En 2014, apparaissait sur Twitter le hashtag «PayeTonUterus». Son but? Dénoncer les violences exercées par les gynécologues sur les femmes, de l’utilisation massive du forceps au toucher vaginal sans le consentement des concernées. Les témoignages de femmes se multiplient pour dénoncer des violences subies tant lors des consultations gynécologiques que lors de leur accouchement. Les maltraitances gynécologiques font leur apparition dans le débat public et une voix se fait beaucoup entendre tant en France qu’en Belgique, celle de la militante MarieHélène Lahaye, créatrice du blog Marie Accouche là et auteure de «Accouchement, les femmes méritent mieux» (Ed.Michalon, 2018). Contre l’ «accouchement fordiste» comme elle décrit le déroulement de certaines mises au monde en milieu hospitalier, elle défend «un accouchement respecté». Rencontre.
Éduquer: L’accouchement est-il le lieu ultime de violences obstétricales exercées à l’encontre des femmes?
Marie-Hélène Lahaye: Quand on évoquait les violences obstétricales, le moment de l’accouchement était jusqu’il y a peu rarement questionné. Comme si la salle d’accouchement était une boite noire. J’ai donc voulu politiser la question. Savoir ce qu’il s’y passait vraiment pour les femmes, quels étaient les actes médicaux pratiqués, les positions… Ceci rentre dans un questionnement plus large de rapport de domination patriarcale du médecin, ou de la médecin, car les obstétriciennes peuvent aussi adopter des codes masculins. Cette domination s’observe aussi dans les rapports médecins et sages-femmes, qui sont peu reconnues et mal payées.
Éduquer: Vous défendez un accouchement respecté. Mais quel est-il?
M-H L: Il doit répondre aux besoins fondamentaux de chaque femme, il ne doit pas être standardisé. Il y a un paradoxe dans l’accouchement. Personne ne sait ce que c’est vraiment avant de l’avoir vécu mais on lui impose un tas de norme. Les études démontrent que quand on accouche avec une sage-femme à ses côtés, on vit un meilleur accouchement. Or aujourd’hui, la péridurale est souvent pratiquée, elle reste la norme. Cela induit que les sages-femmes ne passent que toutes les heures. Bien sûr, on peut avoir une sage-femme libérale à ses côtés, mais elles ne sont pas accessibles à toutes les femmes en terme d’accessibilité financière.
Éduquer: Vous considérez donc l’analgésie péridurale comme une violence alors qu’on sait qu’elle a été vue comme une révolution pour les femmes, et une possibilité de mettre fin à la sentence biblique «tu enfanteras dans la douleur»…
M-H L: Oui ou non. Si les femmes sont d’accord de recourir à une péridurale, il n’y a pas de problèmes. Mais je suis contre le fait que cela soit imposé. Pourquoi? Il faut savoir qu’entre 5 et 20 % des péridurales ne fonctionnent pas. La péridurale va souvent de pair avec l’injonction d’hormones de synthèse afin d’accélérer le travail ralenti par la péridurale. Quand on injecte de l’ocytocine de synthèse, il y a des séquelles: risques d’hémorragies, augmentation du risque d’extraction par forceps voire de césarienne. Cela provoque une souffrance, surtout pour les femmes qui pensaient que ça allait fonctionner et calmer leurs douleurs. Il faut donc prévenir les femmes, et leur dire de se préparer, de se faire conseiller. Je déplore aussi les péridurales de confort pour les soignants. Le «silence» des femmes parquées dans les box d’accouchement arrange le corps médical, pas assez formé et trop pressé. Ma troisième réserve concernant la péridurale est liée à ma méfiance envers la médicalisation au sens plus large. On ne respecte pas non plus la position demandée par les femmes. Au final bien sûr, les femmes et les bébés survivent mais pas sans traumatisme. L’accouchement est toujours vu comme un risque alors que 90 pourcents des accouchements se passent bien.
Éduquer: Mais la médicalisation sauve aussi des vies…
M-H L: C’est l’argument classique des médecins! Les dix pourcents d’accouchements qui se passent mal dictent le protocole de tous les accouchements. Aussi, si les femmes mouraient en couches, c’était notamment à cause de la fièvre puerpérale. Et les antibiotiques ont donc joué un grand rôle dans la diminution de la mortalité.
Éduquer: L’accouchement en milieu hospitalier est-il forcément violent selon vous?
M-H L: Peu importe le lieu. Ce qui compte c’est le type d’accompagnement, que l’on soit en hôpital, en maison de naissance ou dans les salles d’accompagnement mises en place par certains hôpitaux.
Éduquer: L’accouchement respecté n’est-il pas aujourd’hui un luxe réservé à certaines femmes seulement?
M-H L: Il est vrai qu’il est aujourd’hui accessible à des femmes culturellement favorisées, qui peuvent s’entourer d’une sage-femme, qui demande des suppléments d’honoraires. Il s’agit donc d’un enjeu financier.
Éduquer: Observe-t-on, suite à cette mise en lumière des violences obstétricales, une prise de conscience des obstétriciens?
M-H L: Au début, les médecins ont pris cela comme une agression. Je vois aujourd’hui un changement dans la profession. Des médecins viennent me trouver, expliquer des situations qu’ils ne peuvent malheureusement pas dénoncer à cause du principe de confraternité. Il y a des changements clairs qui s’opèrent, mais ils restent fonction des personnes en place… donc aléatoires. L’hôpital Saint-Pierre fait aussi de grands efforts d’adaptation à la population multiculturelle qu’il accueille.
Éduquer: En dehors de la violence que vous évoquez, liée à la médicalisation, on peut aussi présupposer l’existence d’une violence psychologique ou en tout cas d’une pression, que l’accouchement soit médicalisé ou non, sur les femmes qui doivent «maîtriser», être «actives» lors de leur accouchement. Observation qu’on peut déjà faire concernant la méthode d’accouchement sans douleur (méthode «révolutionnaire» de préparation à la naissance et déconditionnement des réflexes de peur est apparue dans les années cinquante en Belgique, sous l’impulsion notamment du médecin Willy Peers, figure de la lutte pour le droit à l’avortement)…
M-H L: L’accouchement sans douleur, en vigueur des années 50 aux années 80, a apporté aux femmes une connaissance de leur corps, c’est indéniable. Ensuite, la péridurale est arrivée et on a oublié ça, il n’a plus semblé nécessaire de préparer les femmes. Ce qui fait que des femmes ont l’impression aujourd’hui qu’on leur a «volé leur accouchement». Quand on accouche de façon respectée, on se sent au contraire tellement puissante, alors que les obstétriciens semblent vouloir réduire les femmes à un état de passivité.
Éduquer: Mais si on a l’impression de «rater» son accouchement qui pourtant remplit toutes les conditions d’un accouchement respecté…
M-H L: Je dirais plutôt que c’est la notion de «réussite» qui constitue une dérive de l’accouchement respecté. Comme s’il existait une façon de «bien accoucher». Cela met une pression sur les femmes, comme d’ailleurs dans la période de la méthode de l’accouchement sans douleur, où on enjoignait les femmes de ne pas crier. Le problème, c’est la norme, quelle qu’elle soit, qui met la pression sur les femmes.
Éduquer: La réduction de la durée du séjour à la maternité, décidée par Maggie De Block en 2015, est-elle selon vous une violence structurelle exercée sur les femmes?
M-H L: Selon moi, il s’agit d’une question périphérique par rapport aux vrais enjeux, à ce qui se passe dans la salle d’accouchement, à ce qui se passe en postpartum également. Il faut se demander ce dont ont besoin les femmes. Certaines femmes peuvent ne pas avoir besoin de 4 jours, d’autres oui. Mais je trouve cela idiot d’hospitaliser une femme alors qu’en fait, elle a plutôt besoin d’une aide-ménagère. C’est à nouveau une dérive de la médicalisation. Aux Pays-Bas et en Flandre, des aides à domicile existent.
Éduquer: Le sujet de la démédicalisation de l’accouchement ne fait pas l’unanimité parmi les féministes. On pense notamment à Elisabeth Badinter - philosophe française et féministe- qui dans son livre Le conflit, la femme et la mère (2006), met en garde les femmes contre les diktats naturalistes qu’elle perçoit dans le retour à l’accouchement naturel, ou la promotion de l’allaitement… Qu’est-ce qui explique selon vous les tensions?
M-H L: En France, j’observe depuis quelques années un consensus de plus en plus grand entre les différentes associations sur cette question. En Belgique, c’est moins clair. On m’a fait le reproche d’être essentialiste mais mon but n’est absolument pas de dire que toutes les femmes doivent mettre un enfant au monde. Il y a aussi un courant qui refuse de dénoncer les excès de la médicalisation car il relie médecine et libération des femmes concernant notamment l’IVG, la contraception. Je me situe davantage dans une approche féministe de démédicalisation.
Manon Legrand, journaliste
Illustration: Extrait du film «Regarde elle a les yeux grand ouverts» de Yann Le Masson (1980). Ce documentaire raconte l’histoire de 1975 à 1982 d’un groupe de femmes d’Aix-en-Provence et de leurs proches, maris, compagnons, enfants. Ces femmes découvrent au MLAC qu’elles peuvent ensemble transformer et vivre autrement des moments aussi importants pour elles que: avorter, accoucher, choisir de faire ou non un enfant. Elles apprennent à le faire elles-mêmes, se heurtent à la répression et c’est le procès de six d’entre elles le 10 mars 1977 à Aix-en-Provence.
Quelques tweets #PayeTonUterus…
#PayeTonUterus: Entendu dans une maternité: «Elle va patienter pour la péridurale. Elle a voulu avoir un gosse à 16 ans, elle va comprendre». #PayeTonUterus: «L’une des plus grandes violences faites aux femmes par certains médecins, c’est de leur faire croire qu’elles déraillent». #PayeTonUterus: «Quand une femme dit que la pilule (ou implant, ou DIU hormonal) altère sa libido et qu’un Gynéco répond ‘C’est dans la tête’». #PayeTonUterus: «Mais non, la pilule n’est pas responsable de votre prise de poids et de votre perte de libido!» #Payetonuterus: «28 ans et vous ne voulez pas d’enfants? On va vérifier vos taux hormonaux».
Chiffres
Péridurale: Selon les chiffres du CEPIP de 2016, la proportion de péridurale en Wallonie est de 80,2 %, en Flandre 70,3 % et en Région bruxelloise 74,7 %. La proportion d’accouchement sans intervention obstétricale et sans péridurale est de 12,1 % en Wallonie et de 38,7 % à Bruxelles. Épisiotomie: Entre 2015 et 2016, la tendance est à la baisse avec 16 maternités sur 35 (45,7 %) qui ont diminué leur proportion d’épisiotomie. La proportion d’épisiotomie oscille fortement d’une maternité à l’autre, la proportion en 2016 variant de 11,8 % à 66,5 % pour les accouchements par voie basse avec 18 maternités ayant une proportion inférieure à la proportion régionale (35,7 %). Lieu: À Bruxelles, 23 774 accouchements ont été comptabilisés à l’hôpital et 108 accouchements en extrahospitaliers (0,5 %). Le nombre d’accouchements enregistré par maternité s’étend de 1113 à 3352. Parmi les 108 accouchements extrahospitaliers, on comptabilise 48 accouchements à domicile programmés et 54 accouchements inopinés. La proportion des accouchements extra-hospitaliers dans son ensemble reste stable entre 2009 à 2016 (0,5 %). Source: Van Leeuw V, Debauche Ch, Daelemans C, Debiève Fr, Leroy Ch. Santé périnatale en Région bruxelloise – Année 2016. Centre d’Épidémiologie Périnatale, 2018.