Les dommages et la destruction massive de la nature et des écosystèmes vitaux sont depuis des décennies une conséquence grave du développement économique rapide. Pour l'essentiel, personne n'a été tenu à ce jour pour responsable de ce grave préjudice, de plus en plus souvent qualifié d'écocide. La reconnaissance de l’écocide constitue un garde-fou juridique permettant de dissuader et de prévenir les pires dommages, d'encourager fortement l'adhésion à une réglementation protectrice et de combler les lacunes laissées par le corpus existant et fragmenté des lois sur l'environnement.
Le crime d’écocide se définit comme «des actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables». En d’autres termes, l’écocide est une destruction ou un endommagement irrémédiable d’un écosystème lié à sa surexploitation, qu’elle soit intentionnelle ou non. Mais qu’en est-il de son statut en droit?
La Belgique, pionnière en la matière
La Belgique se positionne comme un État pionnier dans ce débat, en se préparant à inclure l’écocide dans le nouveau Code pénal belge. Ces dispositions n’imposeront pas de nouvelles obligations environnementales mais elles permettront de poursuivre pénalement l’écocide, pour plus de loyauté envers celles et ceux qui les respectent. Cette décision sera prise dans les mois à venir.
Les démarches en ce sens sont assez récentes et débutent le 1er décembre 2021, lorsque le parlementaire Samuel Cogolati dépose une proposition de loi visant à introduire la notion de crime d’écocide dans le Code pénal belge. Le 2 décembre 2021, le Parlement fédéral adopte en session plénière le texte proposé à 96 voix contre 39. Près d’un an plus tard, le 5 novembre 2022, le gouvernement belge propose l'inclusion du crime d'écocide dans le droit national, une initiative défendue par la ministre du Climat, de l'Environnement, du Développement durable et du Green Deal, Zakia Khattabi. Le nouveau crime d'écocide est inclus dans les réformes proposées par le ministre fédéral de la Justice, Vincent van Quickenborne, du Livre 2 du Code pénal.
La définition d’écocide prévue dans la proposition présentée par le gouvernement est trop restrictive par rapport à celle du Parlement fédéral, proche de celle élaborée par un panel de juristes internationaux et acceptée comme base par le Parlement européen. Pour cette raison, une campagne a été lancée par Stop Ecocide Belgium, la Fondation européenne pour le droit du vivant, Greenpeace et d’autres organisations afin de persuader le gouvernement d’accepter une définition du crime d’écocide plus large selon le consensus international.
Une prise de position européenne très récente
Réuni en séance plénière le 29 mars 2023, le Parlement européen a pris position, à l’unanimité, pour inscrire l’écocide dans le droit européen. C'est au sein de la Directive de 2008, portant protection de l'environnement dans le droit pénal, que le Parlement a proposé une définition, des sanctions et des procédures pour condamner l'écocide.
Une procédure complexe de réunions tripartites informelles, appelées trilogues, doit avoir lieu par la suite entre le Parlement, la Commission européenne et le Conseil pour tenter de trouver un accord sur cette proposition dans le cadre des débats sur la révision de la Directive susmentionnée. La Suède, présidente du Conseil jusqu'au 30 juin, souhaite inscrire ce texte parmi ses réalisations. Une fois le texte adopté, il devra être transposé par les Etats membres dans leur droit national dans les 18 mois.
Bientôt une reconnaissance internationale?
Aucun cadre juridique n’est actuellement en place au niveau international. Si une notion très restrictive est aujourd’hui reconnue dans les Codes pénaux nationaux de onze pays (Géorgie, Arménie, Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie, Russie, Tadjikistan, Vietnam et France), l’écocide n’est pas encore considéré comme un crime passible de poursuites internationales.
Depuis plusieurs années, de multiples acteurs de la société civile réclament la reconnaissance en droit international de l’écocide dans une convention spécifique ou dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), en tant que cinquième crime contre la paix et la sécurité, aux côtés du crime de guerre, du crime contre l’humanité, du génocide et du crime d’agression.
En décembre 2020, en tant que vice-Première ministre et ministre des Affaires étrangères à la 19e Assemblée générale de la CPI, Sophie Wilmès a plaidé pour que les États membres s'intéressent au nouveau crime international d'écocide. La Belgique a ainsi été le premier pays européen à soutenir ouvertement l'initiative internationale. Le Vanuatu et les Maldives, petits États insulaires qui sont les premiers à être touchés par la hausse du niveau des mers, l'avaient déjà fait un an auparavant. Depuis, la France, le Luxembourg, le Canada et la Finlande ont également exprimé leur soutien. Au sein de la Commission, les Etats membres de l’Union européenne représentent 40% des Etats parties à la CPI. Avec le Vanuatu et les Maldives, qui se sont déjà exprimés en faveur de l'inscription de l'écocide au Statut de Rome, l’obtention de la majorité qualifiée (deux-tiers des États) requise pour amender le Statut de Rome et y reconnaître le crime d’écocide pourrait bientôt être obtenue.