Mai 68, un «vieux monde» derrière nous?
Mercredi 9 mai 2018
Il est interdit d’interdire. Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi. Vivre sans temps mort, jouir sans entraves… Que reste-t-il de mai 68? Des slogans qui vivent mal la crise de la cinquantaine?
Cinquante ans nous séparent des événements de mai 68 mais parfois on a l’impression qu’ils se sont produits il y a un siècle. Comme la plupart d’entre vous, l’auteure de ces lignes n’y a pas participé. Je garde le vague souvenir d’images violentes vues à la télévision, qui semblaient fort inquiéter le monde des adultes. Le «vieux monde» avait en effet de quoi s’inquiéter. Mai 68, c’était l’insolence, le refus des croyances, la remise en cause de l’autorité et du conservatisme. Le tout résumé dans un de ses plus beaux slogans: «Comment peut-on penser à l’ombre d’une chapelle?». Et pourtant les chapelles n’ont pas disparu. Les réflexes identitaires, les intégrismes religieux ont le vent en poupe et l’irrévérence du plomb dans l’aile. «2018 sera-t-il l’anti-Mai 68?», s’interrogeait le journal Libération, le premier janvier d’une année qui va pourtant célébrer ou disséquer une révolution qui fut tout sauf silencieuse.
2018, l’anti-68? Nous le verrons au fil de ces pages, le propos n’est pas excessif. En 68, on affirmait qu’on ne pouvait pas «tomber amoureux d’une courbe de croissance». Aujourd’hui, la majeure partie de la population la scrute avec angoisse, par peur du chômage et du déclassement. L’homosexualité s’est libérée mais, selon certain.e.s, un nouveau puritanisme verrait le jour dans le monde culturel. On n’imagine plus aujourd’hui récompenser «Théorème» de Pasolini ni encenser le «Dernier tango à Paris». Il n’est plus interdit d’interdire et c’est même de plus en plus souvent exigé. L’authenticité est devenue un produit de consommation, la liberté se confond avec flexibilité sur le marché du travail. Même la démocratisation de l’Université connaît un sérieux coup de frein, qui ne semble émouvoir personne. Ce serait donc Mai 68 le vieux monde, derrière nous? Comme le soulignait Daniel Cohn-Bendit dans «Le Soir» du cinq janvier, «le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce qu’était le monde en 1968. Plus rien!». Mais les vieux mondes ne disparaissent jamais totalement. Celui des années 60 a emporté la soumission aveugle à l’autorité. La ségrégation et le mépris des minorités ne sont plus portés que par les plus extrémistes. C’est Martin Luther King qui aura permis l’élection d’Obama. «Les révoltes lancent des vagues, rappelle l’icône de Mai 68. Les révoltes, c’est comme les marées, ça monte, ça descend, ça ne s’arrête jamais».
Dossier réalisé par Martine Vandemeulebroucke, secteur communication