Environnement / L’éducation comme moteur du changement

Lundi 8 mai 2023

Ecocide, changer ou disparaître
Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

Après le succès du documentaire LoveMEATender en 2011, qui interroge notre consommation de viande et ses impacts, le docteur Yvan Beck s’est lancé dans un nouveau film sur l’interdépendance du monde vivant. Ce faisant, il souhaite favoriser une relation plus éthique entre l’être humain, les animaux et les différentes formes de vie sur Terre. Rencontre avec cet ardent défenseur de la cause environnementale qui place l’éducation au cœur de son action.

Éduquer: Parlez-nous de la genèse de votre film Ecocide, changer ou disparaître
Yvan Beck:
Mon précédent documentaire, LoveMEATender, abordait la question de la viande dans une approche systémique. Il visait à montrer les liens entre production, économie mondiale, environnement, bien-être animal et consommation. Ce film a recueilli un très grand intérêt, en particulier en milieu scolaire, et il a même été primé du Magritte du meilleur documentaire en 2012. Il nous a paru important, ensuite, d’élargir la sensibilisation au concept d’interdépendance du monde vivant. Ce nouveau documentaire ne devait d’ailleurs pas s’appeler Ecocide mais bien Interdépendance du vivant, ce sujet étant en réalité la partie centrale du film.

Éduquer: Comment s’est fait le choix de sa réalisation?
Y.B.:
Il nous a fallu huit ans de préparation entre les deux films, dont deux années de script et  deux ans de tergiversations avec une maison de production, que nous n’avons finalement pas retenue à cause des délais imposés avant que le film ne soit consultable en accès libre et gratuit. A la Fondation européenne du droit du vivant, qui est productrice du documentaire, nous estimions que vu l’urgence planétaire, il était nécessaire de diffuser le film largement, rapidement et sur le long terme. C’est ce qu’offre le canal YouTube, avec en outre une mondialisation bien plus large qu’un DVD. Nous avons même des spectateurs et spectatrices en Afrique et en Inde! Le corollaire, c’est une production réalisée en intelligence collective, davantage en adéquation avec nos valeurs. Afin d’approcher le zéro carbone, nous n’avons pas effectué de déplacements lointains. Les interventions se sont faites principalement en ligne, notamment lors de la crise du covid, et nous avons intégré des images tournées lors d’un colloque sur l’interdépendance du vivant que nous avions organisé sous l’obédience du roi Philippe en 2016.

Éduquer: Quelle est la singularité de votre documentaire?
Y.B.:
Notre public cible est la jeunesse. Nous avons volontairement choisi de mettre en scène des jeunes, étudiant·es en théâtre du Lycée Molière, et l’actrice Léone François qui interprètent, en fil rouge et fictivement bien sûr, le premier procès pour écocide. Car le principe du film repose sur une alternance entre les scènes du procès – les dialogues entre les avocats et la cour – et des portes d’accès à des thèmes où interviennent des personnalités éminentes comme Sa Sainteté le Dalaï-lama, la philosophe Corine Pelluchon ou l’activiste Satish Kumar, ainsi qu’une pléiade de sages et d’expert·es de renom issu·es des quatre coins de la planète.

Éduquer: Quels sont les principaux thèmes abordés dans le film?
Y.B.:
Le film est découpé en trois parties, en trois modules indépendants travaillant en interdépendance, ce qui est justement le thème central de notre propos. La première porte d’entrée est l’anthropocène, c’est-à-dire l’ère au cours de laquelle l’espèce humaine se rend responsable des dégâts qui menacent actuellement sa survie. Les activités humaines ont pour effets majeurs le changement climatique et l’effondrement de la vie sur Terre. pour effets majeurs le changement climatique et l’effondrement de la vie sur Terre. S’il n’y avait qu’un seul chiffre à retenir, issu du rapport Planète vivante 2022 du WWF sur l’état de la biodiversité dans le monde, c’est celui-ci: sur les 48 dernières années, les populations de vertébrés (mammifères, oiseaux, poissons, reptiles et amphibiens) ont diminué de 69%! Si on ne fait rien, dans 50 ans, 50% des espèces auront disparu.

On ne sait ni où, ni quand, ni comment, mais sans changement majeur, on va arriver à un point de bascule irréversible.

Éduquer: Une image impressionne particulièrement…
Y.B.:
L’image emblématique du film est le jeu de la tour de blocs qui s’écroule. Par cette métaphore, nous voulions expliquer le principe de la thermodynamique des systèmes complexes, la théorie du chaos. Celle-ci se distingue par l’imprédictibilité à long terme et par la non-linéarité. La pièce de trop qui tombe, et c’est tout le système qui s’effondre et qui va devoir trouver un autre équilibre. On ne sait ni où, ni quand, ni comment, mais sans changement majeur, on va arriver à un point de bascule irréversible. Comme à l’époque de la météorite qui a provoqué l’extermination des dinosaures, la Terre va repartir à zéro, avec ou sans les humains…

Éduquer: Comment en sommes-nous arrivés là?
Y.B.:
L’espèce humaine s’est sortie du monde évolutif en façonnant la Terre selon ses besoins. Sa coupure à la nature s’est produite essentiellement lorsqu’elle s’est érigée en homo economicus. La deuxième porte d’entrée du film a pour but de recréer des liens, d’inviter le public à une compréhension que les différentes formes de vie sur Terre ne sont ni tout à fait les mêmes, ni fondamentalement opposées. Nos différences sont des questions de degrés de comportement et de structures, mais elles se retrouvent partout dans le monde vivant et reposent généralement sur l’altruisme et la solidarité. A ce titre, je recommande la lecture de L’entraide, l’autre loi de la jungle, un brillant ouvrage de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, ce dernier ayant d’ailleurs travaillé avec nous à l’élaboration du dossier pédagogique.

Éduquer: Qui sont vos ambassadeurs?
Y.B.:
Nous avons fait appel à la contribution de scientifiques comme l’éthologue Jane Goodall, l’écologiste Claudine André, la biologiste Myriam Lefebvre ou les microbiologistes Claude et Lydia Bourguignon. Ils nous expliquent et nous démontrent que la principale responsable, c’est l’idée d’une croissance illimitée sur une planète limitée. Toute action positive a un résultat positif. Et malheureusement l’inverse est vrai aussi… Mais les meilleurs ambassadeurs du film sont sans doute les vers de terre, les abeilles et les grands singes! On retrouve chez ces espèces des points communs avec la nôtre. Grâce à des anecdotes, nous pouvons comprendre que nous appartenons à la même famille planétaire.

Nous devons d’abord intégrer personnellement la nécessité du changement, car il n’y a pas de paix extérieure sans paix intérieure. Pour ce faire, la méditation, sous toutes ses formes, est un outil puissant.

Éduquer: Quels outils proposez-vous pour le changement?
Y.B.:
Dans la troisième partie du film, notre porte d’entrée est de démonter le spécisme, cette idéologie selon laquelle l’être humain se différencie des autres espèces par sa supériorité. Nos intervenant·es sont d’éminent·es penseur·ses: les philosophes Corine Pelluchon et Peter Singer, les sages comme Matthieu Ricard ou Samdhong Rinpoché. Ils et elles nous indiquent que pour parvenir au changement, les leviers doivent être à la fois individuels et collectifs. En effet, nous devons d’abord intégrer personnellement la nécessité du changement, car il n’y a pas de paix extérieure sans paix intérieure. Pour ce faire, la méditation, sous toutes ses formes, est un outil puissant. L’éducation à la compassion, comme elle se pratique au Bhoutan ou à Dharamsala en Inde, en est un autre.

Éduquer: Existe-t-il déjà des leviers collectifs?
Y.B.:
Au niveau collectif, il faut mettre en place les outils juridiques qui vont permettre d’y avoir recours en cas de manquements. Premièrement, il y a la reconnaissance – et son inscription en droit – du concept de personnalité juridique non humaine. En 2018, l’animal a acquis en Belgique une personnalité juridique (un peu comme le sont les sociétés), il est passé d’objet à être sensible. Malheureusement, il est encore répertorié en «mobilier». Nous menons une lutte quotidienne pour une définition de trois catégories distinctes: l’être humain, le monde vivant et le mobilier. Ensuite, il faut poursuivre la lutte pour une reconnaissance du crime d’écocide, avec la mise en place de juridictions nationales et internationales. La Belgique est d’ailleurs précurseuse en la matière, nous en sommes au stade d’inscription dans la Constitution. Au niveau européen, le Parlement européen vient tout juste d’adopter à l’unanimité, en séance plénière le 29 mars, l’inscription du crime d’écocide dans le droit européen! Le texte, doté d’une définition et de sanctions, doit encore être négocié avec les Etats membres de l'UE et la Commission, mais le signal est fort.

Éduquer: Comment votre film a-t-il été accueilli depuis sa diffusion ?
Y.B.:
Le film n’est pas visionné que par les jeunes. En accès libre sur YouTube depuis un an, il compte déjà 15.000 vues, principalement en France (34%) et en Belgique (21%), mais aussi au Canada, aux Etats-Unis ou en Suisse. Notez que dans nos statistiques, nous relevons 62% de spectatrices pour 37% de spectateurs! Et ce sont les tranches d’âges 35-44 ans et 45-54 ans qui sont les plus représentées. Nous organisons également des projections-débats et, depuis début mars 2023, le film est vu dans les écoles grâce aux contacts des associations partenaires qui ont réalisé le dossier pédagogique, comme le Réseau IDée et le programme Roots & Shoots du Jane Goodall Institute. Le film, tout comme le dossier pédagogique qui le précède et l’accompagne, sont disponibles gratuitement en trois langues (français, néerlandais, anglais, et bientôt espagnol), ce qui permet une diffusion pratiquement partout dans le monde. Malgré son titre quelque peu effrayant Ecocide, changer ou disparaître, le film est très bien accueilli par la jeune génération. Et le fait d’avoir fait appel à la jeunesse pour la toucher y est pour beaucoup!

Bio express
Yvan Beck, vétérinaire engagé

Yvan Beck

Docteur en médecine vétérinaire (ULg), Yvan Beck est aussi expert vétérinaire en biologie clinique, ostéopathe vétérinaire (IMAOV) et détenteur d’un master en environnement (Igeat ULB). Depuis 45 ans, le Dr Beck adopte une approche holistique de la médecine vétérinaire.


Né en Afrique où il est attiré dès le plus jeune âge par le monde animal, le docteur Beck s’engage en début de carrière pour la défense des animaux, aux côtés du sénateur Roland Gillet dans l’association Planète-Vie dont il reprend la présidence en 1995. Au départ mouvement fédérateur pour la protection et le bien-être animal, l’association a étendu ses préoccupations aux relations entre l’économie et le monde vivant, en s’attachant à montrer le lien entre l’humain, le monde animal et l’environnement.
Parmi les combats du Dr Beck, citons le dossier relatif à la protection et au bien-être des animaux (inscrit dans la loi du 14 août 1986), citons le combat contre les pièges à mâchoires pour les animaux à fourrure (qui a abouti au règlement européen de 1991 interdisant leur utilisation). Citons aussi son combat – toujours d’actualité – pour la fermeture des delphinariums et, le plus important, celui pour la reconnaissance du statut légal des êtres vivants.


Outre ses films documentaires LoveMEATender (2011) et Écocide, changer ou disparaître (2022), Yvan Beck est également l’auteur des ouvrages L’Animal, l’homme, la vie (Ed. Les Eperonniers, 1998), Liberté pour les dauphins (Ed. Labor, 2000), Ceci n’est pas un dauphin: manifeste pour une reconnaissance juridique du monde vivant (préface de Matthieu Ricard, Ed. Weyrich, 2017).

 

Eduquer 178 - Pierre-Paul Pariseau

mai 2023

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178

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