Éducation permanente, droits culturels et démocratie culturelle - Quel horizon pour l’éducation permanente?

Lundi 15 février 2021

L’éducation permanente, à travers ses valeurs profondément humanistes, sa nécessité d’implication sociale et son ancrage multiculturel, est un formidable outil de démocratie culturelle.
Pour peu qu’elle soit élaborée, réfléchie et respectueuse, l’action de l’éducation permanente peut apporter des ressources quasiment inépuisables d’épanouissement culturel aux individus.
Dès lors, comment mettre en place cet outil de la démocratie culturelle dans notre société contemporaine, en constante évolution et aux individus parfois pétris de doutes? Comment comprendre le monde d’aujourd’hui pour permettre aux citoyen·ne·s de réinvestir la vie sociale, culturelle et politique?

1. Dans quel monde vit-on?

Pour comprendre l’implication et la nécessité d’une action d’éducation permanente efficiente dans une société démocratique, il est important de comprendre le monde dans lequel nous évoluons. En effet, depuis l’époque de Condorcet jusqu’aux combats ouvriers et les prémisses de l’éducation permanente populaire, notre monde a changé. Le paradigme de notre société actuelle n’est plus le même, les contraintes et les réalités des individus ne sont plus comparables. Dès lors, dans quel monde vit-on? Dans son ouvrage «Un nouveau paradigme: Pour comprendre le monde aujourd’hui», Alain Touraine (nous) explique qu’un paradigme[1] est le conflit central qu’une société reconnaît comme étant le moteur de son histoire, le centre, le nœud de ses débats. Le paradigme désigne donc comment une société identifie un changement au cœur d’un conflit. Notre société contemporaine est le fruit de divers paradigmes fondateurs. Touraine identifie trois paradigmes essentiels dans l’histoire des démocraties libérales :

Paradigme 1: Vive la liberté! Le conflit central est politique (18e siècle)

Dès la deuxième moitié du 18e siècle et le début du XIXe , un conflit central oppose le libéralisme naissant et les conservatismes, ancien et nouveau régime. Dans ce premier paradigme, le conflit central est de nature politique: il s’agit de sortir de l’Ancien Régime et de donner naissance à un nouveau régime qu’on appellera, par la suite, l’État de droit. Dans ce conflit politique, s’opposent d’un côté les forces conservatrices tenantes de l’Ancien Régime et alliées à l’Église, et d’autre part, les libéraux qui défendent des libertés nouvelles dans lesquelles les citoyens doivent être protégés et sont reconnus comme égaux en dignité et en droits (une définition des droits humains qui se concrétisera en 1948 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme). Cette nouvelle démocratie politique va se déployer de manière continue même si certains événements de l’histoire la freineront (comme ce fut le cas, par exemple, avec des contre révolutions, le régime de Vichy…). Cette transition est donc un processus long et qui n’est toujours pas achevé. En effet, les droits humains sont des droits inachevés, fragiles et régulièrement mis à mal.

Paradigme 2: Vive le bien-être! À quoi bon le droit de vote si l’on n’a pas de pain? (1848)

Dans ce nouveau paradigme, le conflit central est de nature socio-économique: durant la période 1850-1970, un vaste conflit oppose capital et travail, mouvement ouvrier et patronat. Le champ socio-économique, la répartition de la richesse, est au cœur du conflit. Dès lors, comme s’exclamera Lamartine «À quoi cela sert d’avoir le droit de vote si on n’a pas de pain?», le conflit central glisse du champ politique vers le champ socio-économique. Le conflit va se concrétiser à travers la révolution industrielle et le déploiement du capitalisme industriel dans nos villes et campagnes. Cette extension de l’industrialisation va avoir pour effets une extension du salariat, l’apparition du mouvement ouvrier et donc le développement du conflit social et socio-économique sur la répartition des richesses. La scène politique verra alors naître les partis socialiste, communiste, le parti ouvrier belge. Progressivement, un troisième acteur viendra s’ajouter au débat: l’État. Les négociations et compromis se feront alors sur la scène de l’État. De cette lutte naîtra le long déploiement du compromis social-démocrate et la mise en place d’un système de protection sociale. On parle alors d’une révolution sociale. Les droits sociaux et une esquisse de droits économiques deviendront les conquêtes qui font de l’entreprise non plus un lieu de non-droit mais un lieu dans lequel il y a du droit. La conquête de la sécurité sociale, après la seconde guerre mondiale, entérinera la reconnaissance de ces nouveaux droits humains.

Paradigme 3: À quoi bon perdre sa vie à la gagner? (1968)

Dans ce troisième paradigme, le conflit central est d’ordre culturel. Suite à la période prospère des Trente Glorieuses dans l’après-guerre, les individus sont en quête de sens. «À quoi bon perdre sa vie à la gagner?» (Slogan de mai 68). Prenant conscience des «externalités» négatives engendrées par le système capitaliste, la question du sens du travail et de la vie en commun se développe. De fait, ces externalités négatives, ces inégalités structurelles, telles que les inégalités entre le nord et le sud, les rapports de force mondiaux, la découverte de la destruction de l’environnement, de l’anthropocène[2], permettent de comprendre que l’activité humaine devient un facteur déterminant de l’évolution de la planète Terre. Dans ce troisième paradigme, on assiste à une fracture nette de la définition du conflit central avec les paradigmes précédents: Il ne s’agit donc plus du pouvoir (comme c’était le cas dans le premier paradigme), ni de la richesse (dans le deuxième paradigme) mais du sens. Il ne s’agit donc plus d’une critique politique ou sociale, mais bien d’une critique culturelle car la question du sens ou du non-sens relève de la culture, dans l’acception anthropologique du concept de culture (voir encart). Dans cette troisième époque, le conflit central deviendra progressivement de nature culturelle. Même si les paradigmes politique et économique sont toujours présents dans notre société, leurs enjeux ne sont plus aussi centraux qu’auparavant. Il est alors probable que le cœur des conflits sociétaux actuels soit ou devienne de nature culturelle car le sens des compromis antérieurs est profondément remis en cause.

2. Comprendre le monde aujourd’hui?

Inscrit dans le troisième paradigme d’ordre culturel et pour comprendre notre société actuelle, il est important d’interroger de manière culturelle tant les conflits socio-économiques que les conflits politiques pour faire émerger les conflits culturels qui nous entourent actuellement (à savoir des conflits sur le sens de la vie en commun). Nous évoluons donc dans des débats à la fois culturels, sociaux, politiques et économiques. Ce nouveau paradigme culturel n’efface donc pas les deux autres paradigmes mais il peut leur permettre de (leur) donner une nouvelle clé de lecture, une nouvelle interprétation en déplaçant le centre de gravité autour de la dimension culturelle de ces conflits.

Des contradictions génératrices de non-sens

En prenant le pas sur les États, la puissance des entreprises marchandes domine les échanges mondiaux et submerge les individus jusque dans leur intimité en s’insinuant dans tous les registres de la vie commune. Les effets conjugués de la mondialisation, de la révolution numérique, de la tertiarisation[3] et de la marchandisation multiplient les contradictions à tous les étages et dans toutes les dimensions de nos sociétés:

  • les système économiques destructeurs de la biodiversité, des écosystèmes, des équilibres climatiques qui génèrent, in fine, une destruction des fondements de l’économie (sans écosystème vivant, pas d’économie possible);
  • un système financier dangereux qui menace l’économie réelle (comme la crise financière de 2008). Ce système financier dangereux définit l’épargne comme un risque;
  • un système social inégal dont l’injustice est incompréhensible: nous évoluons dans une société riche qui, à force d’inégalités, produit entre 15 et 25 % de personnes précaires ou pauvres, en termes monétaires. Un tel système est dépourvu de sens commun: nous évoluons dans un système global qui fonctionne à l’envers, qui valorise plus les transactions économiques et financières stériles ou nuisibles que le bien-être des humains;
  • une répartition du travail injuste et inefficace: les inégalités dans le secteur de l’emploi et le stress induit par le management libéral (pression de travail trop importante, non-sens, fatigue) engendrent une souffrance au travail, un travail insuffisamment libre et créateur pour la plupart. Le burn-out devient un phénomène social majeur et tend à coloniser toutes les sphères d’activité des individus (burn-out parental, par exemple);
  • une consommation absurde: nous évoluons dans un régime de consommation de masse, tendanciellement dépourvu de sens et de limites du point de vue de la santé publique, de l’épuisement des ressources naturelles, de la destruction des écosystèmes et des inégalités structurelles entre Nord et Sud;
  • une culture marchande ou la production ‘industrielle’ du non-sens: la question du sens ou du non-sens peut désormais faire l’objet d’une production quasi industrielle sous le contrôle exclusif de pouvoirs privés de firmes multinationales; la puissance «culturelle» des GAFAM en est le symbole: elle marque les vies et les villes, l’espace et le temps.

Un régime démocratique en grande difficulté (relations État/Marché/Société civile)

Au-delà des contradictions dont il est pétri, le régime démocratique des démocraties libérales est en danger. En effet, ce régime démocratique s’appuie presque exclusivement sur le principe de la représentation politique. La question du pouvoir politique s’y réalise par la délégation, via les élections. En effet, la question du droit de vote et d’éligibilité est au cœur de la démocratie libérale, la matrice essentielle de sa légitimité. Certes, la légitimité de ce pouvoir s’accommode du jeu de divers contre-pouvoirs, de la concertation des interlocuteurs sociaux, de l’expertise des administrations et des pouvoirs (de plaidoyer, d’interpellation, etc.) portés par l’action associative. Cependant, la question du pouvoir est essentiellement ordonnée à la représentation et ses liens avec les contre-pouvoirs se sont affaiblis avec le temps. Cette «solitude» d’un pouvoir adossé aux seuls liens de la représentation est le fruit de plusieurs éléments connexes: L’évolution du monde à travers la mondialisation, la marchandisation, la tertiarisation, la numérisation a multiplié les contradictions et les interdépendances. Si le compromis démocratique libéral avait été construit à l’origine à l’échelle des États, désormais, en regard des processus économiques liés à la mondialisation, les multinationales deviennent plus puissantes que les États qu’elles traversent. Il n’y a plus désormais de frontières pour les marchandises et les capitaux. On se retrouve donc face à des États affaiblis et presqu’impuissants, confrontés à des multinationales puissantes. S’installe alors une mise en concurrence des États par les multinationales. Face à la mainmise des multinationales et pour contrer les effets de la mondialisation, les États tentent de s’agréger pour construire un rapport de forces de puissances publiques face aux pouvoirs privés et aux autres grandes puissances étatiques (la création de l’Union européenne en est un bon exemple). Cependant, face à la complexité du monde, l’échelle d’une représentation aussi distante et agrégée que l’Union européenne ne fait qu’aggraver le problème de légitimité du lien de représentation. Ces contradictions sont si graves et si nombreuses que nous devons faire face à la difficulté spécifiquement culturelle de se représenter (intellectuellement, sensiblement) le monde de manière suffisamment stable et durable pour fonder une représentation politique efficiente. La complexité, au cœur de la difficulté de vivre aujourd’hui Face à ces démocraties fragilisées, dans ce contexte de risque de non-sens politique, social et culturel, que se passe-t-il pour l’individu? Investi·e·s de contradictions multiples, doutant de la légitimité de nos représentations, comment composer et exprimer nos identités plurielles d’individus, de travailleur·euse·s, de consommateur·trice·s, de citoyen·ne·s, d’hommes et de femmes? Nous nous retrouvons confronté.e.s à un excès de contradictions: nous vivons un burn-out démocratique! Pour faire face à ce burn-out démocratique, plusieurs scénarios peuvent être envisagés et sont mis en œuvre, souvent à tâtons, par l’individu contemporain:

  • la vie est trop complexe et donc l’individu contemporain est porté à internaliser les contradictions, à s’investir dans d’innombrables et insondables recherches de «soin», de conseils de tous ordres et de toutes natures, de quête infinie de «coaching» de vie. Au-delà du développement du marché du «soin de soi», il nous semble évident que ce scénario est une imposture au plan collectif;
  • il y a un excès de contradictions, l’individu cherche quelqu’un qui pourra les résoudre à sa place. On parle alors du scénario de l’autorité perdue, le scénario ultra-conservateur: la recherche d’une autorité perdue, d’un principe unificateur qui puisse nous épargner les souffrances d’un excès de contradictions. La tentation y est de chercher un chef, un maître. Cela explique en partie le retour au religieux, aux autorités imaginaires, de la droite-extrême ou de l’extrême droite. Le patriarcat, le racisme, le nationalisme, le retour du religieux en politique sont les référentiels-impasses de ce scénario;
  • face à la complexité des contradictions, les pouvoirs publics peuvent opter pour la privatisation de certains services publics ou fonctions collectives. On est alors dans le scénario de la marchandisation généralisée: ce qui se vend et s’achète ne se discute plus. Le marché prend alors la relève du politique en assumant la conception et la gestion d’un ensemble de responsabilités politiques, économiques, sociales et culturelles. Cette privatisation, cette marchandisation est une manière de résoudre les tensions mais elle est illusoire et provisoire: elle aggrave les tensions préexistantes, compte tenu des conflits de valeurs entre société marchande et société civile-politique;
  • enfin, pour faire face à cette série de contradictions, l’individu peut renouveler sa relation à la démocratie et se saisir des carences du lien de représentation. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place un nouveau système de large partage du travail politique et recréer ainsi les conditions d’un lien de représentation légitime, en peuplant la distance entre représenté·e·s et représentant·e·s de multiples et riches médiations.

Renouveler ce lien démocratique, enrichir le lien de représentation, est essentiel car la conduite des pouvoirs ne peut pas se passer de représentant·e·s. Ce scénario offre l’opportunité aux citoyen·ne·s de conquérir un rôle contributif dans la société, d’habiter une fonction collective, de jouir de leurs droits culturels.

3. Retrouver un horizon: la généralisation de l’exercice des droits culturels

Dans ce contexte sociétal, dans cette société de masse paralysée par la mondialisation des pouvoirs privés et la localisation des pouvoirs publics, une représentation du monde stable, durable, communicable, bref «commune» n’est plus disponible et n’est plus près de l’être. Dès lors, l’horizon de moyen et long terme pour toute la société sera de travailler la représentation «culturelle» (intellectuelle, sensible, sociale et politique) pour rendre habitable une démocratie approfondie. Pour ce faire, il faudra généraliser l’usage effectif des droits culturels, par toutes et tous, et travailler conjointement la «vision du monde».  

Vers une démocratie contributive

Pour ce faire, nous devons revenir aux principes fondateurs de la démocratie et l’investir dans toutes ses variantes pour alors envisager des droits nouveaux aux citoyen·ne·s: Nous pouvons imaginer et investir une démocratie continue: c’est-à-dire qui n’accepte pas la discontinuité de la démocratie à travers le geste électoral. Mettre en place une démocratie approfondie: selon Paul Ricoeur, «est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêts, et qui se fixe comme modalité d’associer à parts égales chaque citoyen dans l’expression, l’analyse, la délibération et l’arbitrage de ces contradictions[4] Une société démocratique n’est donc pas une communauté, ne s’ordonne pas à une unité qui la réconcilierait imaginairement, elle est divisée en sous-groupes qui sont liés et interdépendants.

De plus, est démocratique une société qui se donne pour finalité de traiter ses contradictions par les mots, par un travail de langage, instruit par l’usage de la raison et non par la violence. Cette société démocratique s’efforcera que les contradictions s’expriment, ensuite s’analysent de manière instruite pour enfin faire place à un travail de délibération en confrontant un jugement positif sur des faits, d’une part, et un jugement référé à des valeurs (ex: égalité, liberté), d’autre part. La délibération c’est donc la confrontation entre les jugements factuels et les jugements de valeurs. Ce travail démocratique d’expression, d’analyse et de délibération fera alors place à l’arbitrage, au vote. Approfondir la démocratie c’est donner plus d’ampleur au travail d’expression, d’analyse et de mise en débat. On parlera alors d’une démocratie continue et approfondie. Enfin, favoriser une démocratie contributive (au sens que lui donne Joëlle Zask)[5] c’est-à-dire une démocratie dans laquelle les citoyen·ne·s contribuent massivement à instruire les délibérations démocratiques. Pour être efficiente, cette démocratie contributive devra être continue, réflexive, approfondie et généralisée, c’est-à-dire qu’elle fasse appel à toutes et tous les citoyen·ne·s, qu’on y invente les formes, les procédures pour débattre ensemble de ce qui fait la vie en commun

Le temps de la participation

L’ambition de ces droits nouveaux à inventer et à mettre en œuvre est de valoriser l’expérience, les savoirs d’expérience, la connaissance des individus dans les circonstances de l’usage, dans les circonstances du travail comme dans les circonstances de la politique ou de la citoyenneté. Pour ce faire, il y a une variable essentielle qui est le temps. L’accélération généralisée des rythmes de vie ne permet guère aux citoyen·ne·s de contribuer, de participer à la démocratie[6]. C’est pour cette raison que la participation est très souvent sélective: elle s’adresse essentiellement aux gens qui ont du temps (en général, les personnes âgées) et/ou des gens qui ont des capitaux importants (culturels, économiques et sociaux). Cette participation-là n’est pas crédible car elle reste profondément inégalitaire, voire ségrégationniste. Pour être efficace, la participation doit être générale et favoriser une égale contribution de toutes et tous; elle doit permette de récolter l’intelligence de l’expérience, la richesse des humains, ce qui suppose du temps et des moyens, des moyens d’utiliser du temps c’est-à-dire des revenus et des droits.

Une solution: le crédit-temps citoyenneté

Comme nous l’avons souligné, pour pouvoir jouir de ses droits culturels, il faut du temps et des moyens. La création d’un crédit-temps «citoyenneté» offrant à toutes les citoyennes et tous les citoyens, du plus jeune âge jusqu’à l’âge le plus avancé, l’opportunité de disposer d’un jour par semaine pour investir les fonctions collectives, assuré par un revenu et des droits sociaux garantis, pourrait être largement débattue, définie et mise en œuvre comme une condition essentielle d’une refondation démocratique. Ce temps citoyen (dont les ancêtres sont le crédit d’heures devenu congé-éducation, le congé politique, le congé syndical et le crédit-temps lui-même) serait dédié à l’investissement dans les associations, les services publics, dans les fonctions collectives (qui englobent la fonction associative et la fonction publique et même une partie de l’action marchande d’utilité générale).

Vers une nouvelle démocratie culturelle

Nous entrevoyons la possibilité de désirer et de mettre en œuvre une démocratie approfondie et continue, sollicitant la contribution de toutes les citoyennes et tous les citoyens, quels que soient leurs situations, âges, conditions et origines, à condition, d’une part, qu’on en institue les moyens à travers un crédit-temps citoyenneté et que, d’autre part, on crée les formes organisationnelles et institutionnelles qui permettent d’investir les contributions des citoyen·ne·s dans toutes les fonctions collectives de la vie en commun. Ce scénario de démocratie approfondie est un scénario qui mobilise des droits. Ces droits sont avant tout les droits culturels, c’est-à-dire les droits relatifs à l’expression, à l’analyse et à la délibération mais aussi à l’imagination. Les droits culturels sont les droits à instruire, à mobiliser notre liberté de penser, notre créativité, le sens de notre expérience et de nos désirs de contribuer à dessiner le monde. Ils mobilisent les dimensions culturelles de l’ensemble des droits humains: la dimension culturelle des droits civils et politiques, des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Voilà pourquoi cette démocratie peut être définie comme un régime de démocratie culturelle, de démocratie par la culture, au sens le plus large du terme.

Ce texte a été rédigé suite à notre entretien avec Luc Carton, philosophe, vice-président de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels de Fribourg (Suisse), chercheur associé auprès de l’Association Marcel Hicter pour la démocratie culturelle (Bruxelles).

 


CULTURE, EDUCATION PERMANENTE, DROITS CULTURELS ET DEMOCRATIE CULTURELLE:

CULTURE :

La culture n’est pas un secteur. La culture est une dimension du réel. La culture est l’ensemble des éléments qui permettent à une personne, seule et (ou) en commun, d’élaborer une vision du monde, d’exprimer son humanité et d’attribuer un sens à son existence et à son développement… (Définition anthropologique de la culture1 .

ÉDUCATION PERMANENTE :

L’éducation permanente est l’action culturelle, portée par un groupe, une association ou une organisation, permettant aux personnes contribuant activement à son action, seul·e·s et en commun, d’élaborer un savoir social stratégique sur une situation vécue en termes d’aliénation, d’exploitation ou de domination, à des fins d’émancipation, de critique, de transformation ou d’alternative. En bref: l’Éducation populaire, c’est la dimension culturelle de l’action collective (Luc Carton).

DROITS CULTURELS :

Les droits culturels font partie intégrante de l’ensemble des droits humains, indivisibles dans leur principe, interdépendants dans leur mise en œuvre. Ces droits ont trait aux différents éléments constitutifs de la culture (au sens anthropologique du terme), soit par l’exercice de droits spécifiquement culturels, soit par l’exercice des dimensions culturelles des autres droits.

DÉMOCRATIE CULTURELLE :

La démocratie culturelle désigne classiquement une orientation des politiques culturelles visant, par l’action culturelle, à rendre la société plus consciente d’elle-même (Marcel Hicter); plus généralement, désignerait un régime général de démocratie (politique, sociale, économique) mobilisant les dimensions culturelles des droits humains. L’ensemble des 4 concepts s’ordonnerait comme suit, dans une structure dynamique: la culture est le domaine général que nous étudions ici; il concerne toutes les dimensions de la société. L’Éducation permanente est l’action culturelle collective qui s’emploie à changer le monde. Cette action mobilise directement et/ou indirectement les droits culturels et les dimensions culturelles des droits humains, pour faire naître une nouvelle époque de la démocratie, un nouveau régime, que nous appelons démocratie culturelle (Luc Carton). 1. La déclaration de Fribourg sur la diversité et les droits culturels. Rédigée en 2007 par un groupe d’experts internationaux, la Déclaration de Fribourg permet de rassembler et de définir les droits culturels et propose une définition de la culture considéré comme essentielle à toute vie humaine et qui met la personne au centre et replace l’enjeu de la diversité culturelle dans nos sociétés.

Plus d'infos:   https://droitsculturels.org/observatoire/

Voir également :

  • Comité des droits économiques, sociaux et culturels - Observation générale No.21: Droit de chacun de participer à la vie culturelle (Article 15, paragraphe 1.a):

Document des Nations Unies qui précise le droit de chacun de participer à la vie culturelle comme droit fondamental.

Plus d'infos:  www.right-to-education.org/fr/resource/comit-des-droits-conomiques-sociaux-et-culturelsobservation-g-n-rale-no21-droit-de-chacun

  • Rapports consacrés aux droits culturels:

Rapports consacrés aux droits culturels mandaté par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) afin de promouvoir et de soutenir le respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux.

Plus d'infos:  www.culturesolidarites.org


RESSOURCES:

 

  • «L’idéologie et l’utopie», Paul Ricoeur, Éditions du Seuil, 1997
«L’idéologie et l’utopie», Paul Ricoeur

«À travers une relecture de penseurs comme Saint-Simon, Fourier, Marx, Mannheim, Weber, Althusser, Habermas ou Geertz, Ricœur s’empare de du couple conceptuel classique qu’est l’idéologie et l’utopie pour développer une authentique œuvre de philosophie politique.»  

 

 

 

 

 

 

  • «Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation», Joëlle Zask, Paris, Le Bord de l’eau, 2011.
«Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation», Joëlle Zask

«En art, en politique, à l’école, dans l’entreprise, dans la presse ou sur le web, une même injonction est aujourd’hui adressée à chacun d’entre nous: participez! Oui, mais à quoi, comment et dans quel but? Dans son ouvrage, Joëlle Zask explore l’idée que participer implique bien davantage qu’intervenir dans une situation dont les règles sont préétablies. À partir d’exemples empruntés à toutes sortes d’activités, elle montre que la participation bien comprise est identique à la subtile articulation entre prendre part, apporter une part (contribuer) et recevoir une part (bénéficier). Bref, à l’idéal démocratique lui-même.»  

 

  • «Accélération. Une critique sociale du temps», Hartmut Rosa, La Découverte, coll. «Théorie critique», 2013.
«Accélération. Une critique sociale du temps», Hartmut Rosa

Dans son ouvrage Hartmut Rosa offre une véritable «critique sociale du temps» en développant l’idée que l’expérience majeure de la modernité est celle de l’accélération: dans la société moderne, «tout devient toujours plus rapide». Ce serait alors le temps et son accélération qui permettraient de comprendre la dynamique de la modernité.  

 

 

 

INTERNET:

  • «Cultiver et démultiplier la démocratie», Luc Carton

Dans cette analyse, Luc Carton aborde les différents concepts de la démocratie et leur nécessaire application dans nos sociétés modernes afin de redéployer les droits culturels et les dimensions culturelles de droits humains.

Plus d’infos : www.cultureetdemocratie.be/documents/Droits-culturels/Cultiver%20et%20de%cc%81multiplier%20la%20de%cc%81mocratie%20LC.pdf  

  • «Un immense désir de démocratie», tribune collective sur les droits culturels parue dans La Libre Belgique.

Dans cette tribune collective sur les droits culturels, l’ambition est de développer l’idée de déployer les droits culturels et les dimensions culturelles des droits humains comme matrice d’une société démocratique approfondie et continue. Dès lors, comment s’y prendre dans une société où la fatigue démocratique est cuisante?

Plus d'infos: www.bernardfoccroulle.com/2019/11/01/tribune-libre-un-immense-desir-de-democratie/  

  • «Les dimensions de démocratie», Marc Jacquemain, membre UniverSud-Liège, chargé de cours à la faculté des sciences sociales de l’Ulg

Quelle est la situation de la démocratie dans le monde? Il est difficile d’y répondre tant les pratiques démocratiques sont variables et parfois opposées. Marc Jacquemain propose de clarifier les choses en décomposant les différentes dimensions du concept de la démocratie.

Plus d'infos: www.universud.ulg.ac.be/les-dimensions-de-democratie/  

  • «La démocratie économique: une notion redevenue d’actualité?» , Richard Hyman

Dans cette analyse, Richard Hyman développe le concept de la démocratie économique dans nos société modernes capitalistes.

Plus d'infos: http://www.global-labour-university.org/fileadmin/GLU_Column/FR_papers/no_56_Hyman_FR.pdf  

  • «Frédéric Landy. Pierre Dardot et Christian Laval. Commun. ‘Essai sur la révolution au XXI e siècle.’» Commun, 2014

Inégalités et vulnérabilités croissantes dans le monde, drames écologiques, crises de la démocratie... Le bilan du capitalisme en ce début de siècle est fort sombre, ce que les auteurs de cet énorme et passionnant livre, en détournant le titre du trop fameux article de G. Hardin, qualifient de «tragédie du non-commun».

Plus d'infos: https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02073010/document  

  • «Un immense besoin d’éducation populaire», Christian Maurel in Le Monde, 2 février 2011

Dans son article, Christian Maurel, sociologue, cofondateur du collectif national Éducation populaire et transformation sociale, tente de répondre à la question: où va le monde et que peuvent les hommes? Dès lors, comment faire pour que les hommes qui sont le produit de l’Histoire puisent individuellement et collectivement faire l’Histoire et construire leur devenir commun? L’apport et le besoin d’une démocratie approfondie semble être la voie à emprunter.

Plus d’infos :  www.lemonde.fr/idees/article/2011/02/02/un-immense-besoin-d-education-populaire_1473891_3232.html


[1] Un paradigme est – en épistémologie et dans les sciences humaines et sociales – une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent du monde qui repose sur un fondement défini (matrice disciplinaire, modèle théorique, courant de pensée).

[2] L’Anthropocène est une époque de l’histoire de la Terre qui a été proposée pour caractériser ’ensemble des événements géologiques qui se sont produits depuis que les activités humaines ont une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre. Cette nouvelle époque géologique se caractérise donc par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques naturelles.

[3] La transformation du système productif, de la production de biens matériels vers la production de services, d’informations, de connaissances et de formations, croyances et de représentations, en un mot de «culture»

[4] Paul Ricoeur, «L’idéologie et l’utopie», Éditions du Seuil, 1997.

[5] À ce sujet, n’hésitez pas à consulter l’essai de Joëlle Zask, “Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation», Paris, Le Bord de l’eau, 2011.

[6] À ce sujet, n’hésitez pas à consulter l’ouvrage de Hartmut Rosa, «Accélération. Une critique sociale du temps», La Découverte, coll. «Théorie critique», 2013.      

fév 2021

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