L’interculturalité, une manière d’être au monde profondément laïque

Lundi 14 octobre 2024

Image par Franz Bachinger de Pixabay
Sophie Fétu, coordinatrice pédagogique du secteur interculturel

Parmi ses missions, la Ligue met en œuvre des projets et des actions en vue de stimuler et ancrer le dialogue interculturel en Région de Bruxelles-Capitale. À la Ligue, cette mission de cohésion sociale repose sur une conception profondément laïque de la société.

En quoi consiste exactement une mission de cohésion sociale ? Et que vise-t-elle ? Dans son décret de 2018, la COCOF la définit comme «l'ensemble des processus sociaux qui contribuent à assurer à tous les individus ou groupes d'individus, sans discrimination, l'égalité des chances et des conditions, le bien-être économique, social et culturel, afin de permettre à chacun de participer activement et dignement à la société, d'y être reconnu et de s'y reconnaître.1 » Ces valeurs d’égalité, de bien-être global, de dignité, de participation et de reconnaissance de chaque individu forment l’ADN de la Ligue et sont au cœur de son action.

 

«L'homme qui croit en l'humanité ne doit pas encourager la division, mais l'union, il ne doit pas fortifier les sectaires dans leur sectarisme ni ceux qui se haïssent dans leur haine. »

Une société ouverte et plurielle

La mise en œuvre du décret «Cohésion», qui est d’application depuis janvier 2024, se base désormais sur une approche plus territoriale (par quartiers et/ou sur une échelle  régionale et par projets) visant à favoriser le sentiment d’appartenance d’une part et à doper les mécanismes de solidarité entre Bruxellois·es d’autre part. Nous saluons ce décloisonnement territorial car nous pensons que la cohésion sociale ne se limite pas à quelques rues ou chapelles, si nous osons l’expression! Plus fondamentalement, en tant qu’association laïque, nous prônons une société ouverte, joyeusement plurielle et soucieuse d’une humanité qui puisse réellement se rencontrer, sans préjugés, pour «faire société».
En cela, nous avons profité de l’été pour relire Erasme de Stéphane Zweig, dont le message universel nous semble tellement d’actualité: «L'homme qui croit en l'humanité ne doit pas encourager la division, mais l'union, il ne doit pas fortifier les sectaires dans leur sectarisme ni ceux qui se haïssent dans leur haine. Il doit s'efforcer de faire vivre les hommes en bonne intelligence et favoriser les accords; et plus l'époque montre de fanatisme, plus il faut qu'il s'obstine dans son impartialité, ne considérant au milieu de ces désordres et de ces égarements, que ce qui est commun à tous les hommes, en tant qu'avocat incorruptible de la liberté spirituelle et de la justice sur terre».
Au sein de la Ligue, outre la défense et la promotion de l’enseignement public et de l’éducation laïque, nous réfléchissons aux questions d’interculturalité et agissons concrètement. A ce titre, et plus particulièrement ces derniers mois, nous avons de bonnes raisons de nous inquiéter car nous avons vu s’exprimer les idées les plus communautaristes ou les plus délétères en guise de programmes électoraux. En récupérant ces thématiques sociétales fondatrices et essentielles, certains partis agitent et excitent nos différences, comme si elles représentaient un problème en soi.

Laïcité, neutralité et impartialité

Sur le point précis de l’inscription de la laïcité dans la Constitution pour garantir l’impartialité de l’État, rédigé par le Centre d’Action Laïque (CAL) dans son mémorandum 20242 , nous voyons qu’au sein des partis démocratiques, les termes laïcité (PS, Défi), neutralité (MR), neutralité et impartialité (Ecolo) s’expriment volontiers, quand d’autres partis n’abordent aucunement ce sujet (PTB, Les Engagés). Tous les partis démocratiques ne se valent donc pas face à leur promesse de s’engager pour la laïcité politique et philosophique. Pourtant, la question laïque est au cœur de la notion de société et d’organisation de la cité, en tant que ciment du respect des singularités humaines…
Notre mission de mise en œuvre d’une politique de cohésion sociale nous impose donc la plus grande vigilance pour condamner et combattre toute tentation de repli, de même que l’engagement sans relâche en vue du développement d’actions au bénéfice de l’ensemble des Bruxellois et Bruxelloises! Nous sommes donc bien en phase avec la pensée d’Abnousse Shalmani, journaliste et écrivaine iranienne et française, lorsqu’elle écrit: «Seul l'universalisme laïque élève les Hommes à hauteur d'égalité. Seul l'universalisme laïque assure et préserve la liberté pour chacun, quelle que soit sa singularité. Seul l'universalisme laïque réunit les Hommes au nom de leur humanité commune.3 »
Parallèlement, l'interculturalité – ou fait de vivre pacifiquement aujourd’hui et demain, toutes et tous ensemble – pose également la délicate question de l’acceptation versus respect des limites altruistes. Pour aller vers l’autre, que suis-je prêt·e à accepter et que puis-je demander en retour pour me faire respecter? Cela ne peut se réaliser que sur un socle commun de valeurs partagées, démocratiques, égalitaristes, et ce dans l’esprit des règles européennes et belges en vigueur. Et cela s’applique à toute personne sur notre territoire.

Tous et toutes concernées

Selon le docteur en psychologie sociale de l'Université de Liège Manço Altay, «les compétences interculturelles sont des capacités psychosociologiques permettant aux personnes (et pas uniquement à celles issues de l'immigration) de faire face, de manière plus ou moins “efficace”, à des situations complexes engendrées par la multiplicité des référents culturels, dans des contextes sociaux, économiques et politiques inégalitaires»4 . Ainsi, si Bruxelles peut s’enorgueillir d’accueillir plus de 180 nationalités différentes, il serait dangereux de considérer que l’interculturalité concerne exclusivement ces dernières! Les «Belges d’origine belge» sont parties prenantes de ce processus, ni plus ni moins.
Le philosophe et essayiste Abdennour Bidar apporte encore de la hauteur et de la beauté à ce projet: «Comment faire autrement que de partager lorsque je m'aperçois que tout autre est mon frère ou ma sœur humaine qui a autant de droits que moi au bonheur? Au nom de quoi vouloir plus que ce qu'il ou elle a dès lors que nous avons une dignité égale, sans frontières de couleur ni de croyances?5 »

Seul rempart contre l’extrémisme

Or, la tentation d’un pouvoir exécutif de plus en plus fort, la gestion verticale des crises de ces dernières années (lutte contre les terrorismes ou pandémie COVID) et l’estompement de la norme politique (tant par les élu·es que les votant·es) représentent un risque de chercher des boucs émissaires et d’empêcher, dès lors, la création d’une société vraiment pacifiée et confiante en l’avenir. C’est pourquoi, plus que jamais, nous affirmons que le binôme laïcité-interculturalité est le seul rempart contre les extrémismes de tout poil: qu’ils soient religieux, politiques ou sociaux.
La laïcité, s’il fallait encore le rappeler, ne signifie en rien un athéisme radical, mais le rappel que notre rapport aux convictions philosophiques et religieuses est de l’ordre de l’intime. En aucun cas, un prescrit sociétal! Ainsi notre secteur continuera-t-il à développer des actions autour de l’apprentissage du FLE (français langue étrangère), des visites culturelles et des animations d’éducation permanente afin que toute personne habitant Bruxelles puisse rencontrer, échanger et aimer l’autre qui ne lui ressemble pas. Il en est aussi de notre responsabilité citoyenne…
«C'est à nous et à nous seuls qu'il revient de s'engager, de réfléchir, d'analyser et parfois de prendre des risques pour rester libres d'être ce que nous voulons. C'est à nous et à personne d'autre qu'il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les écrire pour couvrir le son des couteaux sur nos gorges. À nous de rire, de dessiner, de jouir, de nos libertés.6 »

  • 1Décret relatif à la cohésion sociale du 30 novembre 2018 (MB 26 février 2019).
  • 2https://memorandum2024.laicite.be/comparaison-programmes/
  • 3SHALMANI Abnousse. Laïcité, j’écris ton nom, Editions de l’Observatoire, juin 2024.
  • 4ALTAY Manço. Compétences interculturelles des jeunes issus de l'immigration. Perspectives théoriques et pratiques, L'Harmattan, 2002.
  • 5BIDAR Abdennour. Quelles valeurs partager et transmettre aujourd'hui?, Albin Michel, 2016.
  • 6MALKA Richard. Le droit d'emmerder Dieu, Points, 2023.

oct 2024

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