Qu’il s’agisse de la contractualisation, de la définition des objectifs généraux, de la réorganisation de l’administration, la réforme peine à convaincre la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente.
Pseudo contrat
Le nouveau système est basé sur une définition contractuelle des rapports entre le pouvoir régulateur, les P.O et les établissements scolaires. Que la forme du contrat soit requise dans les conventions entre personnes privées, ou, par extension, qu’un contrat définisse les droits et devoirs convenus entre un pouvoir public et une entité privée à qui il délègue une mission, cela s’entend. Mais la forme du contrat est-elle appropriée pour caractériser les relations entre une autorité publique et ses propres institutions ou entre l’État et les services publics qu’organisent d’autres pouvoirs publics? Or, de quoi parle-t-on? De l’organisation générale du système éducatif d’un État moderne ou seulement de l’organisation de la relation qu’entretient cet État avec les initiatives privées à qui il délègue certaines missions qu’il subventionne? Il semble qu’on prenne partie pour le tout et que ce soit celle-ci qui doive servir de modèle au système dans son ensemble, contraignant l’État à entretenir avec ses propres écoles ou avec elles des autres pouvoirs publics, la forme de relation qui convient au privé. Qui plus est, il s’agit en vérité dans le cas présent moins de véritables contrats que d’une relation pseudo contractuelle.
Approbation réciproque?
Le Conseil d’État lui-même, garant du respect de la liberté d’enseignement, se montre circonspect à l’égard de la nature véritablement contractuelle des relations entre le pouvoir régulateur, les PO et les établissements scolaires: «Il ressort de l’article 67, §§ 2 et 6, en projet du décret missions que, lorsque le plan de pilotage élaboré par un établissement d’enseignement est approuvé par le délégué au contrat d’objectifs, il constitue le ‘contrat’ d’objectifs de l’établissement, ‘conclu entre le pouvoir organisateur et le Gouvernement’. La notion de ‘contrat’ d’objectifs semble toutefois inappropriée. En effet, pour qu’il y ait un contrat, il faut un échange de consentements réciproques obtenus après de libres négociations, et la naissance entre les signataires de droits et obligations réciproques. Or, si l’on perçoit bien que la conclusion d’un contrat d’objectifs fait peser des obligations sur un établissement scolaire, les droits qu’il en retire n’apparaissent pas clairement».[1] Dans sa réponse, la Ministre insiste sur les engagements réciproques des parties et sur le fait que «le contrat traduit une approbation réciproque» qui intervient au terme de la procédure de concertation entre le DCO et l’établissement scolaire. Sur le plan notionnel, ajoute la Ministre, l’expression de «contrat d’objectifs» permet de distinguer ledit contrat du plan de pilotage établi par l’école. Le Conseil d’État ne se satisfait pas de cette explication et persiste dans son avis: «Il n’empêche que le pouvoir organisateur n’est pas libre de refuser la conclusion d’un tel contrat puisqu’il s’agit d’une obligation dont le non-respect peut conduire au retrait des subventions. Quant à la liberté dans les négociations, elle semble très limitée puisque le dernier mot appartient au délégué au contrat d’objectifs, chargé d’approuver- ou pas - ce ‘contrat’. Mieux vaudrait dès ors utiliser la notion de ‘plan de pilotage approuvé’.» Le Conseil d’État ne sera pas suivi. La liberté de l’enseignement conduit ainsi à une solution biaisée, basée sur des pseudos contrats, conçue pour associer à la politique d’enseignement définie par l’autorité publique, les initiatives privées qui résultent de cette même liberté d’enseignement. Au prix, nous le verrons plus loin, de la relégation de son propre pouvoir d’initiative, dans une forme juridique distincte, qui l’éloigne des principes d’un pouvoir public organique.
Autonomie factice
Mais l’analyse conduit à suspecter, au-delà de la nature contractuelle - ou non - du «contrat d’objectifs», que ce qui devrait la sous-tendre, à savoir, la liberté, ou pour le dire autrement, l’autonomie des parties contractantes, fait également défaut. C’est dans ce sens que va l’analyse du Conseil d’État dans le même avis: «Il ressort en effet de l’article 67,§ 6, en projet du décret missions que le délégué au contrat d’objectifs est notamment chargé d’analyser l’adéquation du plan de pilotage aux objectifs généraux, et qu’en cas de constat négatif, il lui appartient d’émettre des recommandations à destination de l’établissement en vue d’adapter le plan de pilotage. Si près analyse du plan tel qu’adapté par l’établissement, le délégué au contrat d’objectifs ne l’approuve toujours pas, une procédure menant au retrait de subventions pourra être enclenchée. Compte tenu des conséquences liées à l’analyse faite par le délégué au contrat d’objectifs, on peut considérer qu’il détient un pouvoir important. Or, le plan de pilotage comporte non seulement les objectifs spécifiques que l’établissement compte poursuivre en vue d’atteindre les objectifs généraux, mais également les stratégies (c’est-à-dire les actions concrètes) qu’il compte mettre en place à cette fin. À priori, l’analyse du délégué au contrat d’objectifs portera donc également sur l’adéquation entre les stratégies mises en place par l’école et les objectifs qu’elle se fixe et ce, contrairement à l’intention exprimée ci-dessus par le délégué de la Ministre de «laisser les établissements construire les solutions qui leur paraissent les plus adéquates». Tel qu’il est rédigé, le dispositif - spécialement l’article 67, §6, 2°, en projet - est susceptible de porter atteinte à la liberté des méthodes pédagogiques, ce qui paraît disproportionné au regard de la liberté d’enseignement». Ainsi, loin d’apporter une plus grande autonomie aux équipes éducatives et de leur donner la pleine responsabilité de leurs choix pédagogiques et organisationnels, - une mesure réclamée de longue date par la Ligue - le nouveau système dissémine, au plus près des écoles, des délégués investis de l’autorité de l’État, qui, par on ne sait quelle magie ou quelle prescience technocratique, seraient mieux à même que les équipes pédagogiques elles-mêmes, de décider des objectifs pédagogiques et des stratégies à mettre en œuvre, pour les élèves de leur propre école.
Risques de rester sur des objectifs de gestion
Que l’autorité publique veuille contrôler l’utilisation des moyens publics qu’elle octroie à des initiatives privées n’est pas contestable. Mais faut-il, pour autant, que ce contrôle s’introduise jusque dans la détermination des objectifs pédagogiques et le choix des moyens que font les enseignant·e·s, au risque de substituer, à des objectifs concrets, définis en relation directe avec l’activité menée en classe par les enseignant·e·s, des objectifs de gestion, conçus au niveau du pilotage de l’ensemble du système d’enseignement? Que les indicateurs et de telles valeurs (par exemple: «Indicateur 1: Part des jeunes de 15 ans qui possèdent des compétences moyennes et de haut niveau dans chaque domaine couvert par PISA: sciences, mathématique et lecture) de référence aient un certain sens pour les observateurs du système éducatif au plan macro, - et en acceptant que la construction de telles données soit autre chose qu’un pur rêve statistique - il est douteux qu’ils puissent servir de guide dans l’élaboration d’un plan d’actions au niveau d’un établissement scolaire et, comme beaucoup de spécialistes le pensent, que des objectifs d’une telle nature aient la moindre signification éducative. Il s’agit là, dans le meilleur des cas, d’objectifs de gestion, mais d’objectifs pédagogiques ou éducatifs, aucunement. Le système de pilotage qui se met en place rabaisse l’action éducative des enseignants et des établissements scolaires à l’ambition d’un boulier compteur. Mieux vaudrait, à l’inverse, repartir de la relation éducative réelle, c’est-àdire, du rapport concret de l’enseignant·e avec ses élèves dans l’acte d’apprendre, pour fixer des objectifs qui soient en relation directe avec ce qu’enseigner et apprendre veulent dire.
Les implications d‘une scission
Le gouvernement de la Communauté française a présenté aux autres partis le jeudi 23 août ses propositions de scission entre WBE, le réseau d’enseignement organisé par la Fédération et les services du Gouvernement en charge du rôle de régulateur de l’enseignement au sein de deux entités juridiquement distinctes. En d’autres mots, le gouvernement s’est engagé dans une réforme en profondeur du système éducatif qui suppose la réorganisation complète de son propre réseau d’enseignement, sans s’être assuré au préalable de garantir à celui-ci un mode de fonctionnement efficace. N’eût-il pas été plus logique, pour la bonne gouvernance de l’État, de son propre réseau et du système d’enseignement dans son ensemble, de procéder à l’inverse: créer d’abord les nouvelles structures nécessaires au bon fonctionnement du réseau de la Communauté française, celles-ci mises en place, de réorganiser l’administration en scindant les rôles de régulateur et de pouvoir organisateur, puis, de mettre en route le nouveau système de gouvernance du système d’enseignement?
Mais la Ministre, fort attachée au réseau libre a sans doute un autre ordre de priorité qui la rend moins directement soucieuse des destinées du réseau dont elle a la charge directe.
Le gouvernement a entamé à cette fin des consultations avec les autres partis représentés au Parlement de la Communauté française. Cette scission suppose, en effet, pour être adoptée, une majorité des deux tiers. De l’avant-projet mis sur la table par le gouvernement, peu de choses ont déjà filtré. Il est vrai que l’enjeu est d’importance. Dans le délicat équilibre entre les réseaux qui prévaut depuis le Pacte scolaire, la Communauté française assure le libre choix et peut, d’initiative, créer des établissements scolaires là où le besoin s’en fait sentir. D’autre part, l’enseignement de la Communauté française, c’est-à-dire, exétat, n’est pas subventionné mais financé par la Communauté. Celle-ci assure l’intégralité du financement de ses écoles qui ne peuvent avoir d’autres ressources que celles que lui verse la Communauté, à la différence de l’enseignement subventionné public ou privé qui peut compléter les subventions reçues de la Communauté française. À cet égard, plusieurs questions importantes se posent:
- Comment la nouvelle forme juridique va- t-elle préserver les caractères propres de l’enseignement de l’État et garantir le plein respect des principes du service public organique, en particulier la nature publique de la personnalité juridique, la continuité du service, l’égalité des usagers?
- Comment la nouvelle organisation va- t-elle assurer le droit d’initiative de la Communauté française de créer des écoles ou des sections d’écoles pour assurer le libre-choix, partout où le besoin s’en fait sentir
- Comment la nouvelle forme juridique va-t- elle garantir à l’avenir le plein financement des écoles du réseau de la Communauté française au lieu d’en faire un réseau subsidié, qui, ne pouvant s’appuyer sur d’autres sources de subsides (d’origines publiques ou privées), sera rapidement exposé l’étranglement?
- Que deviennent les infrastructures scolaires de la Communauté française? Comment seront-elles, ainsi que leur entretien, financées à l’avenir?
Or, la forme juridique du pouvoir or- ganisateur qui est évoquée dans la presse soulève à cet égard de nombreuses interrogations: il serait question d’un organisme d’intérêt public (OIP). Mais pourquoi ne pas envisager d’autres voies, telle, par exemple, la reprise des écoles du réseau de la CF par les Régions? L’importance de la décision justifierait que toutes les voies soient explorées et qu’elle fasse l’objet d’un débat public, au lieu simplement, d’une négociation à huis clos pour former une majorité alternative dans un conclave secret. Les organes de décision, leur composition et leurs responsabilités, les procédures de décision qui seront adoptés posent tout autant de questions: le modèle s’inspirera-t-il de l’expérience du réseau flamand GO (Het GO! onderwijs van de Vlaamse Gemeenschap), ou les Conseils d’administration seront-ils établis avec un système de répartition selon la clé D’Hondt, comme le laissait entendre la presse de ces derniers jours? Comment évitera-t-on de faire du réseau de la Communauté française, un organe semi-public, ou semi-privé, mais dans les faits, éloigné d’un service public authentique, placé sous la responsabilité directe de mandataires publics et de responsables politiques qui s’engagent pour l’intérêt général? La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente, asbl, attend des réponses à ses questions et réclame que cette importante matière fasse l’objet d’un débat transparent au Parlement. Elle demande aussi que les décisions à prendre ne soient pas prises de façon hâtive, à cause d’une réforme générale du système, où l’on a mis la charrue avant les bœufs, ou à cause d’un calendrier électoral dont les échéances sont trop proches.
Le Bureau Exécutif de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente, asbl - Texte rédigé par Patrick Hullebroeck
[1] Avis du Conseil d’État n° 63.484/2 du 11 juin 2018.