Enseignement obligatoire: Un «pacte de confiance» inquiétant

Jeudi 10 octobre 2024

Image par 愚木混株 Cdd20 de Pixabay
Marie-Francoise Holemans, secteur communication Ligue de l'Enseignement

L’enseignement obligatoire du futur, celui qui commence dès aujourd’hui pour éclairer demain, repose sur d’importantes réformes annoncées dans la Déclaration de politique communautaire. Si les objectifs sont clairs, les modalités sont périlleuses et peuvent laisser la place à plus d’inquiétude que de confiance.

Le nouveau gouvernement MR-Les Engagés a annoncé la couleur de sa législature 2024-2029 en quelque 80 pages d’un programme ambitieux, intitulé «Avoir le courage de changer pour que l’avenir s’éclaire». Publiée à peine un mois après les élections du 9 juin 2024, son imposante Déclaration de politique communautaire (DPC) a la volonté affichée de «moderniser notre espace francophone sans le brutaliser».
L’enseignement étant, avec la culture, la principale mission de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), à laquelle elle consacre la majeure partie de son budget, la nouvelle coalition désire lui donner la priorité en améliorant le système scolaire, un système marqué selon elle «par des écarts de performance, des inégalités, une recherche de sens et trop souvent un mal-être des acteurs de l’éducation».

Population scolaire et étudiante en FWB

Source: Les chiffres clés de la FWB 2023, p.12.

Une perspective d’excellence à long terme

Pour que chacun puisse s’épanouir dans une société durable et solidaire, dans une vision à long terme de l’évolution des jeunes générations, le nouveau gouvernement veut favoriser la fréquentation scolaire dès l’âge de trois ans et intégrer l’enfant et sa famille tôt dans l’univers de l’école, il compte donner la priorité aux apprentissages de base (lire, écrire, calculer) ainsi qu’assurer des priorités en matière de langues, de citoyenneté, de transition climatique, de numérique et de culture avec les acteurs associatifs.

Établissements scolaires en FWB (2023-2024)

Source: Les chiffres clés de la FWB 2023, p.12.

La DPC brosse ainsi le portrait de l’enseignement obligatoire du futur tout au long des 30 pages du chapitre «Un pacte de confiance pour une école de l’exigence». Les enjeux sont importants et les intentions vertueuses, dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, visant un retour progressif à l’équilibre d’ici dix ans, notamment par une réduction des dépenses publiques.

Dette publique
D’ici la fin de l’année 2024, la dette de la FWB s’élèvera à 12,5 milliards d’euros.
Source: https://budget-finances.cfwb.be/financement/rapport-annuel-de-la-dette/

L’idée première est d’évaluer le Pacte pour un Enseignement d’excellence lancé en 2015, d’en identifier les ajustements et d’en conserver les objectifs, à savoir augmenter les compétences des élèves, renforcer l’équité, réduire le redoublement et le décrochage, renforcer l’inclusion des élèves à besoins spécifiques et améliorer le bien-être et le climat scolaire.
Pour justifier son paquet de nouvelles mesures, le gouvernement de la FWB pose le constat d’une société qui a fortement évolué entre 2015 et 2024, entraînant avec elle, dans l’enseignement, l’adoption de nouvelles formes d’apprentissage à la suite de la crise sanitaire, l’arrivée de nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, et l’émergence de problèmes de harcèlement et de décrochage scolaires. Son intention est donc la suivante: dépasser le Pacte pour un Enseignement d’excellence et «devenir un pacte de confiance pour un enseignement d’excellence».
Une nuance qu’il conviendra d’observer durant les prochains mois dans les décisions qui découleront de cette déclaration… De confiance, il sera en effet beaucoup question dans les pages qui suivent, tant les annonces sont porteuses de bouleversements, en particulier pour l’enseignement officiel qui concerne 50% des élèves scolarisés.

Répartition par réseau des élèves de l’enseignement ordinaire en 2021-2022

Source: Indicateurs de l’enseignement 2023, p. 87

Lutte contre la pénurie enseignante

«La première condition de la qualité du système éducatif, c’est d’avoir un enseignant dans chaque classe devant ses élèves. Le Gouvernement fera donc de la lutte contre cette pénurie sa priorité politiqueDéclaration de politique communautaire 2024-2029.» Et de fait – et c’est le tout gros volet de la DPC – sans enseignant·es, ce vaste programme d’excellence ne restera que sornettes et billevesées.

Personnel employé dans l’enseignement en FWB
123.989 équivalents temps plein de l’enseignement

•    99.377personnel enseignant
•    3.534 personnel de direction
•    21.078 personnel administratif, psychosocial, éducatif, ouvrier, etc.
Source: https://statistiques.cfwb.be/transversal-et-intersectoriel/emploi-fw-b/…

Concrètement, pour renforcer l’attractivité du métier et lutter contre la pénurie, il entend revaloriser le métier d’enseignant·e en modernisant et simplifiant son statut, notamment en mettant fin au régime statutaire et en engageant le nouveau personnel enseignant en CDI, assorti d’une augmentation de deux heures de prestations hebdomadaires. Une série d’autres mesures sont envisagées – comme la valorisation de l’expérience des enseignant·es de seconde carrière ou la possibilité de prester des heures supplémentaires – mais toutes ne sont pas nécessairement de nature à attirer et conserver les talents, ni à rassurer une profession en mal de motivation.

Coût annuel de l’enseignement en FWB
L’enseignement est la dépense la plus importante de la FWB (72,3% des dépenses totales) et représente un coût total annuel de 9,753 milliards d’euros.
Source: Indicateurs de l’enseignement 2023, p. 21

À noter cependant la volonté d’acquisition prioritaire de nouvelles compétences chez les enseignant·es grâce à la formation continue: l’éducation aux médias, l’utilisation des outils numériques et de l’intelligence artificielle, le climat scolaire et la gestion de classes, en particulier multiculturelles, la montée des extrémismes et le harcèlement scolaire sont cités. Le gouvernement clôture cet imposant volet de revalorisation du métier en annonçant l’interdiction, par décret, du port de signes convictionnels à tous les enseignant·es de l’enseignement obligatoire du réseau officiel, à l’exception des professeur·es de religion.

Un tronc commun polytechnique

Le tronc commun sera «ajusté» afin de développer les compétences des élèves. Cela passera par un renforcement des apprentissages de base (orthographe, vocabulaire, lecture, compréhension à la lecture) jusqu’en 3e primaire, par la mise en œuvre des apprentissages polytechniques et artistiques, et par l’instauration, avant la fin du tronc commun, d’un stage d’observation de cinq jours dans le monde du travail ou associatif pour donner à l’élève l’occasion de préciser son projet d’orientation. En matière d’évaluation, le seuil de réussite des épreuves externes qui balisent le tronc commun (en fin de 3e et 6e primaire et de 3e secondaire) sera porté à 60%.

Coût scolaire annuel
Le parcours scolaire complet, sans redoublement, est estimé à 102.044 €. La moyenne annuelle par élève pour l’année 2021-2022 est de:
•    4.901 € en maternelle
•    5.577 € en primaire
•    8.980 € en secondaire ordinaire
•    22.746 € en spécialisé
•    6.291 € en supérieur hors université
•    7.786 € en université
Source: Indicateurs de l’enseignement 2023, p. 21

La 3e secondaire, censée clôturer le tronc commun, deviendra une année de transition, avec un socle allégé d’activités communes et plus d’activités orientantes afin d’affiner le projet de chaque élève. L’objectif est que chaque jeune sorte du tronc commun avec un projet spécifique qui le mènera soit vers l’enseignement secondaire supérieur de transition préparant aux études supérieures, soit vers l’enseignement qualifiant pour se former à un métier ou un groupe de métiers. A cet égard, la FWB projette une réforme systémique du qualifiant avec les Régions, le monde du travail et de l’emploi, en mettant en place des politiques croisées qui intègrent l’alternance et la formation professionnelle et une meilleure répartition géographique (y compris pour les filières des soins de santé).

Coût du redoublement
Le redoublement dans l’enseignement obligatoire engendre un surcoût annuel estimé à 367 millions d’euros.
Source: Indicateurs de l’enseignement 2023, p. 21

L’enseignement public en danger

Le cours de Philosophie et de Citoyenneté (CPC), dont on espérait le passage à deux heures dans l’ensemble de l’enseignement obligatoire, se voit maintenu à l’heure hebdomadaire dans l’enseignement secondaire officiel, mais laissé à l’autonomie pédagogique des fédérations de pouvoirs organisateurs de l’enseignement libre quant à leur organisation pratique. Au cœur de ce cours de philosophie et citoyenneté, relevons la nouvelle obligation d’inclure le dialogue interconvictionnel et l’histoire des courants religieux, avec la création et la mise à jour de nouveaux référentiels et l’organisation d’une réelle inspection. Une disposition qui remet en question la nature même de ce cours et qui va l’encontre de la neutralité prônée par la Ligue pour répondre aux enjeux sociétaux actuels et à venir.
Parmi les surprises réservées par la DPC, signalons cette ambition d’une plus grande efficience des réseaux d’enseignement. Si la mesure paraît logique en soi dans un contexte de déficit budgétaire, elle ne concerne toutefois que les réseaux de l’enseignement officiel, à savoir l’enseignement organisé par Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) et les réseaux subventionnés CECP et CPEONS. Sans en décrire les modalités, la DPC annonce leur fusion, leur rationalisation et le regroupement de leurs établissements. Le texte affirme en outre vouloir tendre vers la fin de la discrimination de traitement et de financement entre l’enseignement libre et l’enseignement officiel, sans préciser ni la méthode ni le calendrier, ni même sans évoquer une fusion globale de tous les réseaux qui permettrait la création d’un véritable enseignement public et neutre…

Un chantier colossal

Entre autres mesures, le gouvernement promet aussi un choc de simplification administrative pour renforcer l’autonomie des directions d’écoles afin qu’elles deviennent «de véritables cadres de la gestion d’établissement, autonomes et disposant du temps et des moyens pour exercer un leadership éducatif et pédagogique affirméIbid. p. 15.». Des expressions évoquant davantage le monde de l’entreprise que la sphère éducative.
On citera encore la volonté de placer les langues au cœur des apprentissages avec l’apprentissage obligatoire d’une seconde langue nationale; la poursuite de la «stratégie numérique» dans et au profit des apprentissages, mais avec la possibilité notable d’interdire l’utilisation des smartphones, montres connectées, etc. à des fins récréatives jusqu’à la fin du tronc commun. Et enfin, pour une école au cœur de la société, une harmonisation des rythmes scolaires annuels est envisagée avec les communautés flamande et germanophone, ainsi qu’une réforme des rythmes scolaires journaliers. Un climat scolaire apaisé et des bâtiments propices aux apprentissages de qualité en font aussi partie, plaçant le bien-être et la santé mentale au cœur du projet scolaire.
Si de nombreux points du grand chantier de la coalition Azur représentent pour la Ligue des atteintes potentielles à ses principes fondamentaux en matière d’enseignement obligatoire – comme on le lira dans les pages suivantes –, bien d’autres éléments figurent au programme ambitieux du nouveau gouvernement tels les importants volets de l’enseignement supérieur et de l’enseignement de promotion sociale, l’accueil de la petite enfance, la politique de prévention de la santé, la culture ou encore les médias.

oct 2024

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