Famille, ami·es, institutions, école… quand les liens se rompent les uns après les autres.
Qu’ielles soient des filles, des garçons, Belges, étranger·es, avec ou sans papiers[1] , mineur·es, jeunes majeur·es, ou encore LGTBQI+, ces «jeunes en errance» n’ont pas de «chez-soi». Leurs liens avec la famille proche sont difficiles, voire rompus. Ielles sont en difficulté au niveau des institutions d’aide à la jeunesse ou en sont totalement exclu·es. Leur parcours scolaire est problématique voire interrompu. Une histoire de liens fragiles pour ces jeunes qui, de fil en aiguille, sont relégué·es à la marge.
Le Forum-Bruxelles contre les inégalités et ses partenaires ont retenu la définition suivante: «Les jeunes en errance sont des jeunes âgé·es de 16 à 25 ans sans-abris ou à risque de le devenir en raison, entre autres, de ruptures familiales ou institutionnelles». Mais de nombreux enfants plus jeunes sont concerné·es par la vie en rue et par l’errance institutionnelle, faisant parfois le tour de divers centres, que ce soit dans l’aide à la jeunesse, en psychiatrie, en IPPJ, accumulant les problèmes jusqu’à ce que les mailles du filet de sécurité craquent.
Certain·es jeunes en errance ont fait le choix de quitter le domicile familial. Ce choix peut être motivé par le fait d’y avoir vécu des violences physiques, psychologiques ou sexuelles. On observe aussi des cas de traite humaine ce qui peut pousser certain·es mineur·es à fuir, lorsque l’exploitation de leur travail par la famille n’est plus vivable. Pour celleux qui décident de partir, la rue représente une échappatoire, un espace de liberté, entraînant rapidement une série de galères qui vont vite s’accumuler...
Les acteur·trices de terrain notent que les situations se complexifient de plus en plus, les problématiques s’additionnent et ces jeunes finissent par se retrouver plus ou moins hors-système
Pour d’autres, l’errance est subie. Rejeté·es par leur·s parent·s ou se retrouvant exclu·es des institutions pour des raisons variées. Parfois ce sont des motifs de comportements, parfois parce que leurs profils, complexes, ne sont pas appréhendés de la manière la plus adaptée. Comment prendre en charge une fille mineure souffrant d’une maladie rare et peu comprise, que les parents ne parviennent plus à assumer, et qui a commis des actes de vandalisme dans un centre d’accueil? Quelle est la bonne réponse à lui offrir? Elle se retrouve en IPPJ, en psychiatrie, mais rien ne correspond à la complexité de la situation. In fine, elle est condamnée à l’errance institutionnelle.[2] Les acteur·trices de terrain notent que les situations se complexifient de plus en plus, les problématiques s’additionnent et ces jeunes finissent par se retrouver plus ou moins hors-système.
La précarité des familles, leur isolement, le mal-logement sont des facteurs aggravants de la désaffiliation des jeunes qui finissent par claquer la porte, comme dans des cas de logement surpeuplé, ou encore quand la parentification (relation parent/ enfant inversée) devient trop pénible: avec un ou des parents ayant des problématiques de santé mentale, ou d’assuétudes, par exemple.
Une transition vers l’âge adulte difficile
Au passage à la majorité à 18 ans, certain·es jeunes sont ainsi mis·es à la porte, ils·elles doivent assurer leur autonomie du jour au lendemain. D’autres, qui ont connu un parcours institutionnel chaotique, fait de placements successifs, ne sont pas préparé·es à la vie en autonomie. La rupture avec les institutions est brutale, les aides auxquelles ielles avaient droit jusqu’alors ne leurs sont en partie plus accessibles, et si en en théorie ielles ouvrent des droits sociaux comme le revenu d’insertion sociale, ielles n’ont souvent pas une bonne connaissance de leurs droits. C’est aussi la difficulté de devenir citoyen·ne, avec des droits et des devoirs, être responsable notamment face à la justice quand il y a eu des actes de délinquance. Au quotidien dans les institutions, tout est pris en charge pour elleux et souvent ces jeunes n’ont pas eu l’opportunité d’apprendre les compétences de base pour une vie en appartement. Lorsqu’ielles bénéficient d’un accompagnement et d’un logement, ielles doivent apprendre à tenir un budget, faire des courses, cuisiner, maintenir le logement en bon état, entretenir de bons rapports de voisinage...
Le rapport à l’école, la qualification, les perspectives d’avenir
L’école est souvent le dernier lien pour ces jeunes en errance avec une institution, jusqu’à ce qu’il craque aussi. Malgré l’obligation scolaire jusqu’à 18 ans, de nombreux·ses mineu·res sont non-inscrit·es, d’autres ont le statut d’élève-libre. Parmi les jeunes en errance, certain·es, désireux·ses d’apprendre et pensant à leur avenir, s’accrochent tant bien que mal à leur scolarité. Mais, obligé·es de faire face à des questions urgentes chaque jour, et de trouver des solutions pour répondre à des besoins fondamentaux comme trouver un endroit où dormir, ielles n’ont pas la disponibilité mentale nécessaire à l’apprentissage, et ne peuvent assurer une assiduité aux cours. Parfois aussi, dans un quotidien chaotique, ielles rencontrent des difficultés à maintenir une bonne présentation, ielles peuvent en avoir honte et ne plus assumer le regard des autres élèves ou des professeur·es. Dans ces conditions la scolarité devient de plus en plus difficile, elle finit souvent par devenir intenable. Pour des raisons d’absentéisme, ielles se retrouvent bien souvent avec le statut «d’élève libre» et se sentent écarté·es de la scolarité, ou subissent de nombreux redoublements. Ielles finissent généralement par décrocher et abandonner. Pour elleux, l’école devrait être réformée, estimant qu’elle devrait faire un pas vers elleux. Mais c’est aussi au sein de l’école que des jeunes en errance trouvent les premières solutions d’urgence: il n’est pas rare que des parents d’élèves, des professeur·es ou encore des directeur·trices d’établissements se mobilisent pour apporter un soutien et un abri pour quelques temps, à un·e jeune en difficulté, quand il n’y a pas d’autre solution, tout le secteur de la jeunesse étant saturé et les listes d’attente parfois longues pour obtenir une place.
Au final, ces jeunes sont cassé·es, ielles endurent de nombreuses souffrances. Leur confiance dans les institutions est brisée.
Dans les témoignages on comprend le sentiment de honte, redouté, le désir d’être propre, de sentir bon, d’être valorisé·es par le regard que l’on porte sur eux. L’estime de soi s’écorche, ces jeunes tentent bien souvent de masquer leur situation. L’adolescence marque aussi une période où la sexualité se construit, où les questions sur l’amour prennent une place particulière, le besoin de relations intimes[3]... des questions importantes pour leur bien-être, que la réponse aux besoins fondamentaux n’efface pas.
Les photos qui illustrent ce dossier
Il semblait très important de proposer à des jeunes de prendre part à la réalisation de ce dossier. Pour les illustrations, j’ai imaginé un dispositif simple et un protocole ludique, afin de créer des images ensemble, des portraits détournés. J’ai proposé aux participant·es de choisir un objet parmi leurs effets personnels, puis de penser à une manière de le mettre en scène devant l’objectif. Ielles devaient ensuite indiquer les raisons de ce choix, qui seraient reprises en légende des photos. Yann Descendre (coordinateur chez Abaka) a soutenu ce projet, et les jeunes qui étaient hébergé·es à ce moment là dans le centre, et qui se montraient désireux.ses d’y participer, ont eu deux jours pour se préparer à l’atelier. De manière inventive et généreuse, plus ou moins spontanée, maîtrisée ou expérimentale, ielles ont partagé avec nous un bout de leur histoire, de leur identité. Ielles se sont prêté·es au jeu et se sont représenté·es, hors des clichés. Nous ne pouvons pas les nommer mais tenons à les remercier chaleureusement pour leur créativité, leur disponibilité, leur poésie, et pour leur apport précieux. Conception, direction artistique: Annabelle Locks . Photos: Axelle Pisuto
[1] Au sujet des mineurs étrangers non accompagnés, voir l’article : Mormont, Marinette (2022). Mena: la course contre le temps. Alter Echos, n°501. www.alterechos.be/ mena-la-course-contre-le-temps/
[2] Cette jeune fille témoigne dans le film documentaire «Les incasables - histoires de jeunes en errance». Une production du Forum - Bruxelles contre les inégalités le-forum.org Réalisation Ad’Hoc Machine: https://vimeo. com/527336909
[3] Blais, M., Côté, P.-B., Manseau, H., Martel, M., & Provencher, M.-A. (2012). Love without a home: A portrait of romantic and couple relationships among street-involved young adults in Montreal. Journal of Youth Studies, 15(4), 403–420