Cet article est paru dans le numéro 133 d’éduquer en novembre 2017. Son contenu n’est donc plus d’actualité en raison des nouveaux référentiels des cours d’Histoire.
Femmes absentes du cours d’histoire ou si elles apparaissent, stigmatisées… Comment une fille se construit-elle avec ce vide dans son passé ? Comment les élèves, filles et garçons, interprètent-ils ce silence ? Comment déconstruire les préjugés et montrer le rôle conjoint des hommes et des femmes dans l’histoire politique, économique, sociale, familiale, culturelle ou religieuse ?
L’école est sans conteste un lieu important de socialisation de la jeunesse. Comme le souligne le décret-Mission fixé en 1997, l’enseignement doit former les élèves « à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste » et doit leur assurer « des chances égales d’émancipation sociale »2. Le cours d’histoire vise quant à lui à aider les jeunes « à se situer dans la société et à la comprendre afin d’y devenir un acteur à part entière »3 , et doit notamment leur apprendre à identifier « les principales stratifications d’une société et les inégalités qu’elles induisent ». Le genre s’impose donc comme une évidence.
Une vision stéréotypée des femmes
Pourtant, aujourd’hui encore, l’école contribue de diverses manières au maintien d’une vision stéréotypée des rôles féminins et masculins qui restreint les modèles identificatoires des filles et des garçons. Le cours d’histoire n’échappe pas à ce constat. Comme le souligne une recherche menée en 2012 en Fédération Wallonie-Bruxelles, les rôles joués par les femmes figurent rarement dans les manuels d’histoire, « qu’il s’agisse de leur rôle dans la vie sociale […], l’évolution de la société […] ou leur rôle personnel. À quelques exceptions près […], les personnalités féminines remarquables, les femmes scientifiques, femmes de pouvoir ou révolutionnaires qui ont bien existé sont généralement absentes des manuels ». Cette recherche relève aussi que les femmes présentes sont souvent « stigmatisées » (cruelles, intrigantes, perfides…) ou « montrées dans des attitudes contraires à la maîtrise requise pour participer au pouvoir politique » (peureuses, frivoles, facilement gagnées par les émotions, les passions)4.
Cette situation n’est pas propre à la Belgique. En 2010, une enseignante dresse le même constat pour l’association française N’autre école: « Je n’ai jamais à ce jour, dans un livre d’Histoire, trouvé trace des luttes des femmes, d’exemples de femmes ayant pris leur sort en main ou si peu. Si peu qu’elles font figure d’exception. Les femmes ne semblent avoir traversé les siècles que pour perpétuer l’espèce humaine. Pas de rôles importants, pas d’écrits, pas de droits civiques ou politiques. Comment une fille se construit-elle avec ce vide dans son passé ? »5 . Cette dernière question doit en effet être posée. Comment les élèves, filles et garçons, interprètent-ils ce silence ? Pour beaucoup sans doute, en attribuant aux femmes des rôles domestiques et familiaux, passifs et immuables, qui ne valent pas la peine d’être relevés…
Très dynamiques depuis les années 1970, les recherches en histoire des femmes et du genre ont pourtant depuis longtemps bousculé ces clichés. Elles ont prouvé que les femmes et les hommes ont construit ensemble la société dans laquelle ils vivent. Elles ont aussi montré qu’il n’est pas indifférent de naître femme ou homme. Dans chaque société, à chaque époque, le sexe détermine d’emblée un statut très contrasté dans toutes les classes sociales.
Comment expliquer dès lors que l’histoire des femmes ait autant de difficultés à trouver sa place à l’école ? La réponse est certainement multiple. Il convient d’invoquer le cloisonnement entre le monde de la recherche et celui de l’enseignement : la vulgarisation est un exercice difficile, et la transmission des connaissances ne se fait pas de manière spontanée. Il convient aussi de relever le manque d’incitants officiels : en 2015, le genre ne figure toujours pas explicitement dans les programmes officiels du cours d’histoire. Enfin, il faut sans doute surtout incriminer la barrière idéologique. Parler d’égalité des sexes à l’école demeure une question très sensible, à même de mobiliser fantasmes sur l’inversion des genres et fortes résistances.
Un sujet polémique
Évoquer le genre en classe n’est dès lors pas chose aisée, et suscite encore trop souvent la condescendance, voire carrément la polémique : les femmes ne seraient-elles pas « par essence » différentes des hommes ? Les inégalités ou les disparités constatées dans la vie quotidienne ne seraient-elles pas inéluctables et naturelles ? A quoi bon les étudier ? L’enseignante française Frédérique El Amrani s’inquiète des « regards goguenards » de les élèves masculins lorsque qu’elle évoque les limites du suffrage de 1848 improprement qualifié d’universel : ils « lèvent les yeux au ciel et attendent plus ou moins patiemment que passe ma lubie, ma marotte, mon ‘urticaire’ féministe… L’histoire des femmes n’est pas pour eux un sujet ‘sérieux’ et je désespère de les convaincre un jour que le mouvement féministe est aussi digne de leur intérêt que le mouvement ouvrier6 ». On peut comprendre que les enseignant-e-s, confronté-e-s au quotidien à la difficulté d’enseigner, évitent d’aborder ce sujet sensible. Et pourtant, parler librement et sereinement des hommes et des femmes et des discriminations sexuées ne peut que contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire et égalitaire. Il faut donc encourager l’école dans cette démarche, en proposant notamment des outils novateurs et aisés à mettre en ouvre en classe.
Un exemple d’outil pour aborder ces questions
C’est le défi que le Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des femmes a décidé de relever en 2013 en partenariat avec le Département de didactique de l’Histoire de l’ULB. Publié aux éditions Labor Education, le livre Femmes et hommes dans l’histoire : un passé commun propose, pour une série de sujets figurant au programme d’histoire de l’Antiquité et du Moyen Age, des leçons modèles qui englobent le passé des hommes, mais aussi celui des femmes. Au moyen de nombreuses images et citations originales, il fait émerger des femmes qui, aux côtés des hommes, participent à la vie sociale, travaillent, gouvernent, écrivent et contestent : déesses, prêtresses, puissantes, paysannes, marchandes, artisanes, suzeraines, bourgeoises, ouvrières, savantes… restées longtemps dans l’ombre d’une histoire écrite et racontée au masculin. Il entend ainsi détricoter les préjugés et montrer le rôle conjoint des hommes et des femmes dans l’histoire politique, économique, sociale, familiale, culturelle ou religieuse.
Cette histoire mixte évite le piège d’une histoire des femmes dissociée de l’histoire générale, que l’enseignant-e abordera uniquement s’il/elle en a le temps et en éprouve l’envie. Elle met aussi en avant la diversité du groupe social « femmes » car, tout comme les hommes, les femmes n’ont bien entendu jamais formé un groupe uniforme : la femme esclave, la travailleuse libre ou la femme aristocrate n’ont pas partagé le même destin. Ce livre pédagogique évoque en réalité les mécanismes d’exclusion dans leur ensemble, qu’ils frappent les hommes ou les femmes. Cette confrontation permet des comparaisons stimulantes qui ne pourront laisser les élèves indifférents. N’est-ce finalement pas ainsi que très légitimement, dans le respect du passé, l’histoire aurait toujours dû s’écrire et s’enseigner ?
Exemplatif, conçu en parfait accord avec les finalités de l’enseignement tel qu’il se conçoit aujourd’hui, salué au printemps 2015 par la Commission pour l’égalité entre les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe comme une bonne pratique pour promouvoir une éducation exempte de stéréotypes de genre, ce nouvel outil pédagogique espère motiver les professeurs d’histoire à insérer le genre dans leurs cours, et par là-même enrichir à l’école la réflexion sur la construction d’une société égalitaire et démocratique. Car, comme le souligne l’historienne et enseignante française Annie Rouquier, qui a milité pour une réforme des cours d’histoire à l’école secondaire en France, « C’est cette historicisation qui peut faire acquérir la conviction que l’évolution est possible, que rien n’est déterminé ; elle autorise l’utopie de l’égalité.7»
Claudine Marissal, historienne au Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des Femmes (AVG-CARHIF)1 Docteure en Histoire de l’Université Libre de Bruxelles, les recherches de Claudine Marissal portent surtout sur l’histoire de la protection de l’enfance et l’histoire des femmes et du genre. Attachée au Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des Femmes, elle est co-auteure de plusieurs outils pédagogiques qui proposent une série d’idées et de documents originaux pour enseigner le genre en classe.
Retrouvez la captation vidéo du webinaire «Le sexisme dans les contenus: les manuels et programmes scolaires», avec Claudine Marissal, historienne au Centre d’Archives et de Recherches pour l’Histoire des Femmes (AVG-CARHIF), et Matilda Delier de la Direction de l’égalité des chances de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur notre site et sur notre chaine YouTube
1. Cet article est paru une première fois en août 2015, pour La Fonderie.
2. Art. 6 du Décret du 24/7/1997 définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, Moniteur belge, 23/9/1997 p. 24654.
3. Ministère de la Communauté française, Enseignement secondaire de plein exercice ; humanités générales et technologiques ; enseignement secondaire général et technique de transition : programme d’études du cours d’histoire. Deuxième et troisième degré (Doc. 50/2000/247), p. 1.
4. A. Adriaenssens, D. Kupperber, Sexes & manuels: promouvoir l’égalité dans les manuels scolaires, Bruxelles, FWB, 2012, p. 80.
5. « Fille = garçon ? À société sexiste, école sexiste », N’autre école. Revue de la Fédération CNT des travailleurs de l’Education, mars 2010 [www. cnt-f.org/nautreecole/?Fille-garcon-A-societesexiste: consultation août 2015].
6. F. El Amrani, « ‘Par ailleurs, les femmes…’ ou la place des femmes dans l’enseignement de l’histoire » in H. Latger, J.-F. Wagniart (dir.), Des femmes sans histoire ? Enseignement en Europe, Metz, Nouveaux Regards, 2005, p. 34.
7. A. Rouquier, Histoire des femmes / Femmes dans l’histoire : quelques documents pour un enseignement secondaire mixte, 2004, p. 7.
Légende illustration: British suffragettes demonstrating for the right to vote in 1911, Johnny Cyprus
Femmes et hommes en guerre, 1914-1918
Réalisé par le Carhif, cet outil pédagogique offre aux enseignant-e-s des suggestions pour intégrer la dimension de genre dans leurs cours sur la Première Guerre mondiale. Le dossier contient 15 fiches didactiques à mobiliser en classe (consignes pour les élèves et petites synthèses basées sur les recherches les plus récentes sur la guerre) et des dizaines de documents originaux (affiches, cartes postales, photos, lettres, chansons, statistiques, extraits de publications récentes sur la guerre …). L’outil est disponible gratuitement en version pdf sur le site du CARHIF : www.avg-carhif.be