Financement des bâtiments scolaires. De réforme en réforme, l’embellie ?
Lundi 6 mars 2023
Le parc immobilier scolaire souffre de sous-financement depuis plus de trente ans. Avec le temps, les bâtiments se sont fortement dégradés, malgré des prises de conscience et une panoplie de réformes qui, bien que prometteuses, tardent à produire leurs effets.
Depuis la communautarisation de l’enseignement en 1989, la dotation, calculée à l’époque sur des indices compliqués mêlant TVA, clés d’élèves et emprunt, a montré son insuffisance à couvrir les besoins de la Communauté française en matière d’enseignement et de culture notamment. De ce faible budget, très peu de moyens ont été affectés annuellement aux bâtiments scolaires. Ces moyens n’ont pas été indexés et ont donc peu évolué, passant de 137 millions à 156 millions en 2021. En 1993, par un accord entre Régions et Communauté française, pour alléger le déficit financier de la Communauté française, une partie de ses bâtiments scolaires ont été vendus à des sociétés publiques régionales pour un montant d’un milliard d’euros.
Avec le temps, sans investissements, le parc immobilier scolaire vieillissant s’est fortement dégradé et, dans de nombreux cas, est devenu véritablement insalubre et couvert d’amiante. Le confort de vie de ses occupants et l’adaptation aux défis d’aujourd’hui font particulièrement défaut. Les objectifs liés à la performance énergétique des bâtiments, à la connectivité ou à la mise en œuvre des nouvelles pratiques pédagogiques reprises dans le Pacte pour un enseignement d’excellence semblent impossibles à atteindre.
Des mécanismes complexes
Outre des moyens financiers à y consacrer, relever ces défis nécessite de s’attaquer aussi à l’actuelle complexité des mécanismes de financement, ce qui génère des difficultés dans le chef des pouvoirs organisateurs (PO) pour mettre en œuvre leurs dossiers. Depuis le début de la législature actuelle, sur proposition du ministre des Infrastructures et bâtiments scolaires Frédéric Daerden, le gouvernement de la Communauté française présidé par le ministre Pierre-Yves Jeholet a décidé de mettre les bouchées doubles et d’appliquer plusieurs mesures à la fois financières – principalement constituées de dotation européenne et d’emprunt – et de réforme de la politique actuelle de gestion des bâtiments scolaires.
Ainsi, de réforme en réforme, la situation des bâtiments scolaires devrait connaître une embellie dans les dix ans à venir. Nous restons néanmoins convaincus que la solution viendra d’une réforme du financement de la Communauté française et de l’abandon de la dotation par une procédure progressive de financement lié à l’inflation et à la croissance du PIB, et peut-être à l’impôt si la situation bilingue de Bruxelles-Capitale peut être clarifiée.
Dans l’intervalle, analysons les effets de sac et de ressac des politiques de financement des bâtiments scolaires depuis la communautarisation de l’enseignement, il y a plus d’une trentaine d’années, et tentons de dresser un tableau complet de cette matière particulièrement technique et généralement réservée à un public avisé.
Les Fonds des constructions scolaires classiques
Dans le décret du 5 février 1990 relatif aux bâtiments scolaires de l’enseignement non universitaire organisé ou subventionné par la Communauté française, la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a créé des dispositifs financiers pour favoriser les investissements immobiliers scolaires par les PO, tous réseaux confondus, ainsi que dans l’enseignement dont la FWB est elle-même le PO. Ce décret montre que le législateur de l’époque a souhaité s’emparer très tôt de la problématique. Il s’agit pourtant d’un mécanisme complexe qui s’avèrera insuffisant pour répondre aux défis.
Ce décret règle pour un temps l'intervention de la FWB en matière d'investissements immobiliers. Il crée à cet effet deux Fonds des bâtiments scolaires de l’enseignement officiel, l’un pour l’organisé, l’autre pour le subventionné. Ils sont placés sous l’autorité directe du ministre de la FWB qui a les bâtiments scolaires dans ses compétences. L’enseignement privé confessionnel et non confessionnel en est exclu.
Outre des financements exceptionnels, le fonds pour l’enseignement officiel subventionné dispose d’une dotation annuelle de 22,394 millions d’euros et a pour objet de subventionner à concurrence de 60 % les travaux de construction, modernisation, agrandissement ou aménagement de bâtiments scolaires communaux et provinciaux, ainsi que l’achat de bâtiments existants et de premier équipement des bâtiments scolaires. Il intervient également dans le solde du montant des travaux subventionnables présentés à l’appel à projets dans les zones en tension et au Programme prioritaire de travaux. La gestion des dossiers est confiée à l’Administration de la FWB.
Création d’un Fonds de garantie
Le décret du 5 février 1990 crée également un Fonds de garantie qui a pour objet de garantir le remboursement – en capital, intérêts et accessoires – de prêts contractés en vue de financer l’achat, la construction, les travaux d’aménagement, de modernisation et d’agrandissement ainsi que le premier équipement de bâtiments destinés aux établissements scolaires et d’accorder, pour les mêmes prêts, une subvention en intérêts égale à la différence entre 1,25 % et le taux d’intérêt à payer pour ces emprunts. Cela représente environ 10 millions d’euros en 2023.
L’enseignement privé confessionnel et non confessionnel y a recourt pour le financement de ses infrastructures scolaires, avec un montant qui a oscillé entre 25 millions d’euros annuels depuis 1989 à 31 millions actuellement, avec des pointes approximatives de 112 millions annuels entre 2011 et 2015, compléments liés à leur refus de participer au partenariat public-privé (PPP). Au-delà de 383 800 €, il y a obligation de transférer le droit réel de propriété à une société de gestion patrimoniale constituée sous forme d’asbl.
Entre 1989 et 2023, le libre aura ainsi bénéficié de 1,262 milliard d’euros contre quelque 400 millions pour l’officiel. Les conditions d’éligibilité pour bénéficier de ces avantages sont lourdes, exigeantes et parfois peu attractives, ce qui a tendance à refroidir les PO communaux et provinciaux d’y recourir.
Un programme prioritaire
La situation désastreuse des bâtiments scolaires en Communauté française pousse le gouvernement de l’époque à faire voter, le 16 novembre 2007, le décret qui fixe le Programme prioritaire de travaux. Celui-ci prévoit l’intervention financière de la Communauté française dans le coût d’investissements immobiliers à caractère urgent dans des bâtiments affectés à un usage scolaire pendant une période de 20 ans minimum, délai prenant cours au moment de l’octroi de cette intervention financière.
L’objectif premier du programme est de remédier aux situations préoccupantes du point de vue de la sécurité et de l’hygiène, et de concourir à la prévention contre les dégradations du patrimoine et à l’amélioration de la gestion énergétique. Malheureusement, ce décret étant devenu une fabrique à dérogations, le détournant de son objectif premier, les pouvoirs publics ont été obligés de le réformer pour le ramener à ses objectifs de base.
Le partenariat public-privé
Conscient de l’impécuniosité de la FWB à la suite d’un rapport du bureau d’études Deloitte, le Parlement de la Communauté française a voté, le 12 novembre 2008, le décret relatif au programme de financement exceptionnel de projets de rénovation, construction, reconstruction ou extension de bâtiments scolaires via des partenariats public-privé (PPP). Le gouvernement de l’époque, coalition PS-CDH, était présidé par Marie Arena, à qui Rudi Demotte a succédé.
Ce système de financement alternatif, qui nous vient des pays anglo-saxons et qui connaît un engouement particulier en Communauté flamande, devait apporter les réponses espérées aux PO en matière d’investissement dans les infrastructures scolaires. Ils conservaient la propriété juridique de leurs bâtiments durant toute la durée du PPP. Étant donné l’existence d’un contrat – proche d’une formule de leasing – transférant la propriété économique des actifs concernés au consortium privé, qui prenait par ailleurs en charge différents risques (risque de disponibilité et risque de construction), les engagements financiers du PPP étaient, conformément aux règles européennes, comptabilisés hors périmètre des administrations publiques. Il s’ensuit que les engagements financiers du PPP n’étaient pas considérés comme une dette. A noter que le réseau subventionné libre refusera d’y participer.
À la suite des élections régionales et communautaires du 7 juin 2009, le nouveau gouvernement de la Communauté française, coalition PS-Ecolo-CDH présidée par Rudi Demotte, après avoir évalué le PPP en matière d’infrastructures scolaires en fonction des objectifs fixés (dont la performance énergétique et le coût pour les finances publiques) a pris la décision de ne pas poursuivre la mise en œuvre de ce décret.
Le ministre écolo des Infrastructures scolaires de l’époque, Jean-Marc Nollet, jugea le prix à rembourser exorbitant et proposa de mettre en place un nouveau système dès 2011. Il s’agit d’un recours au Centre régional d’aide aux communes. En attendant les travaux de rénovation, des salles de classe conteneurs vont éclore massivement dans le paysage scolaire. De plus, la Communauté française est confrontée à une croissance démographique sans précédent à l’horizon 2020, confirmée par les listes d’attente dans nos écoles par l’application du décret inscription.
Les appels à projets pour les zones en tension
Cette situation conduit le gouvernement de la Communauté française à lancer en 2017 un appel à projets pour créer un minimum de 25 places dans les écoles fondamentales et secondaires, ordinaires et spécialisées, situées dans les zones ou parties de zones en tension démographique, définies et réévaluées annuellement par un consortium universitaire et reprises dans une circulaire annuelle.
Le budget prévu dès 2018 s’élève à 20 millions d’euros annuels répartis entre les réseaux selon la clé suivante : 4,378 millions d’euros pour la FWB, 7,935 millions pour le réseau officiel subventionné et 7,687 millions pour le réseau libre subventionné. Deux écoles secondaires ont été créées à Molenbeek-Saint-Jean, une à Estaimpuis et d’autres encore à Anderlecht, Liège, Huy notamment.
Un dernier appel réparti sur trois années civiles a été lancé en novembre 2022 pour un budget global de 56,212 millions d’euros. Les nouvelles conditions restent complexes et le délai de concrétisation est très court puisqu’il impose la création des places pour le 1er septembre 2025. Cet appel favorise des petits projets ne nécessitant pas l’obtention d’un permis d’environnement.
Le plan pour la reprise et la résilience européen
Le décret du 30 septembre 2021 relatif au plan d’investissement dans les bâtiments scolaires, établi dans le cadre du Plan pour la Reprise et la Résilience européen (PRR), prévoit la distribution de 269 millions d’euros pour des projets financés à 65 % – avec complément de 35 % par le Fonds écureuil – pour des prêts entre 25 et 30 ans à zéro pourcent d’intérêt (soit 145 millions d’euros complémentaires).
Au total, 571 dossiers ont été déposés pour 707 millions d’euros de demandes de subsides, dont 683 millions pour des travaux de démolition et reconstruction ou de rénovation lourde. Pour l’officiel subventionné, les demandes se sont élevées à 353 millions d’euros, pour le libre subventionné à 196 millions et pour Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) à 158 millions.
A la suite du recours déposé par le SeGEC (le Secrétariat général de l’enseignement catholique) et de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 février 2022, celle-ci suspend la clé de répartition des fonds européens destinés à la rénovation des bâtiments scolaires. Elle estime que le préjudice financier pour le réseau catholique est « grave » et « difficilement réparable ». Le ministre Daerden prévoit donc « d’ajuster » le décret.
Classement et ajustement
Le classement des projets a donc été effectué sans division par réseau, mais par mise en concurrence des projets selon un indice défini par critères et indicateurs. En date du 23 juin 2022, le gouvernement de la Communauté française a approuvé la liste des 149 dossiers priorisés au PRR. L’officiel subventionné obtiendra quelque 125 millions d’euros, soit près de 47 % de la subvention de 269 millions.
Le calendrier de finalisation des projets fixé au 30 juin 2026 et la lourdeur des critères d’éligibilité et de priorisation imposés par les autorités européennes obligent les PO à respecter une procédure très stricte et difficilement tenable. De plus, une possible réduction des moyens européens accordés par l’Europe à la Belgique risque d’amputer de près de 50 millions d’euros les moyens accordés par la FWB à ses infrastructures scolaires …
Le milliard d'euros en complément du PRR
Un service à comptabilité autonome a été créé pour favoriser le plan d’investissement exceptionnel dans les bâtiments scolaires. Il se trouve sous l'autorité directe du ministre qui a les bâtiments scolaires dans ses attributions. En 2022, une dotation d’un milliard d’euros réparti sur trois ans prévue par le gouvernement actuel permet de compléter le dispositif initié par le PRR. Les conditions de financement, les modalités de suivi des dossiers et des projets, ainsi que les critères d’éligibilité et de priorisation sont fixés par décret.
Plusieurs appels à projets concernent l’enseignement obligatoire, l’enseignement supérieur non universitaire et l’enseignement de promotion sociale. Tout comme le PRR, les projets sont classés sans division par réseau, mais par mise en concurrence selon les indices définis par critères et indicateurs.
Effet de levier
Avec l’effet de levier du mécanisme qui permet aux PO d’emprunter à taux réduit la part de leurs investissements non couverte par les subventions, grâce à l’intervention du Fonds de garantie, on atteint au total une capacité d’investissements supplémentaire de deux milliards d’euros en faveur des bâtiments scolaires. Soit, pour le détail, 410 millions mobilisables au départ des 268 millions de l’enveloppe du plan de relance européen, et 1,66 milliard via le nouveau plan de réinvestissement d’un milliard. Ce nouvel appel permettra-t-il d’enfin apporter une réponse conjoncturelle à la situation désastreuse de nos infrastructures scolaires ? L’ampleur des moyens nous permet de l’espérer.
La réforme des Fonds classiques
Sous le nom de CLEF-WB, un vaste chantier des bâtiments scolaires a été lancé début 2020. S’appuyant sur la consultation des acteurs concernés et sur la co-construction de recommandations, il a pour objectif d’aboutir à une réforme structurelle de la politique des bâtiments scolaires.
Durant 18 mois, des groupes de travail ont été réunis sur des thématiques générales et particulières (cours de récréation, tronc commun pluridisciplinaire, aménagements inclusifs, classes modulables, etc.) produisant un bon millier de pages de recommandations. Cette consultation a été conclue au sein de trois groupes de travail centraux : L’École du XXIe siècle, Une stratégie pour les bâtiments de la Communauté française et Enseignement supérieur et tout au long de la vie. Une enquête en ligne a également été menée auprès des PO pour connaitre l’état de leur parc. L’analyse des réponses a confirmé l’existence de besoins d’ampleur. Cette ambitieuse réforme devrait s’envisager dès janvier 2025.
Les fonds seront indexés, les normes physiques et financières revues, les fonds classiques et les programmes réformés. L’objectif est de faire évoluer les textes existants relatifs aux différents programmes de subvention et de définir de nouveaux dispositifs. Ceux-ci garantiront le maintien des équilibres – acquis au fil des modifications législatives – dans la répartition des moyens budgétaires actuellement disponibles pour chaque réseau d’enseignement. Le rôle de la FWB, à la fois propriétaire, pouvoir régulateur et pouvoir subsidiant, sera revu tout comme le rôle et la contribution des fédérations de PO.
Les subventions exceptionnelles innondations
Et enfin, autre nouveauté au budget 2022 de la FWB, le gouvernement a débloqué un budget de 25 millions d’euros pour couvrir les frais liés aux dégâts causés aux bâtiments scolaires par les inondations. Ces subventions exceptionnelles viendront en complément de l’intervention des assurances. Elles pourront couvrir tant les dégâts causés aux infrastructures que les dégâts mobiliers, ainsi que les coûts liés aux marchés de services de nettoyage, de contrôle de sécurité, etc. Elles s’adressent aux communes listées en calamité naturelle par les arrêtés de la Région wallonne. La mise en œuvre du mécanisme est en cours.
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