Repenser le rôle des bibliothèques

Mardi 5 décembre 2023

©Pawel Czerwinski - unsplash.com
Timothé Fillon, secteur communication Ligue de l'Enseignement

L’ouvrage Engager les bibliothèques dans la transition écologique, tout juste publié en novembre dernier, bouscule les relations des bibliothèques à l’écologie. En convoquant les compétences du terrain, de la recherche et du champ associatif, il force l’ensemble du secteur à repenser le rôle des bibliothèques dans la transition écologique.

Paru aux Presses de l’Enssib en novembre 2023, Engager les bibliothèques dans la transition écologique rassemble les contributions de 16 autrices et auteurs issus d’horizons variés. Les voix du terrain, portées par des bibliothécaires qui s’activent pour la transition écologique, sont appuyées par l’expertise de chercheurs et chercheuses en bibliothéconomie. La coordinatrice de cet ouvrage collectif, Reine Bürki, envisage la transition comme un cheminement vers un nouveau paradigme économique et social qui «renouvelle nos façons de consommer, de produire, de travailler, de vivre ensemble». Elle pense globalement ce défi, à l’aune des améliorations urgentes à apporter sur le plan matériel, ainsi que du point de vue des représentations socioculturelles que les bibliothèques peuvent égrainer.

Management environnemental

Engager les bibliothèques dans la transition écologique, c’est avant tout impliquer une équipe dans une démarche collective. Le chapitre consacré à l’écomanagement inscrit la nécessité d’une coopération de l’ensemble de l’organisation pour engendrer une dynamique interne qui, en second lieu, pourra se répandre auprès de son public. Elle se coordonne selon le triptyque Comprendre. Se projeter. Agir. Cette démarche commence par la définition d’une stratégie et d'objectifs de développement durable. Elle se poursuit avec la sensibilisation et la formation de l’équipe aux enjeux. Ensuite les bibliothécaires désignent des référents écologiques, responsables de la bonne tenue du cahier des charges. La dynamique se prolonge par la mise en place de réseaux de collaboration avec des acteurs locaux qui élargissent l'engagement de l’organisation au sein d’une synergie territoriale.

Fonctionner durable

À partir du diagnostic, l’ouvrage propose la mise en place de mesures très concrètes. Devant leur étendue, pointons celles qui paraissent sortir du lot. Avec la dématérialisation de la chaine du livre, les bibliothécaires sont davantage conscientisés sur le contenu des livres achetés plutôt que sur leurs contenants. Pourtant un livre, de sa production à sa vente, pèse environ 1,8 kg de CO2. L’autrice Florence Rodriguez invite ainsi les bibliothèques à repenser leurs politiques de conservation. Au lieu de plastifier systématiquement tous les ouvrages, elle recommande de mobiliser certains savoir-faire de prévention et de restauration appliqués généralement aux collections précieuses. Par exemple, à la suite de leur exposition continuelle aux rayons solaires, les livres jaunissent et gondolent. Pour éviter cette détérioration, Rodriguez préconise d’adapter l’éclairage et de disposer des filtres anti-UV aux fenêtres.
Élisabeth Arquier, directrice de la médiathèque municipale de Venelles (Bouches-du-Rhône), rapporte des actions pratiques mises en place par son institution: la création d’une carte collaborative des initiatives locales qui recenserait les lieux de partage et d’échange sur le territoire, les commerçant·es et les acteurs de la transition écologique impliqués dans des dispositifs de consommation durable; le prêt de kits pour évaluer la consommation énergétique des appareils de la maison; des kits «vélos» comprenant cadenas, pompes et kits de réparation rapide; et enfin des jeux de société ayant une dimension pédagogique autour de l’écologie et de la transition.

Sobriété numérique

Autre sujet d’attention, la pollution numérique qui doit s’appréhender selon l’ensemble du cycle de vie de ses supports, c’est-à-dire en englobant la fabrication et la fin de vie à son fonctionnement. Un ordinateur est composé de 22 kg de produits chimiques, de 1,5 tonne d’eau et de 240 kg de combustibles fossiles. Sachant que les déchets d'équipements électriques et électroniques pèsent annuellement 50 millions de tonnes dans le monde, l’auteur Lionel Dujol recommande de prolonger la durée de vie des équipements numériques afin de repousser l’échéance de leur remplacement et d’ainsi limiter le coût écologique de leur production. Cet allongement se réalise à partir des 5R de la sobriété numérique: «Refuser l’inutile. Réduire le nombre des matériels. Réparer. Réemployer. Recycler.»
L’ouvrage relève aussi qu’en tant que lieu d’accueil accessible gratuitement à toutes et tous, les bibliothèques sont capables d’abriter dans l’urgence une partie de la population en cas d’inondation, de canicule ou de pic de pollution. En tant qu’ilots de fraîcheurs l’été et espaces chauffés l’hiver, elles répondent à de réels impératifs sociaux, mis en tension par l’avancée des effets du réchauffement climatique.

Vers un nouveau paradigme

Bien que le sujet soit de plus en plus traité par les revues spécialisées ou à travers des colloques réunissant la profession, la thématique de l’écocitoyenneté et des bibliothèques restait néanmoins peu représentée au sein de l’édition francophone. La parution en 2014 du livre Vers la bibliothèque globale. L’Agenda 21 dans les bibliothèques, codirigé par Chérifa Boukacem-Zeghmouri et Joachim Schöpfel, constituait l’ouvrage de référence pour penser ces enjeux. Il abordait le thème de l’écologie comme un sujet parmi l’ensemble des objectifs de développement durable. Tout en se voulant programmatique, le chapitre consacré à «La performance écologique des bibliothèques» restait cantonné à une écologie des petits gestes.
La parution de l’ouvrage Engager les bibliothèques dans la transition écologique embraye sur une tournure pragmatique et politique, en invitant le secteur à réfléchir aux responsabilités des bibliothèques pour l’avènement d’un nouveau paradigme. Celui-ci s’érigera à partir de la duplicité fondamentale de ces dernières: des lieux de ressources et d’accueil. L'engagement dans ce devenir ne se mesurera pas uniquement à la quantité ou à la qualité des actions mises en place mais par leur intégration cohérente au sein d’une vision élargie. Cet ouvrage, par la polyphonie des points de vue qu’il convoque et par le point de fuite qui les maintient ensemble, permet d’en tracer les premières partitions.

 

Quel est le bilan carbone d’une bibliothèque?

Fanny Valembois, corédactrice du rapport Décarbonons la culture! du Shift Projet, dresse une estimation du bilan carbone d’une bibliothèque. Ce calcul représente un levier fondamental pour prioriser les actions à mettre en œuvre. Il renforce l’idée que l’essentiel se joue dans l’infrastructurel.
L’évaluation présentée dans le rapport concerne une bibliothèque municipale de 1500 m2, divisée en deux bâtiments chauffés au gaz. La bibliothèque touche approximativement 9000 personnes inscrites et elle achète environ 4000 livres par an. Les émissions de gaz à effet de serre de cette bibliothèque sont ainsi estimées à quelque 135 tonnes par an. Leur répartition se présente comme suit:

Source : The Shift Project
Source : The Shift Project

Nuançons néanmoins avec l’autrice «qu’il est possible que [les émissions carbones du déplacement] soient ici sous-estimées». Les équipes des bibliothèques interrogées étant «convaincues que quasiment aucun usager ne vient en voiture. Pourtant, les statistiques des transports au niveau national disent le contraire: la voiture représente plus de 80% des kilomètres parcourus (et 60% des trajets de moins de 5 km)».

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