Février glacial, août torride … Réchauffement or not réchauffement ?

Mardi 25 septembre 2018

L’été 2018 se classe parmi les étés les plus chauds dans nos régions, mais il avait fait très froid en février. Ces faits sont-ils compatibles avec l’hypothèse d’un réchauffement global ? Où en est le « débat » sur le réchauffement climatique ? Que penser des « climatosceptiques » ? Faut-il se faire une opinion parmi ces discours contradictoires ?

Réchauffement climatique et GIEC

Contrairement à ce que l’on croit souvent, le réchauffement climatique par l’activité humaine n’est pas une hypothèse des années 70. En 1896 déjà, le physicien Arrhenius prévoit la possibilité d’une élévation de température due à l’effet de serre consécutif à la combustion de grandes quantités de charbon ou d’autres combustibles (pétrole, gaz). A la fin du 20e, ce réchauffement semble s’amorcer et les indices de responsabilité de l’activité humaine s’accumulent. En 1988, l’ONU met sur pied le GIEC, un comité de spécialistes provenant de presque tous les pays du monde, qui a pour mission d’étudier la totalité des publications scientifiques ayant trait, directement et indirectement, au changement climatique, son origine et ses conséquences. Ces publications scientifiques proviennent, par définition, de revues scientifiques à comité de lecture, où les résultats sont validés par les pairs avant publication : pas Le Soir, ni Trends, ni même Times, qui, quoique sérieux, ne publient pas de résultats scientifiques. Dans ses rapports successifs, et surtout les deux derniers (2007 et 2014), le GIEC confirme les trois points principaux suivants :

  • la température moyenne sur Terre augmente depuis quelques dizaines d’années.
  • cette augmentation est en grande partie due à l’émission de certains gaz dits à effet de serre émis par l’activité humaine (agriculture, transports, chauffage, industrie, etc.).
  • ce réchauffement présente des dangers pour les populations humaines : entre autres, montée des océans, désertification de certaines régions, augmentation de la fréquence de phénomènes extrêmes.

Or il se trouve néanmoins beaucoup de personnes (dites « climatosceptiques ») mettant en doute ces résultats navrants. Elles affirment par exemple : « il n’y a pas de réchauffement » ; ou « j’admets le réchauffement mais ça n’a pas de rapport avec l’activité humaine » ; ou encore, « j’admets le réchauffement mais cela ne présente pas de danger pour les populations humaines ». Comment y voir clair dans cela ? Doit-on « se faire une opinion » en consultant « différentes sources » ?

Premiers arguments climatosceptiques

Commençons par les arguments climatosceptiques de faible niveau (6e primaire - début secondaire) ; « Il a fait un froid glacial au Nouvel An. Où est le réchauffement ? » (tweet de D. Trump le 31 décembre dernier). « On a mesuré des taux de gaz à effet de serre sur un volcan, c’est idiot, le volcan a perturbé les mesures ! ».  « Le réchauffement est dû au soleil, c’est tout ». C’est vraiment prendre les scientifiques pour des imbéciles ! Pense-t-on vraiment que des professionnel·le·s de la chimie atmosphérique, ayant consacré une grande partie de leur vie à des mesures de dioxyde de carbone sur un volcan, n’ont pas tenu compte de l’activité de ce volcan pour corriger les données ? Et pense-t-on vraiment qu’avant de conclure sur le réchauffement, on n’ait pas eu l’idée de mesurer précisément l’activité solaire ? Quant à D. Trump, faut-il vraiment lui répondre ? Une vague de froid localisée sur une petite région du globe (côte est d’Amérique du Nord : à peine 3% de la surface du globe) ne signifie évidemment rien sur des tendances à l’échelle de la Terre.

Objections plus impressionnantes

D’autres arguments plus impressionnants proviennent de sceptiques ayant un peu plus de connaissances en sciences. « L’atmosphère relève de la théorie du chaos : on sait qu’un papillon qui bat des ailes en Australie peut provoquer une tornade dans le Kansas dans 3 semaines. Si le temps est si difficile à prédire à quelques jours, comment peut-on prétendre prévoir ce qui va se passer dans 10 ans ? ». Pour comprendre ceci, il faut bien noter la différence entre météorologie (qui tente de répondre à des questions comme : « quel temps fera-t-il à tel endroit, à tel moment? ») et climatologie (« quelles sont les tendances moyennes sur des échelles de temps de l’ordre de plusieurs mois, années, siècles? »). Ainsi, en vertu du caractère partiellement chaotique[1] de la météo, personne ne saura jusque vers le 10 mai 2020 quel temps il fera à Bruxelles le 24 mai de cette année-là. Mais le simple fait que personne ne projette de partir aux sports d’hiver sur les dunes de l’est marocain ce jour-là prouve qu’il existe tout de même des tendances moyennes parfaitement prévisibles : le climat n’est pas chaotique. Il faut déjà une certaine culture scientifique pour faire face à ce genre d’arguments[2] : ce n’est malheureusement pas toujours le cas des journalistes face à un sceptique parlant fort, comme Claude Allègre[3].

« Les scientifiques ne sont donc pas unanimes ! J’ai vu un débat sur le réchauffement à la télévision»

On entend en effet souvent parler de « débat » sur le réchauffement climatique, son origine humaine et ses dangers. Pourtant, sur ces trois points, il n y a plus de débat entre scientifiques ! Un climatosceptique, B. Peiser, a cherché les publications scientifiques contredisant le réchauffement climatique pour tenter de prouver un prétendu désaccord sur le sujet : il n’en a finalement pas trouvé[4]. En fait, les seuls débats concernent non pas l’existence, mais l’ampleur du phénomène (« 80 ou 150 cm de montée des océans en 2100 ?»). Des pseudo-débats peuvent avoir lieu à la télévision, mais pas entre personnes s’exprimant sur la question dans des revues à comité de lecture. Il s’agit plutôt de personnes médiatiques, qui n’ont aucunement étudié sérieusement la question, qui livrent une opinion personnelle sur le sujet. Or, la thèse du réchauffement d’origine humaine n’est pas de l’ordre de l’opinion, mais un fait vérifié qui fait consensus chez les personnes étudiant la question. Un « débat » sur cette question n’a en fait pas d’objet : autant débattre sur le résultat de 3 + 4, ou sur l’existence du Manneken Pis rue de l’Etuve à 1000 Bruxelles.

« Il y a un consensus : c’est malsain qu’il n’y ait pas de débat. »

« Le débat est sain, il faut des avis contradictoires ». Voici un mythe humaniste que les journalistes invoquent, estimant alors que les climatosceptiques doivent avoir le même temps de parole que les « réchauffistes ». Certes, dans de nombreux domaines (politique, famille, choix pédagogiques, etc.), le débat contradictoire fait progresser. Y compris en science, tant qu’une hypothèse n’est pas prouvée ! Mais un débat sur un fait scientifique prouvé n’est ni sain ni malsain : il est juste inutile et sans objet. Le fait que des personnes déploient du temps et de l’énergie pour contester ce qui a été établi à l’unanimité par des spécialistes de la question ne devrait pas inciter les journalistes à proposer un « débat », mais plutôt à s’interroger : quels sont leurs motivations ? leurs stratégies ? leurs buts ?

« Les scientifiques interprètent leurs résultats dans le sens du réchauffement car ils sont manipulés. »

Voici souvent l’argument ultime des climatosceptiques : les scientifiques falsifient ou orientent leurs résultats dans le sens de la thèse du réchauffement, ceci sous la pression de groupes plus ou moins mystérieux (lobbys écologistes, pro-nucléaires, etc.), ou sous celle du consensus général qui interdirait une idée dissidente. En clair, « cette unanimité est bien suspecte. » Pour comprendre pourquoi cette hypothèse ne tient pas, il faut réfléchir à cette question : qui sont ces « scientifiques », souvent présentés comme un bloc monolithique ? Sont-ils si influençables que cela ? Des dizaines de milliers de personnes, vivantes ou décédées, sont à l’origine (directement ou très indirectement) des conclusions sur le réchauffement, et il faut bien comprendre qu’elles ne constituent pas un groupe homogène de « climatologues » qui se connaissent, tous focalisés sur ce sujet à temps plein et cherchant à prouver que la température augmente. Il s’agit au contraire d’un ensemble disparate de professionnel·le·s sans lien les uns avec les autres, travaillant sur des sujets très différents, souvent sans rapport direct avec le climat : astronomes mesurant le flux de lumière solaire, ingénieur·e·s envoyant des satellites, glaciologues découpant des carottes de glace, botanistes étudiant la croissance des arbres, volcanologues, météorologues, spécialistes en physique des fluides, en pollens anciens, en courants océaniques, en magnétisme, en géophysique, en chimie de la haute atmosphère, en datation des roches, etc. Voici donc des scientifiques qui ne se connaissent pas, qui publient depuis plus de cent ans leurs résultats qui en général n’ont rien à voir avec le réchauffement, utilisant les travaux des uns et des autres pour étayer leurs propres recherches sans se soucier de qui va les utiliser et pourquoi. Beaucoup ne sont pas spécialement écologistes ni anti-pétrole (les scientifiques sont automobilistes comme tout le monde et utilisent beaucoup l’avion pour les colloques !). Certains peut-être ne savent même pas ce qu’est le réchauffement global, certains s’en moquent peut-être. Comment une communauté aussi disparate, protéiforme, sans intérêt commun, dont les succès dans d’autres domaines que le réchauffement sont incontestables, dont beaucoup de membres sont décédés il y a longtemps, pourrait-elle se tromper ou mentir de concert sous la pression de lobbys ? Par exemple, des astronomes étudiant l’activité solaire au 20e n’ont jamais su que leurs résultats ont été utilisés pour compléter les données astronomiques modernes utilisées pour comprendre les causes de l’actuelle augmentation de température. Ce serait un anachronisme grotesque d’affirmer que des scientifiques en 1950 ont publié des résultats sur l’état du soleil sous la pression des lobbys pro-nucléaires, à une époque où le mot « climatosceptique » n’existait pas encore. Plus proches de nous, les botanistes ou les géologues de 2018 font leur travail, sans que des éco-lobbyistes acharnés les attendent à la porte de leur laboratoire. Ainsi la diversité de la science, la spécialisation de personnes dans des domaines variés, contribuant à une compréhension du monde cohérente faisant ses preuves en permanence, est la meilleure garantie contre la possibilité de l’erreur ou du mensonge sous pression d’un groupe d’intérêt.[5]

Hologramme au service de la CIA

Le réchauffement global et les trois principales conclusions du GIEC ne sont donc plus une opinion, mais accèdent au statut de fait, comme est un fait l’existence du Manneken Pis rue de l’Etuve à 1000 Bruxelles. Personne ne conteste cette réalité avec laquelle il faut composer si on se promène dans la capitale. Certes, rien n’interdit d’en penser ce qu’on veut (« le Manneken Pis n’existe pas - c’est un hologramme fabriqué par la CIA pour espionner les touristes chinois »), mais cette hypothèse n’apporte rien d’utile à personne. Dans le cas du réchauffement, il est bien dommage de perdre du temps ainsi en « débats » stériles, alors que la situation nécessite action plus que discussion.

Le GIEC, Cassandre moderne ?

De façon amusante, le meilleur compliment qu’on puisse faire aux scientifiques du GIEC vient justement de certains climatosceptiques. Je veux parler de ceux qui les appellent les « cassandres modernes ». Ils feraient mieux d’étudier plus en détail la mythologie grecque : car ils ont oublié (ou n’ont jamais su) que Cassandre, personnage apportant de mauvaises nouvelles, avait raison.  

François Chamaraux, docteur en physique, enseignant en sciences  

[1] les mathématiques donnant un sens précis à ce terme souvent mal compris [2] voir sous forme de questions et réponses : http://23dd.fr/climat/les-climatosceptiques/climatosceptiques-objections-et-reponses [3] géophysicien français, ancien ministre de la Recherche, climatosceptique très médiatisé. Dans son ouvrage Ma vérité sur la planète, (éditions Plon, 2007), il expose cet argument indigne d’un docteur en physique ! [4](cf http://scienceblogs.com/illconsidered/2006/03/what-about-peiser/). [5] ce qu’explique très bien Jean-Marc Jancovici sur le site de référence www.manicore.com  

oct 2018

éduquer

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