Améliorer le «vivre- ensemble» en classe au cours de philosophie et citoyenneté

Jeudi 26 janvier 2023

classe philo
Hélène Caels, professeure de philosophie

Après 7 ans d’existence et la confirmation de son utilité, il est grand temps d’élargir le cours à 2 heures/semaine pour tous les élèves.

Depuis la rentrée scolaire de septembre 2016 en primaire et de septembre 2017 en secondaire, tous les élèves de l’enseignement officiel de la Fédération Wallonie-Bruxelles bénéficient d’une période de 50 minutes par semaine pour aborder les questions de citoyenneté sous le prisme de la philosophie. Mais est-ce suffisant? Face à la montée des propos discriminants, haineux ou encore antidémocratiques, l’Education à la Philosophie et à la Citoyenneté (EPC) et le Cours de Philosophie et Citoyenneté (CPC) offrent des espaces de dialogue et de réflexion qui permettent d’améliorer et de renforcer le vivre-ensemble en contribuant à la formation de futur·es citoyens et citoyennes critiques et éveillé·es.

Il était temps, voici près de dix ans, que la philosophie arrive au sein des programmes scolaires belges. En effet, en 2007, la Belgique avait été pointée du doigt dans un rapport de l’UNESCO qui mettait en lumière le manque d’éducation à la philosophie dans notre pays. Pourtant, les tentatives pour offrir aux élèves de l’enseignement francophone belge un cours de philosophie avaient été nombreuses et dataient parfois de plus de 30 ans (Yvan Ylieff en 1991, André Flahaut en 1998 ou encore Hervé Hasquin en 2000). Ce n’est pourtant qu’après les attentats de Charlie Hebdo à Paris en 2015, suivis des attentats de Bruxelles en 2016, que les questions de la citoyenneté et du vivre-ensemble ont été remises sur le devant de la scène politique belge francophone. Suite à cela, les lignes bougent enfin: le décret relatif à la mise en place d’un cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté en Fédération Wallonie-Bruxelles est promulgué.

Un cours qui rassemble

Les élèves se côtoient toute l’année, ils «vivent» ensemble plus de 36 heures par semaine et sont soumis au rythme des matières qui s’enchainent à longueur d’année. À la différence des cours généraux centrés sur une discipline, l’EPC ou le CPC est un espace où les élèves peuvent échanger et réfléchir sur des sujets d’actualité ou de société, à l’aide d’outils philosophiques. Cet espace n’existait pas il y a encore sept ans. Précédemment, c’était aux cours de religion ou de morale que ces thématiques pouvaient être abordées. Cependant un problème persistait: les élèves y étaient séparés en petits groupes, par conviction. Or, grâce à l’arrivée du cours d’EPC-CPC, ceux-ci sont rassemblés et ils peuvent réfléchir ensemble à des questions fondamentales de société.

La confrontation des points de vue

Cette particularité d’aborder des thèmes de société avec l’entièreté des élèves peut paraître banale et pourtant elle est essentielle, car c’est justement ce qui permet la confrontation des points de vue. Être capable d’écouter un avis qui est divergent du sien est un apprentissage primordial en démocratie, tant en primaire qu’en secondaire. Cela favorise le décentrement et la prise de recul sur ses idées et ses opinions. De plus, dans des discussions philosophiques, les élèves doivent parfois défendre un point de vue qui n’est pas le leur, ce qui leur permet de remettre en question leurs certitudes et d’être plus ouverts aux arguments des autres. Même si les élèves n’ont pas toujours l’habitude de la remise en question, grâce à l’étonnement et au questionnement, qui sont à la base de la réflexion philosophique, ils développent leur esprit critique.

L’exercice de la démocratie

Le cours aborde la question de la démocratie de deux manières différentes. L’approche théorique contribue à une meilleure connaissance de l’ensemble des droits et devoirs liés à la citoyenneté par l’étude de textes philosophiques. Mais à côté de celle-ci, il y a également la citoyenneté pratique qui se vit au sein de la classe, de l’école et de la société, en participant et en partageant la vie de la «cité». Cela peut se concrétiser par des sorties au parlement, au palais de justice, lors d’un conseil communal, etc. Ces expériences de la démocratie permettent au/à la futur·e citoyen·ne de mieux comprendre le système politique dans lequel il/elle évolue, de le/la questionner et d’y prendre une part active. En favorisant cette approche pratique, les cours d’EPC-CPC contribuent à la diminution des propos antidémocratiques par une meilleure compréhension de l’idée de la démocratie.

Une approche universaliste

En rappelant que tous les élèves sont des citoyens égaux en droit, l’enseignant·e d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté les invite à mettre en avant leur citoyenneté commune plutôt que leurs particularités personnelles, ce qui renforce le vivre-ensemble. Cette approche universaliste agit comme un instrument d’émancipation des élèves qui leur permet ensuite d’acquérir une autonomie de pensée. Certains mouvements identitaires renforcent, au contraire, le communautarisme et affaiblissent ainsi petit à petit le ciment de la société. Ils enferment les citoyen·nes dans des cases, renforcent les stéréotypes existants, et empêchent la pratique du doute et de la remise en question. C’est pourquoi il est primordial de rappeler en philosophie et citoyenneté l’importance et la place de la loi civile. Elle est applicable à chaque citoyen·ne et est la même pour tous et toutes car ce qui compte, ce sont les actes et non la personne ou son identité. Les cours d’EPC et CPC permettent ainsi d’apporter une meilleure connaissance du système juridique et politique dans lequel vivent les élèves et une meilleure compréhension de la société dans laquelle ils/elles évoluent. Grâce aux théories et aux réflexions philosophiques, ce travail permet de renforcer la notion de collectif.

Le manque de moyens

Actuellement, les élèves ne bénéficient que d’une période de 50 minutes par semaine. Face aux enjeux de la société actuelle, ils/elles auraient besoin d’au moins deux périodes par semaine, à savoir deux fois 50 minutes, pour pouvoir acquérir des outils d’analyse et de réflexion sur la société. Allant dans ce sens, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a voté, le 24 novembre 2021, une résolution recommandant le passage du cours de philosophie et citoyenneté à deux heures par semaine dans l’enseignement officiel. Et pourtant, malgré ce vote, les élèves et les enseignant·es ne bénéficient toujours que d’une période par semaine. Ce statu quo est difficilement tenable et empêche de développer tout le potentiel du cours. Il y a une réelle inadéquation entre les enjeux et les moyens. En raison de l’étroitesse de l’horaire, certain·es élèves ne comprennent parfois pas l’utilité du cours, tandis que de nombreux enseignant·es sont épuisé·es par le rythme soutenu d’un cours à une heure par semaine, ce qui implique d’avoir 300 ou 400 élèves sur plusieurs implantations scolaires différentes.

Un outil essentiel du vivre-ensemble

Bien évidemment, le cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté ne va pas résoudre à lui tout seul, même avec deux heures par semaine, tous les problèmes du vivre-ensemble. Néanmoins, il permet de lui donner consistance et de le développer au fil des années. Étant donné que les élèves bénéficient du cours d’EPC-CPC durant toute leur scolarité, il constitue un outil important pour les entrainer à la confrontation pacifique des points de vue, au doute et au décentrement par rapport à leurs propres idées grâce au questionnement philosophique. En même temps, il sensibilise les élèves à la notion d’intérêt collectif et à la participation à la vie politique et sociale. Ce faisant, il poursuit le double objectif de renforcer le vivre-ensemble et de former les citoyen·nes critiques et éclairé·es de demain.

Être capable d’écouter un avis qui est divergent du sien est un apprentissage primordial en démocratie, tant en primaire qu’en secondaire. Cela favorise le décentrement et la prise de recul sur ses idées et ses opinions.

 

Cover Eduquer 175 - Anne-Gaelle Amiot

fév 2023

éduquer

175

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