Plan de pilotage: tout miser sur le travail collaboratif

Mardi 8 octobre 2019

Nous avons rencontré Pierre Waaub, enseignant et militant du CGé. Il nous livre la vision critique et politique du ChanGements pour l’égalité, mouvement d’Éducation permanente dont l’objet social est de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’enseignement dans une perspective d’égalité et de démocratie.
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Éduquer: Comment voyez-vous cette réforme du pilotage des écoles au ChanGements pour l’égalité?

Pierre Waaub: Ce qui est intéressant dans la réforme du pilotage, c’est qu’on passe radicalement d’une manière de piloter les écoles, à une autre. Jusqu’ici, on a fonctionné avec un pouvoir régulateur qui essaie de dire ce qu’il y a lieu de faire dans chaque établissement et qui prescrit des recettes, en précisant ce qu’on doit faire et ce qu’on ne peut pas faire. Selon moi, de cette manière, on a longtemps rendu les enseignants impuissants. Je dirais même qu’on a été jusqu’à les déprofessionnaliser en ne les considérant pas comme étant compétents pour surmonter les difficultés qui se présentent à eux, pour savoir ce qu’il faut faire avec les élèves qu’ils ont, dans l’école où ils travaillent. Avec le pilotage, la volonté du législateur, c’est de rendre de l’autonomie au niveau des établissements et donc, selon moi de redonner du pouvoir aux enseignants dans le sens où le législateur se contente de fixer des objectifs d’amélioration qui visent à lutter contre les inégalités et/ou améliorer les apprentissages mais, à charge pour les équipes pédagogiques de définir ce qu’elles vont mettre en place pour y parvenir. Le grand changement est bien là: dans la possibilité pour les enseignants de mettre en œuvre des stratégies qu’ils jugent adaptées à leur situation et de pouvoir les amplifier ou les modifier ensuite. On se donne enfin les moyens de voir si on va dans la bonne direction ou pas.

Éduquer: Qu’est-ce qui pourrait venir compromettre la mise en place de ces plans de pilotage dans les établissements et l’amélioration de notre système scolaire?

P.W.: Il faut que cette autonomie aille aux équipes pédagogiques. Quand on regarde comment sont gérés les établissements aujourd’hui, c’est encore très hiérarchique. Si les directions et les pouvoirs organisateurs ne comprennent pas qu’ils doivent inclure les enseignants et les éducateurs dans la définition des stratégies, le risque c’est d’encore accentuer ce côté vertical. Et de fait, on ne se sera pas donné les moyens de faire changer les pratiques. Les retours que l’on a pour le moment du terrain, sont plutôt positifs. Dans la majorité des cas, il semble que les équipes éducatives soient associées et mobilisées autour des plans de pilotage. Pour certains enseignants, cela redonne même du sens à leur métier, pour d’autres non.

Éduquer: Qu’avez pu identifier comme difficultés ou blocages au moment de l’élaboration des plans de pilotage?

P.W.: Les difficultés ou blocages sont essentiellement liés à cette question: où se trouve le leadership pédagogique dans un établissement? Il est clair que le directeur, le préfet ou le chef d’établissement en est le garant. Mais, pour espérer un bon plan de pilotage, il faut voir si le leadership est distribué ou s’il est partagé. Dans le leadership distribué, le risque reste que le directeur, avec son PO, définisse les objectifs et se contente de consulter son équipe pédagogique, sans rien déléguer. On reste alors dans des injonctions verticales. En revanche, dans le leadership partagé, on reconnait aux enseignants des compétences diverses. On a tous les avantages d’une équipe, on s’appuie les uns sur les autres et chacun se mobilise autour des objectifs que l’équipe s’est donnés. Les contrats d’objectifs qui émaneront de ces équipes collaboratives au leadership partagé, auront plus de sens puisqu’ils auront été fixés tous ensemble.

Éduquer: Comment les enseignant·e·s vivent cette nouvelle mission d’élaboration d’objectifs communs à leur établissement?

P.W.: Les enseignants sont mis à contribution sur quelque chose de nouveau, c’est-à-dire: s’occuper de définir ensemble des stratégies pour l’établissement. Jusqu’ici, ils les subissaient mais aujourd’hui, ils doivent s’en emparer. A priori, c’est plutôt apparu comme du travail en plus. Mais il y a une espèce de tension car plus on prendra de temps pour définir des stratégies et réfléchir sur les pratiques, mieux on pourra impliquer l’équipe. Mais de fait, tout le temps que les équipes passent à travailler sur les plans de pilotage, elles ne le passent pas à s’occuper des élèves et à travailler avec eux. Un des enjeux, c’est comment organiser cette concertation avec l’équipe éducative pour que ça ne prenne pas trop de temps et pour que cela soit suffisamment représentatif. Et de fait, il y a des modèles à inventer, parce que ça n’existait pas jusqu’ici dans la plupart des écoles.

Éduquer: Quels sont les difficultés et les pièges que les équipes pédagogiques ont pu rencontrer dans les écoles?

P.W.: Pour l’instant, la plupart des écoles lancées dans la procédure ont des comités de pilotage, dans lesquels il y a des enseignants qui sont les représentants de l’équipe pédagogique et qui débattent de ce qu’il y a lieu d’écrire dans les plans de pilotage. Tout l’enjeu réside dans comment ces représentants restent des représentants. C’est un véritable exercice de démocratie scolaire. Là où ça ne marche pas, c’est quand le comité de pilotage est constitué des enseignants plutôt «proches» du directeur et qu’ils sont valorisés avec du temps de travail et se retrouvent redevables du directeur. C’est un piège possible du système car dans ce cas, tout ce qui peut venir de l’équipe éducative ne remonte pas. Le problème c’est que le décret ne prescrit rien. Il faut inventer ses propres pratiques. C’est toujours la même chose, soit on cadre tout et on exclut l’autonomie, soit on laisse l’autonomie, mais alors on veille à ce que l’esprit soit là et que les suggestions des enseignants remontent bien jusqu’au comité de pilotage et soient intégrées aux plans.

Éduquer: Est-ce que cela signifie qu’on pourrait avoir des plans de pilotages qui aillent à l’encontre de l’objectif de la réforme et du coup, des enseignant·e·s?

P.W.: Théoriquement, un plan de pilotage qui serait mal négocié avec l’équipe éducative devrait être rejeté par le délégué aux contrats d’objectifs (autrement dit, la personne qui représente le pouvoir régulateur). En principe, c’est une des dérives auxquelles ces délégués seront attentifs. Il faut aussi avoir à l’esprit que «délégué aux contrats d’objectifs», c’est une nouvelle fonction qui doit s’inventer une culture professionnelle et qui doit fonctionner avec une déontologie et avec des objectifs nouveaux. Par ailleurs, les DCO ce sont des anciens directeurs ou inspecteurs, qui doivent euxmêmes changer de réflexes professionnels. Ils doivent s’investir d’une nouvelle mission. Ceci étant, il semble que la formation qui leur est donnée est assez bien faite mais est-ce que tous parviendront à changer de culture professionnelle, ça, je ne sais pas. Il y a là aussi un enjeu très important.

Éduquer: Comment va s’organiser le travail collaboratif dans les écoles et comment va-ton l’évaluer dans le temps?

P.W.: Il ne s’agit pas seulement, pour les équipes pédagogiques, de négocier un contrat d’objectifs, il faut aussi faire en sorte qu’il soit mis en œuvre. Pour cela, les enseignants devront davantage travailler en équipe et donc, moins de manière individuelle. C’est un changement de culture professionnelle important pour les enseignants aussi. Le travail collaboratif leur a été imposé via le décret relatif à une nouvelle organisation du travail , qui a été avalisé dans la foulée du Pacte d’excellence. Les équipes doivent organiser 60 périodes obligatoires de travail collaboratif. Cette obligation était nécessaire pour parvenir à impulser un changement et espérer que cela se généralise. Tout l’enjeu est de savoir à quoi elles vont réellement servir? Si ce sont les directions qui décident des contenus discutés et pas les équipes, ce n’est pas du travail collaboratif à proprement parler mais une mise à disposition du personnel enseignant auprès du directeur.

Éduquer: comment faire en sorte que cela n’arrive pas et que les enseignant·e·s aient réellement plus d’autonomie?

P.W.: Le décret précise bien que ces heures doivent être consacrées à la fois, aux réunions d’équipes organisées par la direction et à la fois, au travail collaboratif dont les enseignants décident entre eux du contenu. Le décret ne dit rien sur la proportion entre l’un et l’autre, ce qui est compréhensible. Par moments, des réunions d’équipe s’imposent dans la vie d’une école et dans d’autres temps, ce sont les projets qui rassemblent. Mais on constate sur le terrain que c’est devenu un enjeu important dans chaque établissement: que les réunions d’équipe ne prennent pas trop de place. Les directions auront aussi un travail de remise en question à faire autour de leur culture professionnelle: apprendre à plutôt déléguer que contrôler l’équipe, s’appuyer sur les compétences de ses enseignants et renforcer chacun dans sa capacité d’agir. Pour certaines, cela fonctionne déjà comme ça depuis longtemps, pour d’autres pas du tout.

Éduquer: Quelles inquiétudes avez-vous quant à la réussite de cette réforme sensée améliorer les performances de notre enseignement et lutter contre la reproduction des inégalités socio-économiques?

P.W.: Une de mes inquiétudes au sujet de la réforme, c’est que l’on reste fortement centré sur les forces et faiblesses de chaque école comme si chaque école était indépendante des autres. Or, dans la réalité de ce qu’on appelle le «quasi-marché scolaire», les difficultés qui sont créées dans une école peuvent être créées par la politique qui est menée dans une autre école. Une école qui, déjà dans le fondamental, décourage certains de ses élèves à continuer leur cursus et les envoie dans une autre école plutôt que de prendre en charge leurs difficultés, fait qu’il y a concentration des difficultés dans un même établissement. Selon moi, un des points faibles du pilotage, c’est que cette possibilité pour les écoles de se rencontrer sur ces questions-là n’existe pour l’instant que de manière théorique. Dans l’Avis n°3 du Pacte pour un Enseignement d’excellence, la feuille de route du Pacte, il est prévu que des directeurs de zones (DZ) créent des plateformes locales de concertation entre les établissements d’une même zone, afin de débattre des difficultés créées notamment au sujet des inscriptions, du phénomène de relégation… Pour le moment, cela n’existe pas encore puisque les directeurs de zone n’ont pas six mois d’existence. Mais il faudra veiller à ce que ces discussions aient lieu et que les DZ convoquent les établissements à se rencontrer et idéalement, que ces entrevues produisent des effets. Dans les faits, le pouvoir des directeurs de zone est d’imposer cette concertation mais pas de prendre des mesures. Cependant, il existe une possibilité d’agir. Ce n’est pas pour tout de suite puisqu’il faut d’abord voir ce que donnent les plans de pilotage mais, dans le décret Pilotage, le Pouvoir Régulateur se réserve le droit de fixer des objectifs particuliers. Si l’on constate des blocages dus à certaines politiques menées dans certains établissements, le gouvernement pourrait décider de fixer, via le Pouvoir Régulateur, des objectifs particuliers dans certaines zones. Il serait par exemple possible d’imposer à certaines écoles de conserver les élèves dans l’école malgré leurs difficultés scolaires. Mais cela dépend du type de Pouvoir Régulateur qu’on aura et de sa volonté de le faire ou pas et de sa capacité aussi, à faire pression sur les réseaux et sur les établissements afin de mener des politiques concrètes allant dans ce sens-là.

Éduquer: La Déclaration de politique communautaire prévoit de revoir le décret inscription. Qu’espérez-vous au CGé en termes de réduction des inégalités?

P.W.: Pour le moment, en termes de régulation des inscriptions, on échoue à faire en sorte qu’il y ait plus d’unicité sociale dans les écoles. La concurrence continue à jouer entre les établissements et tant qu’il y en aura, et tant que ce seront toujours les mêmes établissements qui doivent gérer l’essentiel des difficultés, cela ne fonctionnera pas. On aura beau essayer de mettre en place des stratégies dans les établissements en difficulté, ils resteront toujours plus en difficulté que les autres. Il y a vraiment quelque chose à faire au niveau de la régulation des inscriptions mais, c’est très compliqué dans un système où on a des réseaux, des résistances des parents aussi et une situation de départ qui est problématique. En effet, on ne peut pas dire aujourd’hui que tous les établissements se valent et en tant que parent, il est logique qu’on essaie d’en éviter certains. Ce qu’on peut espérer de ce Pacte, à la fois par la mise en place des plans de pilotage et par le tronc commun, c’est qu’on arrive peu à peu, à faire en sorte qu’il y ait moins d’écart entre les établissements.    

Maud Baccichet, secteur communication

oct 2019

éduquer

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