Dernière chronique (inter)culturelle avant la prochaine: Bruxelles, grande gagnante de la non-mixité sociale dans ses écoles
Mercredi 20 décembre 2023
Consultant longuement la dernière parution de l’indice socio-économique des écoles maternelles, primaires et secondaires de la FWB, je fus interpellée – mais finalement pas tant que ça – par la profonde disparité en termes de revenus entre les écoles de Bruxelles.
Le document sur l’indice socio-économique des écoles fondamentales et secondaires en FWB1 , portant sur la décennie 2012-2022, s’affiche sous forme de liste de 1 à 20 – 1 pour les écoles où parents ont les plus bas revenus, 20 pour les écoles dont les parents ont les salaires les plus confortables. Il s’agit bien sûr d’une moyenne des revenus par établissement.
Ayant roulé ma bosse quelques années dans l’enseignement secondaire officiel, j’avais une idée approximative de la situation de certaines écoles mais ici, quelques vieilles idées ont été bousculées…
Sans grande surprise, certains établissements bien connus du sud de Bruxelles et du Brabant Wallon caracolent en tête de classement: Decroly, le Christ-Roi, le Berlaymont, Martin V, le Lycée Mater Dei, le Verseau, pour n’en citer que quelques-uns, s’offrent une très royale première place (indice 20). Autrement dit, les revenus des parents de ces institutions sont en moyenne supérieurs à ceux des parents de n’importe quel autre établissement de la FWB. Notons que, contrairement à ce qu’on a tendance à penser à Bruxelles, ce ne sont pas les implantations catholiques qui monopolisent le podium.
On retrouve encore quelques établissements secondaires bruxellois sous la balise 19 (Collège Saint-Hubert à Boitsfort, l’Institut Saint-André à Ixelles, le Collège Saint-Michel à Etterbeek et l’Ecole Active à Uccle), puis quelques-uns plic-ploc jusqu’à l’indice 4, 3, 2 et 1 où se bousculent la majorité de nos écoles.
Pourrait-on dire que ces indices se répartissent par commune? Que les quartiers les plus riches ont les établissements à l’indice le plus élevé? Non, définitivement pas. Et c’est d’autant plus frappant pour le fondamental, où l’on peut trouver deux écoles à l’indice très différent situées à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. L’École fondamentale la preuve par 9 et l’École libre Saint-Antoine à Forest sont dotées d’un indice 1, l’École fondamentale les Filles de Marie et l’École fondamentale Saint Jean-Baptiste de la Salle à Saint-Gilles se côtoient sous l’indice 2, quand leurs voisines l’École fondamentale libre Nos Enfants et l’école fondamentale libre Beth Aviv s’offrent une place parmi les établissements fondamentaux d’indice 20, et l’École fondamentale libre En Couleurs, un 18. Ces lieux étant rassemblés dans un périmètre de moins d’un demi-kilomètre carré.
Pourrait-on justifier cette disparité par le choix pédagogique? Là encore, l’argument n’est pas recevable. Parmi les écoles qui se revendiquent d’une pédagogie alternative – par opposition à une pédagogie plus «traditionnelle» – à Bruxelles, on trouve aussi bien l’École n°13 - École qui bouge à Molenbeek (indice 3), l’École communale Openveld à Berchem-Sainte-Agathe (indice 5), l’Ecole fondamentale du Tivoli à Laeken (indice 4) ou encore l’Ecole du Bempt à Forest (indice 11) aux côtés des établissements de la FELSI (Fédération des Établissements Libres Subventionnés Indépendants), tous en peloton de tête du classement et qui prétendent pourtant «Agir face aux enjeux des inégalités et de la diversité».
Discutant de ce classement avec mes apprenants ayant tous leurs enfants dans des écoles de «pauvres», cette mixité sociale, si l’on souhaite la soutenir bien sûr, doit être le projet des riches, les pauvres souhaitant bien évidemment la mixité sociale pour leurs enfants. Ils remarquent tous, sans exception le problème de ces écoles «ghettos» qui desservent les moins favorisés dans un contexte scolaire qui soutient le plus souvent la culture des dominants.
Peut-être se situe-t-il là le prochain combat de Bruxelles? Lutter contre la pauvrophobie qui, pour l’instant, reste une forme de racisme parfaitement assumée dans certains milieux aisés. Et comme le disait si bien Philippe Meirieu dans un article publié en 2018 sur le site Politis à propos des établissements privés (France) proposant des pédagogies alternatives: «Un milieu aisé, cultivé, de gauche, va défendre l’éducation nationale par principe mais scolariser ses enfants dans ce type d’établissement pour qu’ils ne fassent pas les “frais” de la “crise” de l’école publique et profitent d’une offre scolaire présentée comme plus innovante et permettant de s’extraire du “carcan”». Si nous n’avons pas en Belgique la binarité aussi marquée public-privé des établissements scolaires qu’en France, il est à noter que la plupart des établissements trônant en tête du classement mentionné plus haut demandent des frais de fonctionnement et de scolarité absolument inaccessibles à tous. Ils ne sont pas regroupés sous la bannière «privés» mais si l’on considère que dans ce cas-ci «privés» est synonyme de «payants», nous sommes bien face à la même problématique des revenus des ménages dont il est question dans notre désormais célèbre classement.