Au retour des congés de Noël, c’est la crainte d’un rebond épidémique qui domine. L’arrivée des variants anglais, sud-africain et brésilien inquiète. Le débat sur la nécessité ou non de fermer les écoles s’en trouve relancé. Les étudiant·e·s du supérieur sont quant à eux/elles tenu·e·s loin des auditoires. Une génération sacrifiée qui devrait avoir la priorité dans la campagne de vaccination?
Le point de la situation
Au 2 février, on avait enregistré en Belgique un total de 711.417 cas Covid 19 confirmés: 314.097 cas (44%) en Flandre, 296.344 cas (42%) en Wallonie, dont 4.660 cas pour la communauté germanophone, et 88.335 cas (12%) à Bruxelles (tous les chiffres cités dans cet article sont extraits du bulletin épidémiologique de Sciensano du 2 février 2021; remarque: les données sur le lieu de résidence n’étaient pas disponibles pour 12.641 cas - soit 2%). À la même date, Sciensano constate un total de 21.124 décès: 10.704 (51%) en Flandre, 7.727 (37%) en Wallonie, et 2.693 (13%) à Bruxelles. L’évolution des chiffres est, certes, relativement encourageante après l’explosion de cas des mois d’octobre et novembre, mais la moyenne hebdomadaire des contaminations, des hospitalisations et des décès stagne, voire remonte légèrement, à un niveau trop élevé pour envisager, selon les expert·e·s, un relâchement des mesures de confinement. La moyenne journalière des cas Covid enregistrés fin janvier s’élevait à 2.324 cas (contre 2.128 la semaine précédente, soit + 9%): La moyenne journalière des hospitalisations (qui enregistre toujours un effet retard par rapport au nombre de contaminations) restait encore à la baisse durant la même période (119,1 hospitalisations contre 135,4 la semaine précédente, soit - 12%). De même, la moyenne journalière des décès continuait encore à cette date à diminuer (48 décès pour 50,9 décès la semaine précédente, soit – 6%) comme le montre le graphique des moyennes hebdomadaires de mars 2020 (semaine 14) à la fin du mois de janvier 2021 (semaine 5). La situation par tranches d’âge et en milieu scolaire On le sait, le tribut payé à l’épidémie est très variable selon la tranche d’âge, et plus celui-ci est élevé, plus le nombre de décès enregistrés est importants. C’était vrai au printemps, et cela reste vrai en automne, malgré l’amélioration de la prise en charge hospitalière: On pourrait conclure de ce graphique que la situation dans les écoles, en ce compris l’enseignement supérieur, ne doit pas inquiéter, vu le très faible nombre de décès dans la catégorie d’âge de 0 à 24 ans. Mais ce serait sans compter le nombre de jeunes touchés par l’épidémie et qui, entre pairs, ou vis-à-vis des adultes qui les entourent à l’école, ou au sein du tissu familial, peuvent devenir eux-mêmes la source de la contamination. Or, on s’aperçoit rapidement que le nombre de cas enregistrés chez les moins de 19 ans, est loin d’être négligeable. On observe de même que le nombre de cas dans les tranches d’âge correspondant à la vie active sont également significatifs. D’autres évolutions inquiètent. Ainsi, alors que les chiffres relatifs au nombre hebdomadaire de diagnostics avaient diminué pendant les vacances de Noël, ils repartent à la hausse dans les semaines qui suivent, singulièrement dans les tranches d’âge correspondant à l’obligation scolaire de 0 à 9 ans et de 10 à 19 ans. Certes, si, comme le considère la majorité des spécialistes qui s’expriment sur le sujet, l’épidémie chez les jeunes accompagne l’évolution générale plus qu’elle ne la précède ou la cause, la présence dans les tests réalisés en milieu scolaire du variant britannique et sud-africain, précipite en janvier la fermeture de nombreuses écoles, en particulier en Flandres, mais aussi du côté francophone. Les chiffres fournis par l’ONE sont, de ce dernier point de vue, significatifs: Durant la même semaine, ce sont 33 membres du personnel qui sont déclarés positifs. L’ONE observe que les chiffres du maternel et du primaire sont à prendre avec prudence: les enfants de moins de 6 ans ne sont normalement pas testés, et les élèves du primaire ne sont testés que s’ils sont symptomatiques ou s’il y a un cas avéré dans le foyer ou dans la classe avec risque de contamination. Les chiffres sont donc certainement sous-évalués. Quoi qu’il en soit, les cas Covid déclarés à l’école entrainent ipso facto des mesures de quarantaine dont l’impact n’est pas négligeable, dans la mesure où une cinquantaine d’écoles sont concernées par des clusters: L’ONE a beau considérer, avec raison, que le taux d’incidence auprès de la population des écoles primaires et secondaires était respectivement de 91 et 125 pour 100.000, alors qu’à la même époque, il était de 252/100.000 habitant·e·s dans l’ensemble de la population, l’évolution des chiffres de novembre à fin janvier ne trompe pas. Le nombre de contaminations à l’école est reparti à la hausse et la présence de variants plus contagieux n’est pas faite pour rassurer. D’où la question: faut-il prolonger la durée des vacances de Carnaval pour ralentir le développement de l’épidémie?
L’action des autorités politiques
On le sait, les réactions ne seront pas les mêmes, au nord et au sud du pays, en ce qui concerne l’enseignement. Des différences de sensibilité, des réalités locales différentes expliquent sans doute ces différences. Mais, s’agissant de matières communautarisées, on peut aussi supposer, sans crainte de se tromper totalement, que le Ministre de l’enseignement flamand Ben Weyts (N-VA), souhaita aussi cultiver sa différence, son parti ne se trouvant pas représenté au niveau du gouvernement national. Le 22 janvier, le gouvernement fédéral et les gouvernements des entités fédérées tombent d’accord sur des mesures temporaires de restriction des voyages récréatifs (du 27 janvier au 1er mars 2021) «afin de lutter contre l’importation et la poursuite de la propagation de nouveaux variants» du coronavirus. Il s’agit surtout de couper court au danger, de répéter le retour catastrophique des vacances de Carnaval de 2020 qui eut pour conséquence la dissémination du Covid dans l’ensemble du pays et le lockdown du printemps. Seuls sont autorisés désormais les voyages dits essentiels pour des raisons familiales (regroupement familial, visite à un·e conjoint·e, déplacements liés à la coparentalité, à des mariages, des funérailles ou des crémations), humanitaires (raisons médicales, assistance, visite à un·e proche en soins palliatifs), scolaires (voyages d’études, recherches), ou pour des raisons liées à la vie quotidienne ou aux activités professionnelles des frontaliers/ères. Concernant l’enseignement, le Ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke, sonne l’alarme à la fin du mois de janvier: «Nous devons bien réfléchir à la façon dont nous appréhendons les contaminations chez les enfants car, à un certain moment de l’épidémie, la vie à l’école peut elle-même devenir une source de contamination» (Le Soir, 26 janvier 2021). Le lendemain, un rapport «secret» adressé par le commissariat royal Corona au gouvernement fédéral fuite dans la presse. Les auteurs sont alarmistes: les variants anglais et sud-africain se répandraient à toute allure et annonceraient une troisième vague. Un point de vue aussitôt contesté par les épidémiologues de l’ULB, Yves Coppieters et Marius Gilbert: «Ce n’est pas parce que le variant représente 100 % des transmissions que forcément on va déclencher une troisième vague», rassure l’expert, mais «les efforts qu’on fait maintenant seront un peu moins efficaces. Il va donc falloir compenser en resserrant les nœuds partout où on peut le faire», (Le Soir, 28 janvier 2021). Des deux côtés de la frontière linguistique, un relatif consensus existe, pour, autant que possible: maintenir les écoles ouvertes dans l’enseignement obligatoire et limiter au maximum les cours à distance. Mais les conséquences pratiques peuvent diverger. Du côté flamand, le Ministre de l’enseignement avait réuni, le 2 janvier, les responsables des réseaux, les syndicats, les experts virologues et il avait été décidé de maintenir le statu quo dans les mesures appliquées dans les écoles. La prolongation éventuelle des vacances de Carnaval fut alors déjà évoquée, mais peut-être s’agissait-il d’une rumeur, comme il avait été question précédemment, sans doute de manière infondée, de la prolongation des vacances de Noël. La position du Ministre demeurait inchangée: «Je veux que les écoles restent ouvertes au maximum, même si ce n’est pas le cas dans les pays voisins (…) Les virologues ont confirmé lors de la réunion que les écoles ne sont pas le moteur de l’épidémie mais qu’elles sont plutôt la victime des contaminations dans la société en général» (De Morgen, 2 janvier 2021). Finalement, il sera décidé de ne pas prolonger les vacances de Carnaval dans l’enseignement fondamental et de faire précéder celles-ci par une semaine d’enseignement à distance dans l’enseignement secondaire pour limiter la propagation du variant anglais dans les écoles en Flandres. À la fin du mois, le 28 janvier, le Ministre de l’enseignement Ben Weyts argumente sa position au Parlement flamand: «Fermer les écoles, c’est la dernière chose que nous ferons. L’enseignement, le droit d’apprendre est un droit constitutionnel fondamental. Je trouve même que, si jamais il fallait à nouveau décider de fermer les écoles, une telle décision devrait être prise par le parlement. C’est au parlement à s’exprimer à ce propos» (De Morgen, 28 janvier 2021). Du côté francophone, la volonté de maintenir les écoles ouvertes est également de mise, mais il est décidé de ne pas généraliser les cours à distance dans le secondaire pendant la semaine qui précède les vacances de Carnaval: déjà placées en code rouge, les écoles secondaires ont généralisé l’enseignement à distance partiel. «Trop c’est trop!». Invitée à s’exprimer au parlement de la Communauté française le 2 février, la Ministre de l’enseignement Caroline Désir (PS), a réaffirmé sa conviction qu’il ne fallait pas renforcer davantage les mesures dans l’enseignement obligatoire, mais se montrer plus vigilant·e·s compte tenu de la circulation de variants considérés comme plus contagieux: «Depuis le début du code rouge [c’est-à-dire depuis fin octobre], on reste dans une situation stable. Le nombre de cas en janvier est le même que celui constaté fin septembre, ou en novembre et décembre (…) La situation actuelle ne nous permet pas de retourner dans le code orange», a cependant conclu la Ministre.
La politique de la jeunesse
Mais il n’y a pas que l’école. Il y a aussi la vie sociale, les sports, les activités parascolaires et les loisirs qui sont en veilleuse ou arrêtés pour les ados et les jeunes adultes. Nombreux·ses sont les expert·e·s ou les structures actives dans le domaine de la jeunesse qui s’inquiètent des effets délétères de cette crise qui s’éternise pour les jeunes. C’est ce qui a conduit le Forum des jeunes, qui réunit les organisations de jeunesse, à publier une carte blanche dans le journal Le Soir, par laquelle il réclame un véritable plan de relance pour la jeunesse, construit à partir de la parole des jeunes que relaient les organisations de jeunesse (Le Soir, 2 février 2021). Reste alors la question de la stratégie vaccinale. Faudrait-il, après les personnes âgées, le personnel médical et les personnes assurant des missions essentielles, les personnes atteintes de maladies chroniques, donner la priorité à la vaccination des jeunes? Les avis sont partagés. Yves Van Laethem, le porte-parole interfédéral francophone de Sciensano, n’y est pas favorable, considérant que, dans les faits, «vacciner les jeunes ne leur donnera aucun droit supplémentaire», tandis que le virologue Marc Van Ranst ne s’y oppose pas: «Donner une perspective aux jeunes en les mettant en avant dans la liste des priorités de vaccination serait un choix politique responsable après avoir vacciné les plus de 65 ans, les agents de santé et les soignants, et les personnes souffrant de maladies sous-jacentes». Une option qui mériterait d’être examinée pour en mesurer la faisabilité.
Patrick Hullebroeck, Directeur