Quel accueil des enfants migrants à l’école?
Mercredi 5 décembre 2018
D’ici la rentrée de 2019, les écoles recevront de nouvelles directives et des moyens supplémentaires pour accueillir les élèves primo-arrivants.
La scolarisation des jeunes migrant·e·s est le levier d’action prioritaire pour accueillir «dignement les mineurs étrangers et en faire les futurs citoyens belges de demain…» soulignaient en avril 2107, les associations veillant à
la bonne application de la Convention relative aux droits de l’enfant en Belgique, réunies sous le nom de CODE. Leur scolarité devrait être «au cœur des préoccupations de l’État belge puisqu’il en a l’obligation de par ses engagements internationaux (…) Il est urgent de faire des DASPA une priorité». Un message que la Fédération WallonieBruxelles semble avoir entendu puisque dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d’Excellence[1], la ministre de l’Éducation Marie-Martine Schyns, rédige actuellement un nouveau décret qui concerne la scolarisation et l’accompagnement des élèves allophones qui ne maîtrisent pas le français. La ministre prévoit dès la rentrée prochaine de contrecarrer les failles du système actuel des classes DASPA, ces Dispositifs d’Accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants. Pour rappel, ces DASPA[2] assurent l’accueil, l’orientation et l’insertion des élèves Primo-Arrivants dans le système éducatif en FWB en proposant une étape de scolarisation intermédiaire d’une durée limitée, en attendant l’intégration dans une classe de niveau.
Qui pourra aller en DASPA?
Les élèves considérés comme «primo» doivent dans un premier temps, répondre à ces deux conditions: être âgés d’au moins 2 ans et demi et de moins de 18 ans et être arrivés sur le sol belge depuis moins d’un an. Dans les faits, cette deuxième condition peut exclure des élèves du système DASPA, comme ceux qui seraient d’abord passé par l’enseignement néerlandophone en arrivant en Belgique et qui dans l’intervalle, séjourneraient depuis plus d’un an sur le territoire belge. En théorie, une troisième condition exige que les primo-arrivants soient: réfugié, enfant de réfugié, apatride, ressortissant d’un pays considéré comme en voie de développement (liste OCDE[3] ) ou d’un pays en transition aidé par le Comité d’aide au développement de l’OCDE. En pratique, les écoles sont régulièrement confrontées à cette sélection arbitraire selon l’origine, comme le souligne cette institutrice titulaire d’un DASPA: «les classes accueillent essentiellement les Roms, les Bulgares et les Polonais qui n’ont en principe pas accès aux DASPA. C’est à nous de jongler avec cette absurdité, ce n’est pas normal». En principe, dès la rentrée 2019, ce critère de nationalité sautera. Le nouveau décret permettra d’atteindre tous ces enfants ne maîtrisant pas le français. Un budget supplémentaire de 12 millions d’euros est prévu à cet effet.
Mieux encadrer les écoles
Pour accueillir ces élèves, les établissements scolaires avaient jusqu’ici carte blanche pour organiser les classes DASPA comme ils l’entendaient à condition de dispenser 15 périodes de français et 8 périodes de mathématiques, sciences et autres. Mais la pratique a montré ses limites plus d’une fois. En laissant une trop grande autonomie aux écoles, certaines ne sont pas parvenues à mélanger les enfants de DASPA au reste des élèves. Pour contrer l’effet ghetto des DASPA, le décret imposera dorénavant une «immersion individualisée» pour chaque enfant en obligeant les écoles à organiser une intégration progressive de ces élèves primo-arrivants dans leurs classes de niveaux. Afin d’encourager les équipes pédagogiques à prendre collectivement en charge de ces enfants migrants, le Pacte souhaite parvenir à une «reconnaissance des pratiques collaboratives et des heures de collaboration», ce qui pourrait créer plus de solidarité entre les professeurs.
Coller aux réalités des DASPA
Depuis le décret du 18 mai 2012 qui a remplacé les classes-passerelles par des DASPA, l’enveloppe des moyens financiers destinés aux écoles organisant un ou plusieurs DASPA, était fermée. Chaque année, les écoles recevaient les budgets en fonction d’une moyenne du nombre d’enfants inscrits dans leur DASPA. Pourtant, le fait est que les élèves primo-arrivants vont et viennent, dépendants qu’ils sont de leurs parents et de leurs parcours, des places en centre d’accueil, de la politique migratoire fédérale, des centres d’accueil qui ouvrent et puis qui ferment… «Quand un centre ferme, ce sont des centaines d’enfants qui sont déplacés. Dans les écoles, cela a été difficile de pouvoir réagir correctement et de les soutenir car le décret ne le permettait pas. Cela prenait parfois deux mois pour octroyer des budgets supplémentaires à des écoles qui tout d’un coup accueillaient des dizaines d’enfants en plus». À l’avenir comme l’explique Marion Beeckmans, conseillère cabinet de l’Éducation, «Au lieu de partir sur une moyenne d’élèves pour subventionner les DASPA, on partira du nombre réel d’élèves inscrits. Cela sera rendu possible par un comptage à plusieurs dates dans l’année». Une autre mesure du décret devrait permettre aux écoles d’ouvrir plus facilement un DASPA, sans devoir passer par un accord du gouvernement comme c’était le cas jusqu’à présent. Les DASPA ne seront plus limités à un appel à candidatures. Il suffira qu’une école accueille plus de 8 élèves primo-arrivants pour organiser ce dispositif. Par ailleurs, le temps en DASPA pour les élèves non alphabétisés ne sera plus limité à maximum 1 an et demi mais bien à 2 ans.
Formation et soutien psychologique
«Nous manquons de formation pour pouvoir soutenir psychologiquement les élèves DASPA, témoigne une enseignante. Malgré tout notre intérêt, nous nous retrouvons bien souvent désarmés face à la souffrance de ces enfants traumatisés et ce sont eux qui en paient les conséquences. C’est grave». Pour cette autre institutrice, même constat: ses collègues et elle ne se sentent pas formées pour répondre à la détresse psychologique de ces familles primo-arrivantes. «À chaque rentrée, c’est le flou. Combien va-t-on en avoir et pourrons-nous les accueillir correctement? Comment va-t-on s’y prendre avec les familles pour leur expliquer le fonctionnement même de cet accueil en DASPA? Comment vont-elles supporter la séparation? Chaque fois, ce sont des pleurs pendant une semaine puis petit à petit, on gagne leur confiance, on avance. Puis les épreuves externes arrivent et les enfants paniquent… On est bien souvent démunis face à ce système scolaire trop rigide». Du côté du cabinet de la ministre de l’Éducation, on estime que ce n’est pas à l’école d’assumer le suivi psychologique de ces enfants. «C’est le travail des PMS. Néanmoins, les enseignants et les centres PMS doivent prendre en compte la détresse psychologique de ces enfants et adapter leur enseignement. Des formations continuées existent. Le Pacte proposera d’inclure dans la formation initiale des enseignants, le français langue étrangère et le français langue de scolarisation».
Maud Baccichet, Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente
[1] Point OS 4.9 de l’avis n°3 du Pacte: «S’assurer de la maîtrise de la langue de l’apprentissage par tous les élèves». P 287. [2] www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/39259_000. pdf [3] L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) a établi une liste de pays en voie de développement dans l’article 2 de la loi du 25 mai 1999.