Plusieurs personnalités politiques se sont récemment exprimées en faveur de la fin de l’obligation scolaire à 16 ans. Que faut-il en penser ?
La durée de l’obligation scolaire a été prolongée jusqu’à l’âge de 18 ans en 1983. Quarante ans plus tard, le débat sur la durée de l’obligation scolaire est relancé en Flandre à la suite des propos de Conner Rousseau, président de Vooruit, tenus dans Het Nieuwsblad le 28 janvier dernier. L’homme politique y déclare réfléchir à l’opportunité de ramener la fin de l’obligation scolaire à 16 ans : « Certains jeunes en ont marre de l’école à 16 ans, ils ont perdu leur motivation et se sentent frustrés sur le plan du travail. Ne serait-ce pas mieux de les laisser travailler ? Il faut sans doute encore les accompagner mais ils n’ont plus besoin d’être en permanence à l’école ». Conner Rousseau se dit également occupé à réfléchir à une proposition de loi pour avancer l’obligation scolaire à l’âge de 3 ans (De Morgen, le 28 janvier 2023).
Un débat relancé en Flandre
Le président de Vooruit prolonge ainsi les réflexions de Dirk Van Damme, un expert de l’OCDE qui fut également chef de cabinet de Franck Vandenbroucke de 2004 à 2008 alors qu’il était ministre de l’Éducation en Flandre, et qui considère l’obligation scolaire jusque 18 ans comme une erreur. Selon lui, cette obligation maintient à l’école des jeunes qui ne souhaitent plus s’y trouver et elle les empêche de travailler. Des jeunes qui ont perdu l’envie d’apprendre et qui commencent à travailler découvrent rapidement que leur faible qualification ne les conduit à rien de très intéressant. Ils retrouvent ainsi une motivation à se former dans le cadre de la formation professionnelle pour les adultes. Maintenus à l’école, ils apprennent peu par manque de motivation et perturbent la scolarité des jeunes qui, au contraire, souhaitent apprendre.
Dirk Van Damme porte un jugement très négatif sur l’enseignement en alternance organisé en Flandre et il préférerait la mise en place d’un système d’individual learning account, un compte individuel pour la formation, accompagnant le travailleur tout au long de sa vie professionnelle (www.sampol.be, le 31 janvier 2023). Du côté francophone, Pierre-Yves Jéholet a fait des déclarations qui vont dans le même sens, dans la Dernière Heure du 11 février 2023, et qui poursuivent des propos déjà tenus dans le journal l’Echo en 2018.
Que dit la loi ?
Actuellement, l’obligation scolaire se termine à 18 ans. A partir de 15 ans, l’obligation n’est plus qu’à temps partiel pour un jeune ayant achevé les deux premières années du secondaire et à 16 ans pour les autres. A partir de cet âge, un jeune satisfait à l’obligation scolaire, soit en poursuivant l’enseignement secondaire de plein exercice, soit en suivant l’enseignement en alternance ou une formation organisée par les Classes moyennes, indépendamment de la possibilité de suivre l’enseignement à domicile qui existe aussi dès le début de la scolarité.
L’enseignement secondaire en alternance a comme base légale le Décret du 3 juillet 1991 qui l’organise. Il est assuré par les CEFA (Centres d’Education et de Formation en Alternance). Ceux-ci sont adossés à des établissements scolaires du qualifiant ou de l’enseignement spécialisé de forme 3 ou 4. La formation en alternance est aussi assurée par deux autres grands acteurs de la formation. En Wallonie, il s’agit de l’IFAPME (Institut wallon de Formation en Alternance et des indépendants et Petites et Moyennes Entreprises). A Bruxelles, elle est dispensée par l’EFP (Espace Formation PME) et le SFPME (service public francophone chargé à Bruxelles des stages en entreprise et du suivi des stagiaires), les deux composantes étroitement liées de la formation en alternance à Bruxelles. Ces deux acteurs s’adressent aux adultes en situation de chômage ou en reconversion mais aussi aux jeunes à partir de 15 et 16 ans.
Qu’en pense la Ligue ?
Il nous semble utile de rappeler que l’obligation scolaire a pour but de protéger le droit à l’enseignement de tous les jeunes, en particulier de ceux qui, à cause de leur condition économique et sociale ou de leurs origines, seraient, sans cette obligation, privés d’école soit pour « rester à la maison », soit pour aller travailler. Le raisonnement de Dirk Van Damme est basé principalement sur des considérations socio-économiques propres à la Flandre qui est dans une situation de quasi plein emploi. Il est aussi lié aux débats politiques qui résultent de la transformation de l’enseignement de qualification à temps partiel (Deeltijds Beroepssecundair Onderwijs) en un nouveau système d’enseignement en alternance intitulé « Duaal leren ».
La Ligue considère le problème d’un point de vue socio-éducatif. Si on ramène l’âge de l’obligation scolaire à 15 ou 16 ans, on laisse moins de chance dans la vie aux jeunes qui sont tentés d’aller travailler rapidement car ils se retrouveront sur le marché du travail sans qualification. Ils occuperont les situations d’emploi les plus précaires et auront plus de difficultés à reprendre une formation par la suite, vu leur niveau de formation scolaire très faible. En fait, ces jeunes sont exposés à rejoindre la cohorte des 18 à 24 ans correspondant à l’indicateur statistique NEET (young people Neither in Employment nor in Education or Training) qui, en Belgique, représentent 7,4 % de cette classe d’âge (8,2 % chez les hommes et 6,6 % chez les femmes au 31 mars 2022 selon STATBEL). En Wallonie, ce pourcentage est de 9 %, à Bruxelles il est de 9,7 % tandis qu’en Flandre il est de 6 %.
Il ne fait pas de doute que les jeunes concernés par l’enseignement en alternance sont également ceux qui rencontrent le plus de difficultés d’apprentissage durant leur scolarité. D’où l’intérêt d’une formule alternative à partir de 15 ou 16 ans qui combine les cours de formation générale à l’école et la formation professionnelle sur un lieu de travail. Arrêter l’obligation scolaire avant 18 ans reviendrait à abandonner cette population en mal d’école et à se débarrasser de la responsabilité éducative plutôt que de chercher des méthodes mieux adaptées. Il nous semble préférable de miser sur l’amélioration de la formation des enseignants et sur une meilleure collaboration des écoles et des centres de formation avec le monde de l’entreprise.
Une idée à contre-courant
Dans la société de la connaissance dans laquelle nous évoluons aujourd’hui, les entreprises ne seront pas intéressées à engager des jeunes non qualifiés et la taille petite ou moyenne de la majorité des entreprises wallonnes et bruxelloises ne permet pas d’envisager la mise en place de la formation dans les entreprises comme cela se pratique en Allemagne par exemple.
La durée de l’obligation scolaire est l’une des rares matières scolaires restées fédérales. Ramener l’âge de l’obligation scolaire à 15 ou 16 ans supposerait un accord politique des deux côtés de la frontière linguistique. Du côté francophone, cette perspective rencontrera peu d’intérêt. L’enseignement et la formation en alternance fonctionnent plutôt bien avec la longue expérience accumulée. Un tel bouleversement irait à contre-courant de la demande des enseignant·es qui demandent de laisser du temps à la mise en place des nombreuses réformes en cours, en particulier du tronc commun. Il faudrait en outre apporter une solution convaincante au sort des enseignant·es qui seraient exposé·es aux pertes d’emploi qui résulteraient du raccourcissement de la durée de l’obligation scolaire.
Plus d’infos sur l’enseignement et la formation en alternance :
- CEFA et enseignement en alternance :
http://www.enseignement.be/index.php?page=23820&navi=2288
https://formations.siep.be/systeme-educatif/cefa/cefa
- IFAPME (Wallonie) :
https://www.ifapme.be/formations-pour-jeunes
- EFP – IFPME (Bruxelles) :
L’enseignement secondaire en alternance
Les CEFA offrent trois types de formation définis dans les articles 45, 47 et 49 du décret Missions.
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Article 49 : Il s’agit de l’enseignement en alternance qui vise les mêmes options, les mêmes objectifs en termes de compétences et les mêmes certifications que le plein exercice. Ces formations sont organisées aux 2e et 3e degrés de l’enseignement professionnel ainsi qu’au 3e degré de l’enseignement technique de qualification. Au troisième degré, des 7e années qualifiantes et complémentaires peuvent également être organisées.
Le propre de l’enseignement en alternance consiste à combiner 50 % de formation générale dans un établissement scolaire et 50 % de formation par le travail. Concrètement, il s’agit de 600 périodes de 50 minutes au moins par an, réparties sur 20 semaines au moins, dispensées dans un établissement scolaire, et d’au moins 600 heures d'activités de formation par le travail en entreprise par an, réparties sur 20 semaines au moins. Lorsqu’il n’est pas possible de disposer du nombre d’heures requis pour la formation par le travail, des périodes de formation professionnelle peuvent être organisées dans le CEFA. Le nombre d’heures de la formation en entreprise ne peut toutefois être inférieur à 300 par année au 2e degré et 450 par année au 3e degré.
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Article 45 : Il s’agit de l’enseignement en alternance organisé sur la base de profils de formations spécifiques. Les formations visées par l’article 45 du décret « Missions » sont organisées au niveau des 2e et 3e degrés de l’enseignement professionnel.
Le nombre d’heures de cours et de formation par le travail est identique au type précédent, mais avec des assouplissements, en particulier pour les élèves qui ne sont plus soumis à l’obligation scolaire (les cours dispensés dans l’établissement scolaire peuvent par exemple être réduits à 300 périodes par an ou être organisés par modules).
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Article 47 : Il s’agit des formations organisées ou subventionnées au niveau de la forme 3 (ou 4) de l’enseignement spécialisé. La durée de la formation est identique au type précédent.
Formations spécifiques
Quelques exemples des formations des ouvriers et ouvrières visées par l’article 45 proposées par les CEFA (les termes sont épicènes) :
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Éleveur, éleveuse ; jardinier ; culture florale ou fruitière ; forestier
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Aide électricien ; ferronnier ; monteur de pneus ; peintre en carrosserie ; matelot
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Chapiste ; coffreur ; paveur ; monteur en sanitaire ; peintre en bâtiment
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Commis de cuisine ou de salle ; préparateur ou découpeur en boucherie
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Cordonnier ; tisserand ; maroquinier
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Aide-ménager ; blanchisserie ; technicien de surface
Source : Circulaire 7282, Enseignement secondaire en alternance - Directives pour l'année scolaire 2019-2020 - Organisation, structures et encadrement, 2 septembre 2019