Vers une fusion des réseaux de l’enseignement officiel

Jeudi 10 octobre 2024

Image par Maryline Capdaspe de Pixabay
Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Parmi ses mesures phares, le nouveau gouvernement entend fusionner les réseaux de l’enseignement officiel et rationaliser leurs établissements. Cette réforme aux contours flous aura un impact humain et économique considérable, supporté uniquement par l’enseignement public qui, pourtant, ne pourra pas bénéficier de la totalité des économies réalisées.

En une vingtaine de lignes peu détaillées, la coalition Azur annonce dans sa Déclaration de politique communautaire une importante réforme «afin de rendre l’architecture éducative de la Fédération Wallonie-Bruxelles plus efficace et plus efficiente»1 . Entendez par là: afin de réaliser des économies d’échelle substantielles dans un contexte de dette publique colossale. Arguant d’une «situation actuelle source d’inefficacité, de dispersion de moyens et d’inégalité», elle se concentre uniquement sur les réseaux de l’enseignement officiel, éclaté entre l’enseignement organisé par la FWB – le WBE – et le réseau officiel subventionné, lui-même divisé entre deux fédérations de pouvoirs organisateurs.
Le paysage morcelé de l’enseignement obligatoire est une spécialité typiquement belge, comme le souligne Roberto Galluccio, président de la Ligue de l’Enseignement: «L’organisation de l’enseignement est compliquée en Belgique. Il existe quatre réseaux: CECP et CPEONS pour l’enseignement officiel subventionné des communes et provinces, le SeGEC pour l’enseignement libre confessionnel subventionné et la FELSI pour le libre non confessionnel subventionné, et un Pouvoir organisateur, WBE, pour l’enseignement organisé par la FWB.»

Pour mieux comprendre cette organisation générale, on se référera utilement au site enseignement.be qui précise que «bien que le terme “réseau” soit très souvent utilisé dans le milieu scolaire, il n'existe pas de définition juridique de ce terme. On parle aussi bien de deux réseaux: l'officiel et le libre; de trois réseaux: l’officiel organisé, l’officiel subventionné et le libre subventionné; et enfin de quatre réseaux: l’officiel organisé, l’officiel subventionné, le libre subventionné confessionnel et le libre subventionné non confessionnel2 ». Tous ayant leur organe de représentation et de coordination.

Un paysage éducatif morcelé

Mais pourquoi un tel morcèlement du paysage éducatif? Guy Vlaeminck, ancien président de la Ligue de l’Enseignement et ancien administrateur-délégué du CPEONS, remonte à la création de la Belgique: «La Constitution de 1831 spécifie dans sa version d’origine, à son article 17, que “L'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée que par la loi. L'instruction publique, donnée aux frais de l'État, est également réglée par la loi.” Cette disposition (aujourd’hui développée dans l’article 24 de la Constitution) émane de l’Église. Cet état d’esprit a perduré jusqu’à la création de la Ligue de l’Enseignement en 1864 sous l’impulsion de Charles Buls et de la Ville de Bruxelles, pour “faire de l’enseignement” autrement que par catéchisation. Depuis lors, les gouvernements successifs et les partis ouvertement chrétiens continuent à parler d’enseignement “libre” pour faire oublier ses racines catholiques. Au point qu’aujourd’hui les parents ne se rendent plus compte du type d’enseignement dans lequel ils inscrivent leurs enfants.»

Une fusion dans quelle structure?

La fusion des réseaux de l’enseignement public n’est pas sans soulever de nombreuses questions: dans quelle structure seront-ils fusionnés – une structure existante comme WBE? – et avec quels pouvoirs? «L’enseignement étant totalement communautarisé, les compétences pourraient être réparties à différents niveaux de pouvoir, poursuit Guy Vlaeminck. Le primaire pourrait dépendre des communes, le secondaire général de la Communauté française, le secondaire qualifiant des provinces, par exemple». De nombreux scénarios sont possibles qui, tous, posent d’énormes problèmes.

Même si le gouvernement s’engage à faciliter les opérations de rationalisation et de regroupement des établissements en leur sein, c’est bien l’enseignement public qui va supporter tous les inconvénients de la réorganisation sans bénéficier de la totalité des économies réalisées, les retombées financières étant redistribuées à l’ensemble de l’enseignement en Belgique francophone.

Didier Leturcq, administrateur de la Ligue de l’Enseignement et ancien directeur général adjoint de l’Enseignement de la Communauté française s’interroge: «Qui va réfléchir au nouveau système? Il s’agit d’un travail de titans! À moins que l’on ne se contente de petits arrangements? Pour le politique, confier l’enseignement fondamental aux communes, par exemple, est très important car les parents sont des électeurs. Un retour sur investissement en quelque sorte

Un autre point soulevé par cette réforme est la question du financement du futur paysage scolaire officiel, comme le souligne Didier Leturcq: «L’enseignement obligatoire est financé de deux manières différentes. D’un côté, vous avez l’enseignement organisé, le WBE, qui dispose de ses moyens financiers et humains propres. De l’autre, vous avez l’enseignement subventionné, qui est diversement financé par les communes, les villes, les provinces, les asbl, des congrégations religieuses, etc. Aujourd’hui, on assiste à un énorme débat: a-t-on encore les moyens de fonctionner avec des réseaux qui se font la concurrence? Mais bien que lourdement endettée, la Fédération Wallonie-Bruxelles dispose-t-elle du pouvoir suffisant pour imposer des économies à des niveaux de pouvoir comme les provinces et les communes? Quels sont les rapports de force?»

Pour la Ligue, le problème n’est pas d’éviter l’égalité de traitement financier entre le libre et l’officiel, mais bien d’obtenir une égalité d’obligations et de contrôles.

Une réforme du système des subventions

En matière de subventions, une autre annonce de la déclaration a de quoi étonner: «Le Gouvernement entend mettre fin à la discrimination historique de traitement et de financement entre les réseaux libre et officiel en matière de taux de subventionnement par élève et de taux de subventionnement en infrastructures. […] Concrètement, le taux de subventionnement du libre s’établira à 92% d’ici 10 ans, ce qui équivaut à une égalité parfaite de financement par élève entre l’officiel et le libre, à l’exception du coût des bâtiments du réseau libre dont la FWB n’est pas propriétaire.»

«L’enseignement libre essaie de conserver sa liberté d’action tout en essayant d’obtenir, au fil du temps, une égalité de subvention, réagit Guy Vlaeminck. Or le libre, au paysage très explosé, dispose d’autres ressources financières, comme celles des congrégations religieuses par exemple. Pour la Ligue, le problème n’est pas d’éviter l’égalité de traitement financier entre le libre et l’officiel, mais bien d’obtenir une égalité d’obligations et de contrôles. Par exemple le cours de philosophie et citoyenneté, qu’il nous paraît indispensable de dispenser à tous les élèves, alors que le libre confessionnel ne donne que des cours de religion au prétexte que l’éducation à la citoyenneté est diffusée de manière transversale dans les autres cours.»

Force est de constater que le poids de la rationalisation repose sur les seules épaules de l’enseignement officiel au profit de tous les réseaux. Et cela sans envisager la fusion de l’infinité des PO du libre subventionné, pourtant susceptible de participer lui aussi aux économies d’échelle, par ailleurs amplement justifiées. Une position de la coalition MR-Les Engagés qui ne paraît pas mener à la voie de «l’harmonisation» prônée dans sa déclaration.

Bientôt un réseau unique?

En Finlande, 98% des écoles sont publiques. Et si l’idée se propageait enfin à la Belgique? «La vision d’un réseau unique n’est pas impossible mais les obstacles sont à la fois politiques et d’équilibre, explique Guy Vlaeminck. Les catholiques du libre confessionnel ne refusent pas la fusion avec l’officiel en tant que telle, mais ils attendent de l’État qu’il rachète ses bâtiments, ce qui est financièrement impossible. Et c’est l’ensemble du pays qui souffre de cette situation!» Une position également défendue par Didier Leturcq: «Dans l’officiel, on doit accueillir tout le monde. Dans le confessionnel, on a le droit de refuser des élèves qui ne cadrent pas avec un projet pédagogique propre. On ne joue pas avec des règles honnêtes quand un seul réseau doit faire des efforts. La solution est évidente, comme l'affirme aussi l'APED: un seul réseau d’enseignement, financé par les pouvoirs publics

La rationalisation de l’enseignement obligatoire est une idée défendue de longue date par la Ligue de l’Enseignement, estimant que le devoir de formation et d’émancipation de la jeunesse revient à l’autorité publique avec un réseau unique d’enseignement, de caractère public et neutre. Dans son récent communiqué , publié en réaction au contenu de la DPC, la Ligue rappelle qu’«à cet égard, l'enseignement organisé par les pouvoirs publics lui apparaît comme le plus apte à répondre à l'intérêt général, indépendamment de tout courant philosophique, religieux ou pédagogique particulier».

 

Pour aller plus loin

Eduquer 164: Les réseaux face aux nouveaux enjeux de l’école / Abdel de Bruxelles

Lire ou relire notre dossier «Les réseaux face aux nouveaux enjeux de l’école» dans Éduquer n°164 d’octobre 2021:

https://ligue-enseignement.be/education-enseignement/publications/eduqu…

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Son contrat de gestion prenant fin l’an prochain, le nouveau gouvernement réalisera une évaluation des avancées réalisées dans l’organisation de Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) et adaptera éventuellement son contrat de gestion et sa gouvernance.
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