PISA (ce qui signifie passer de 12 à 15% de la population concernée). Indicateur 3: Résultats aux évaluations externes dans l’ensemble des matières couvertes mesurés sur la base du résultat moyen de l’ensemble des élèves. Valeur de référence: Pas de valeur chiffrée définie; amélioration importante attendue». Etc. Quid des enseignant·e·s Dans les écoles, les directions des établissements sont amenées à jouer un rôle plus important dans le leadership des équipes pédagogiques et devraient bénéficier d’une aide administrative renforcée. Elles devraient a minima pouvoir donner un avis lors de l’engagement du personnel enseignant. Du côté des enseignant·e·s, la charge sera redéfinie en cinq fonctions (dans un décret futur prévu pour la rentrée 2018-2019):
- le travail en classe;
- le service à l’école et aux élèves (conseils de classe, conseils pédagogiques, surveillances, remplacements, etc.);
- le travail collaboratif (réunions pédagogiques, projets, coaching des jeunes enseignant·e·s, etc.);
- le travail autonome (préparation des cours et des examens, corrections, etc.);
- la formation continuée (4 à 6 jours obligatoires par an).
Un pouvoir régulateur distinct du pouvoir organisateur
Les nouveaux rapports entre le pouvoir régulateur d’une part, les PO et les écoles d’autre part, impliquent, selon le gouvernement de la Communauté française, «la séparation entre WBE, le réseau d’enseignement organisé par la Fédération et les services du Gouvernement en charge du rôle de régulateur de l’enseignement au sein de deux entités juridiquement distinctes. Il importe en effet que tous les réseaux d’enseignement s’inscrivent dans la même logique de contractualisation avec un pouvoir régulateur dont les services ne peuvent se confondre avec ceux d’un de ces réseaux. Cette séparation doit faire l’objet d’un autre projet de décret qui doit entrer en vigueur concomitamment aux dispositions du présent projet qui concernent la conclusion des contrats d’objectifs.»[3]
D’autres réorganisations
Au niveau de l’administration centrale elle-même, les services doivent être complètement réorganisés pour répondre à la nouvelle architecture du système. Le corps des DCO et les Directions zonales doivent eux mêmes être créés et font l’objet d’un décret distinct.[4] Mais cette transformation a d’autres corollaires qui devront faire l’objet de décrets ultérieurs:
- la redéfinition du rôle de l’Inspection qui n’est plus chargée dans ce cadre d’autonomie et de responsabilisation d’un contrôle systématique du niveau des études;
- la redéfinition du rôle de directrice ou de directeur pour augmenter l’implication du chef d’établissement dans le recrutement des membres du personnel ainsi qu’une plus grande souplesse pour les PO et les directeurs dans la gestion des moyens d’encadrement;
- à côté de leur rôle d’accompagnement dans la conception et la mise en œuvre des plans de pilotage et des contrats d’objectifs, un autre décret devra fixer la base légale de la contractualisation entre les fédérations de pouvoirs organisateurs elles-mêmes et le régulateur.
Patrick Hullebroeck, directeur de la Ligue de l’Enseignement et de l’Education Permanente
[1] Projet de décret du 6 juillet 2018 modifiant le décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre afin de déployer un nouveau cadre de pilotage, contractualisant les relations entre la Communauté française et les établissements scolaires. Doc. parl. 665 (20172018) - N°1. [2] En particulier le chapitre 11 du décret dit «Fourretout» du 4 février 2016 et le chapitre 1 du Décret relatif à la mise en œuvre du plan de pilotage des établissements scolaires (…) du 19 juillet 2017. [3] Exposé des motifs du projet de décret du 6 juillet 2018 modifiant le décret du 24 juillet 1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignementsecondaire et organisant les structures propres à les atteindre afin de déployer un nouveau cadre de pilotage, contractualisant les relations entre la Communauté française et les établissements scolaires Doc. parl. 665 (2017-2018) - N°1. [4] Projet de Décret du 6 juillet 2018 portant création du service général de pilotage des écoles et centres psycho- médico-sociaux et fixant le statut des directeurs de zone et délégués aux contrats d’objectifs. Doc.Parl. 664 (2017-2018) - N°1
Mots clés:
Contrat d'objectifs: Chaque établissement conclura avec la Fédération Wallonie-Bruxelles un “contrat d’objectifs” qui visent, pour l’essentiel, la moyenne des résultats atteints par les pays de l’OCDE dans les études PISA. Les actions définies à travers ces «contrats» constituent la contribution de l’établissement scolaire aux objectifs généraux d’amélioration poursuivis par le système d’enseignement dans son ensemble. Délégués aux contrats d’objectifs (DCO): Les délégués aux contrats d’objectifs définissent des contrats à partir du plan de pilotage établi dans chaque établissement. Répartis sur tout le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, ceux ci s’occuperont chacun d’une trentaine d’école au total et travailleront sous l’autorité directe de neuf directeur·trice·s de zones(DZ). Plan de pilotage: Le “plan de pilotage”, est un plan d’action stratégique élaboré par chaque équipe pédagogique, qui fixe les objectifs à atteindre en six ans et les moyens d’y parvenir.