Un poids trop lourd sur les épaules des enseignant.e.s

Mercredi 4 avril 2018

Gwenaelle Leclercq a une double casquette: elle est à la fois enseignante et psychologue, ce qui lui permet d’appréhender les situations de violence tant du côté des enfants que de celui des profs. Et, selon elle, mieux  accompagner
Eduquer 137: Pour une école bienveillante
ces derniers, tel est l’enjeu!
Éduquer: Vous préparez, avec d’autres, le colloque «Vers une école bienveillante - Briser le tabou de la violence institutionnelle». Pourquoi vous être engagée dans l‘organisation d’un tel évènement?  Gwenaëlle Leclercq: Mes deux emplois m’amènent à être régulièrement sur le terrain, dans différentes écoles, soit pour superviser des stagiaires, soit en tant que psychologue qui collabore avec une équipe autour de la  problématique d’un élève. Je rencontre beaucoup d’enseignants plein d’énergie, d’envie, d’idées. Mais clairement, le quotidien, la charge de travail et la charge mentale (pour reprendre un terme à la mode), les relations parfois complexes entre les différents intervenants  peuvent créer des tensions qui s’expriment de différentes manières (nervosité, fatigue, rigidité...), souvent au détriment du bien-être de l’élève et de ses apprentissages.   Éduquer: Avez-vous des exemples de situations de violences perpétrées par les ensei gnant.e.s sur les élèves (vécues, par exemple, par vos étudiant.e.s, lors de stages)?  G. L: Au début de ma carrière à la HEFF, j’ai vu un instituteur demander à un élève diagnostiqué TDAH (trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité) de rester assis et silencieux pendant plus de 30 minutes. Impossible, bien sûr. Il a donc été privé de la partie manipulation de la leçon, ce dont il avait le plus besoin. L’instituteur m’a expliqué qu’il n’avait pas le choix, puisque les parents refusaient les médicaments. Sur le coup, j’étais très en colère. Avec le recul, même si je pense toujours que c’est inacceptable, mon regard est moins dur. Les enseignants sont régulièrement confrontés à des situations difficiles à vivre et à gérer au quotidien. Cet instituteur, face au  refus des médicaments par la famille (ce qui est leur droit le plus strict), se retrouve démuni et obligé de «faire avec», en plus de tout le reste. Ceci est l’exemple le plus choquant de mon expérience. Plus régulièrement des étudiants me rapportent les  propos d’enseignants qui disent de ne pas s’investir dans tel ou tel élève, parce qu’il n’y arrivera pas, ou que la famille ne suit pas. Des propos tenus devant les élèves. Se retrouver mis de côté et dénigré, de manière plus ou moins affichée, est une violence inacceptable pour un enfant ou un adolescent.   Éduquer: Par ailleurs, qu’estce qui vous a motivé à vous tourner vers la psychologie?  G.L: À l’école, les enfants sont des «apprenants», mais ils sont aussi, et surtout, beaucoup d’autres choses: membres  d’une famille, de groupe d’amis, d’une société, d’un quartier… Bref,  ce sont des humains, des petits humains, c’est vrai, mais des humains quand même. En tant qu’adulte, nous comprenons plus ou moins bien que notre vie et nos besoins ne se limitent  pas à notre travail, et que chaque facette de notre vie impacte  sur les  autres. Tous les besoins  d’un enfant, qu’ils soient physiologiques,  psychoaffectifs ou autres, doivent être pris en compte à tout moment. On ne  peut pas attendre de lui qu’il remplisse son contrat à l’école si en tant qu’adulte  on n’arrive pas à l’appréhender dans sa globalité. Travailler la didactique des sciences me passionne toujours autant, mais j’aime pouvoir accompagner un enfant de manière plus large. Et puis, grâce à cette formation, face à la situation racontée plus tôt, je pourrais plus facilement discuter avec l’instituteur des autres chemins possibles.   Éduquer: En tant que psychologue, vous voyez les enseignant.e.s dans un autre cadre, quel est leur vécu? Quel rôle joue l’institution dans ces phénomènes de violence que l’on peut rencontrer sur le terrain?  G. L: Je constate   quel point bon nombre d’enseignants aiment leur métier et souhaitent réellement le meilleur pour leurs élèves, mais à quel point aussi le principe de réalité, le quotidien vous rattrapent vite.  Les élèves  iennent souvent d’horizons très divers (du point de vue socio-économique, des origines, du vécu familial, du rapport au savoir et à l’autorité…). C’est une très grande richesse, mais cela fait beaucoup de réalités différentes  ans une classe, beaucoup d’histoires individuelles à accueillir, et à tous, il faut apprendre un savoir commun. Il y a aussi les attentes de l’institution, de la société et des parents: suivre un programme, garder le rythme, viser un taux de réussite, rendre des points… Tout cela en restant disponibles pour 20 à 35 petits humains qui comptent sur vous. C’est beaucoup d’attentes. Ajoutez à cela le regard parfois négatif de la société…   Éduquer: Comment changer ce système? Avez-vous des pistes de réflexion et d’action  par rapport à cela?  G. L: Plusieurs écoles mettent déjà des choses en place: des moments réservés au dialogue, à la relaxation, à la compréhension des émotions, la gestion des espaces... Sur le moyen et long terme, deux axes me tiennent particulièrement à cœur: d’une part, accompagner les enseignant.e.s, d’autre part, respecter le rythme de l’enfant.  L’école c’est la vie: A. ne sait pas se concentrer, les parents de C. se disputent à la sortie de l’école, le  papa de M. a besoin d’aide pour remplir les papiers du voyage,R. pleure après chaque récré, S. ne parle qu’en criant, le néon de la classe n’est pas encore changé, mon collègue est malade… Ainsi, un enseignant doit bien  maitriser ses matière et sa pédagogie, mais il doit aussi être un infirmier, un psychologue, un thérapeute familial, un grand frère, un médiateur, un assistant social et j’en passe…  Personne, absolument personne ne peut être tout ça à la fois, c’est de la folie de simplement y croire. Selon moi, les enseignants  sont trop seuls dans leurs classes. Les PMS aident, mais ils ont déjà de nombreuses missions et sont souvent partagés sur plusieurs écoles. Il devrait y avoir dans chaque école une équipe pluridisciplinaire facilement accessible (logopède, psy, assistant social…) qui partage le quotidien de l’école, la vie de l’école, qui connaît les élèves et vers qui l’enseignant (et les parents) pourrait rapidement et simplement se tourner quand c’est nécessaire, sans peur du regard extérieur.  Il me semble crucial aussi de respecter le temps et le rythme de chaque élève. Pour  cela, il  faut donner du temps aux enseignants: trouver le bon chemin pour chaque enfant, le suivre pas à pas autant de fois que nécessaire. Donner du temps pour réfléchir et créer. Comment prendre ce temps quand on a 25  enfants? Bref,  alléger le poids qui repose sur les épaules des enseignants: un enseignant plus léger est forcément un enseignant plus serein et disponible.   Juliette Bossé, secteur communication Après un doctorat en biologie, Gwenaëlle Leclercq a commencé comme maître-assistante à la Haute École Francisco Ferrer. Ayant ensuite repris des études de psychologie clinique, elle partage son temps entre la HEFF, où elle enseigne la biologie et la neutralité, et l’asbl Singularités Plurielles, où elle accompagne des enfants et participe au projet Apprentissages Singuliers, en collaboration avec les enseignant.e.s. et les PMS.

Sommaire du dossier


Une idée Folle, Judith Grumbach, 2017

Tourné dans neuf établissements scolaires - publics et privés, de la maternelle au collège, aux quatre coins de la France - Une Idée Folle pose la question du rôle de l’école au XXI siècle, à travers le témoignage  ’enseignant.e.s, d’enfants, de parents ainsi que d’expert.e.s de l’éducation. À quels défis les citoyen.ne.s de demain vont-ils.elles devoir faire face et comment les y préparer? En cultivant l’empathie, la créativité, la coopération, la prise d’initiative ou encore la confiance en soi et l’esprit critique chez les élèves, en parallèle  des savoirs fondamentaux, les enseignant.e.s de ces écoles font un rêve fou: celui de former une future génération  de citoyen. ne.s épanoui.e.s et responsables qui auront à cœur de transformer positivement la société qui les entoure.

Éduquer nos enfants à la diversité sociale, culturelle, ethnique, familiale… Michel Vandenbroeck, Coll. Petite enfance et parentalité, ERES, 2005

L’accueil de la diversité (sociale, culturelle, ethnique, familiale) dans les structures de la petite enfance ne doit pas rester un vœu pieux qui teinte d’exotisme bons sentiments et  condescendance. À partir d’une vision globale du développement des tout-petits, Michel Vandenbroeck propose, dans cet ouvrage, des orientations pédagogiques concrètes pour construire  avec  les plus jeunes un monde sans préjugés où chacun peut trouver sa place.

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