Pacte: la nouvelle gouvernance votée mais controversée
Mercredi 3 octobre 2018
La majorité a finalement été appuyée par le groupe DéFi pourtant très frileux, pour faire passer plusieurs décrets visant à modifier la gouvernance des écoles de la Fédération. L’opposition critique la méthode, la précipitation et les incohérences des textes ainsi que le manque de considération pour le terrain.
Les dernières enquêtes PISA mettent à nouveau en avant le fait que l’enseignement en Communauté française reste très inégalitaire. Par ailleurs, lapénurie d’enseignants et d’enseignantes gagne du terrain et les directions croulent sous les tâches administratives. Il est temps de revoir le système scolaire en mettant les écoles à contribution et en fédérant chaqueétablissement autour d’un projet motivant pour les équipes, les élèves et les parents. Sur ce point-là, tou·te·s les député·e·s sont d’accord. Conscients et conscientes de l’urgence de réformer l’enseignement, ils/elles ne partagent malheureusement pas la même vision de ce que pourrait être l’école de demain et les moyens d’y parvenir. Les premiers textes présentés en vue d’améliorer le système scolaire francophone ont récolté de nombreuses critiques de la part de l’opposition, y compris de la part du groupe Défi qui, finalement soutiendra la majorité lors du vote en séance plénière.
Des critiques de toutes parts
Depuis quelques semaines, nombreuses sont les réactions qui émanent des partis de l’opposition, des fédérations de pouvoirs organisateurs, des organisations syndicales et même du Conseil d’État à l’encontre des textes de la majorité. Tout d’abord, l’ordre des travaux ne plaît pas. Ces deux textes auraient dû être précédés d’un accord sur la séparation des rôles entre pouvoir organisateur et pouvoir régulateur du réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement. Pour MR et Ecolo, les plans de pilotage des écoles, pourtant votés lors de la séance plénière du mercredi 12 septembre, respirent davantage le contrôle dans les écoles, la bureaucratie et la pression sur les directions que l’autonomie des équipes pédagogiques, la dépolitisation du système de gouvernance ou encore, le bien-être à l’école. Deux craintes donc restent très présentes. D’une part, le fait que le système mis en place reste encore très contrôlé par le politique et pas par ces acteurs de terrain, et d’autre part, le fait qu’il ne permette toujours pas un enseignement de qualité accessible à tous.
Le conservatisme de la majorité
La désignation des Délégués au contrat d’objectifs (DCO) et des Directeur·rice·s de zone (DZ) ainsi que leurs missions auprès des écoles, restent floues. Qui seront-ils/elles? La députée PS Véronique Jamoulle se veut pourtant rassurante, «ces DCO et DZ vont devenir un des éléments essentiels de la nouvelle gouvernance, on ne va pas se risquer à commettre des erreurs. La procédure sera très encadrée, un jury externe de désignation sera mis en place et tout sera objectivé». Il n’empêche que du côté d’Ecolo et de la députée Barbara Trachte, on espérait «une proposition de découplage plus démocratique qu’une désignation complète par le gouvernement qui restera le reflet de la majorité en Fédération Wallonie-Bruxelles. En Flandre, les écoles et les parents participent concrètement à la démocratie scolaire et élisent leurs représentants. Ici, il n’y a pas une telle confiance». La députée DéFI Joëlle Maison déclarera en séance, être, elle aussi, contre «la méthode utilisée et le conservatisme» de la Ministre, ajoutant «pour réformer correctement, il ne faut pas que ce soit le politique qui continue de chapeauter notre enseignement. J’invite la Ministre à se remettre en question et à s’interroger sur ses pratiques. L’école a besoin de personnes issues de la société civile, des parents et des enseignants pour évoluer en phase avec son temps». Son groupe soutiendra pourtant les projets de la majorité. Pour le MR et la cheffe de groupe Françoise Bertieaux, on estime également que «ce qui est proposé ne renforce absolument pas l’autonomie des équipes pédagogiques. Nous sommes effrayés par le mastodonte qui devrait se mettre en place avec la désignation des délégués aux contrat d’objectifs et des directeurs de zone, à savoir près de 600 personnes pour les nouveaux pouvoirs organisateurs. Ça sent clairement le ‘recasage’ des cabinets…»
Vision managériale de l’école?
Les contrats d’objectifs et leurs indicateurs inquiètent particulièrement le groupe Ecolo qui y voit clairement l’intrusion d’une gestion managériale dans l’école. Pour Barbara Trachte, «c’est clairement du langage de boîtes rivées et pas d’école. En dépit des bonnes intentions du Pacte, ces décrets vont générer de la bureaucratie et renforcer le marché scolaire. D’autant plus que la majorité passe à côté de certaines missions prioritaires de l’enseignement en faisant le choix de quantifier les objectifs que doivent se fixer les écoles en termes de réussite plutôt qu’en les soutenant pour changer les pratiques et aller vers plus d’autonomie et d’émancipation». Pour la députée DéFI Joëlle Maison, en revanche, pas de souci avec le vocable et la contractualisation des écoles, «c’est précisément cette contractualisation qui est la clé de voûte et la condition de réussite du Pacte d’excellence. Les écarts de performance entre écoles se creusent de plus en plus, il faut réagir, fixer des objectifs et évaluer les avancées des écoles.» Le PS se défend et se veut rassurant: «Les mots m’importent peu», explique Véronique Jamoulle, «ce qui m’importe c’est ce que seront les termes du contrat et comment les équipes pédagogiques seront en dialogue avec les délégués et l’administration, et que cela soit efficient et motivant pour tous». De son côté, la députée cdH, Isabelle Stommen, souligne tout de même que «fixer des objectifs clairs et précis sur base d’un diagnostic établi à l’aide d’indicateurs chiffrés n’est pas dans l’habitude des écoles. Les équipes mettront sans doute du temps à s’y adapter et auront besoin de soutien». Pour rappel, les écoles pourront se voir sanctionnées si elles ne remplissent pas leurs objectifs. Et de ce fait, on peut se poser la question de savoir quels objectifs d’amélioration, une école déjà en difficulté devrait se fixer, au risque de ne pas les remplir et de se voir sanctionnée. Pour Barbara Trachte, «sincèrement, je doute de l’efficacité de ce qui sera mis en place et essentiellement pour les écoles qui sont déjà en difficulté. Je suis persuadée qu’il aurait mieux valu se tourner vers les équipes pédagogiques pour savoir ce qu’elles souhaitent mettre en place et ce dont elles ont besoin pour y parvenir. Ce sont elles qui savent comment mieux répondre aux missions de l’école, comment veulent-elles se mettre en projet, s’évaluer, se fixer des objectifs. Le tout, en lien avec l’administration bien évidemment».
Une scission ou rien
Les deux premiers textes du Pacte sont donc passés en plénière au Parlement le 12 septembre. La procédure de sélection des DCO et DZ sera prochainement enclenchée mais elle restera «dans l’attente» d’un accord entre l’opposition MR et la majorité au sujet de la fameuse scission entre le pouvoir organisateur et le pouvoir régulateur de l’enseignement organisé par la Fédération. Soulignons que si le MR s’oppose à la scission telle que présentée par la ministre Schyns, les décrets votés seront caducs et les désignations des futurs DCO et DZ suspendues. En cela, les votes des textes Pilotage et DCO sont prématurés. Au moment de la rédaction de cet article, les négociations sont toujours en cours. Si Véronique Jamoulle défend le fait que «cette scission semble plus que jamais essentielle pour parvenir à doter le réseau WBE d’une identité propre, d’un vrai financement et d’une gouvernance qui ne soit pas celle du ministre», pour obtenir l’adhésion des libéraux, la majorité devra satisfaire plusieurs conditions que la députée Françoise Bertieaux rappelle: «nous ne voulons pas d’un système qui ne pourra être vecteur de changement. Nous ne voulons pas que cette scission soit de papier, le simple vote d’un décret qui n’aboutira pas à donner plus d’autonomie aux établissements du réseau Wallonie-Bruxelles. Enfin, nous voudrions des éclaircissements sur le périmètre de la scission. Faut-il simplement une scission pour l’enseignement obligatoire afin de réaliser le Pacte ou envisageons-nous une scission entre les fonctions de pouvoir organisateur et de pouvoir régulateur pour l’ensemble des réseaux de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans toutes ses composantes?» Trouver une majorité des 2/3 nécessaire à la scission risque d’être une gageure pour le gouvernement de la Communauté française, DéFI et Ecolo ayant déjà décliné l’invitation. Quant au MR… le président, Olivier Chastel ne déclarait-il pas récemment son opposition à la forme juridique d’une OIP, suggérée par le gouvernement de la Communauté française?
Maud Baccichet, secteur communication