Thiagi fait partie de ces personnes profondément humanistes qui vous font très vite grandir lorsque vous croisez leurs chemins.
L’histoire a commencé il y a quelques années, lorsqu’au cours de ma formation de formatrice à la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente, un livre a attiré mon attention dans la bibliographie proposée. . «Modèles de jeux de formation», co-écrit avec Thiagi, a séjourné quelque temps sur les étagères de ma bibliothèque, sans que je ne soupçonne le trésor qui s’y cachait. Dans mon parcours, j’ai eu la grande chance de croiser un tandem de formateurs, Patrick Hullebroeck et Bruno Barbier, convaincus de la pertinence et de l’efficacité de l’interactivité en formation. J’ai ainsi compris, en tant qu’apprenante, la puissance de la pédagogie active, et la richesse de l’intelligence collective qui surgit des groupes au cours des activités qui rendent les participants acteurs de leurs apprentissages. Un premier atelier de formation aux «jeux-cadres» suivi avec Bruno Hourst fut le déclencheur. La suite logique, les ateliers avec Thiagi lui-même. Depuis, je poursuis cette belle aventure et je place les jeux-cadres au cœur de ma pratique de formatrice. Nathalie Jacquemin: Quelle est votre histoire avec les jeux? Thiagi: J’ai commencé à jouer à différents jeux très pré- cocement, tout simplement parce que mon père ne voulait pas que nous perdions notre temps à jouer. Lorsque j’avais sept ans, après avoir perdu plusieurs parties d’échecs contre mon oncle, je lui ai expliqué que le jeu serait plus intéressant pour tous les deux, si je jouais deux fois pour chacun de ses tours. J’ai également suggéré que mes cavaliers devaient avoir des pouvoirs spé- ciaux. J’ai découvert alors que je préférais clairement être un concepteur de jeux plutôt qu’un joueur. Plus tard, en tant qu’enseignant en sciences dans un lycée, j’ai pensé que le meilleur moyen d’empêcher mes étudiants de s’endormir était d’organiser des jeux d’équipe. J’ai ainsi trompé mes élèves en leur faisant croire qu’ils s’amusaient…jusqu’à ce qu’ils réalisent qu’ils étaient ensuite capables de se rappeler tous les concepts-clés du cours et de répondre aux questions les plus difficiles sur la matière. N.J.: Pouvez-vous nous expliquer le concept de jeu-cadre? Th.: Les jeux de puzzle sont familiers à la plupart d’entre nous. J’explique généralement aux gens qu’un puzzle est une structure (les pièces doivent être correctement mises à leur place) et un contenu (une image spécifique). J’attire leur attention sur le fait qu’ils peuvent utiliser la même structure de jeu, avec une autre image. Je leur dis ensuite que le concept de jeu-cadre est exactement pareil: vous pouvez utiliser la même structure de jeu en changeant le contenu de celui-ci. N.J.: Quels sont les avantages de l’utilisation des jeux en formation? Et pour l’enseignement? Th.: Les avantages sont les mêmes pour l’enseignement et la formation. Chaque personne possède différents types d’intelligence, et les jeux font constamment appel à ces différentes formes d’intelligences. Actuellement, la plupart d’entre nous savons que l’apprentissage par la pratique est une approche efficace, et les jeux demandent aux apprenants d’être actifs et impliqués. De nombreux types d’apprenants peuvent jouer à une grande variété de jeux. Par exemple, les apprenants introvertis prennent du plaisir à jouer à des jeux de puzzle. L’informatique a mis à notre disposition une infinité de jeux, individuels ou collectifs. Les jeux sont agréables et divertissants. L’éducation et la formation deviennent plus ludiques et plus plaisantes. Les jeux favorisent les échanges entre les participants, l’apprentissage mutuel et par les pairs. Vous pouvez intégrer des sé- quences qui invitent à la dé- couverte du sujet comme des activités d’évaluation dans les jeux. Les gens peuvent jouer durant leurs loisirs. De nombreux groupes d’entraide peuvent apprendre beaucoup à travers les jeux. Vous pouvez utiliser le même jeu avec une multitude de thèmes, en formation comme à l’école. Les jeux permettent la participation d’un grand nombre d’apprenants. Les jeux transforment les enseignants en animateurs. Les jeux facilitent la mise en œuvre des contenus appris par les participants. Les jeux encouragent l’esprit d’équipe et la coopération. Les jeux offrent un feedback immédiat aux participants et beaucoup de possibilités pour la pratique des acquis. Les jeux sont attractifs pour la nouvelle génération d’apprenants qui ont grandi en jouant sur ordinateur ou à des jeux vidéo. Il y a encore beaucoup d’avantages à utiliser les jeux, mais je pense que je vais arrêter là avant de vous ennuyer… N.J.: Quels sont les principaux objectifs de vos ateliers? Th.: L’objectif principal est d’aider les enseignants et les formateurs à changer de perspective. De leur fournir des outils et des clés pour passer de la transmission de savoir «classique», à la posture de facilitateur dans l’apprentissage de principes et de procédures. N.J.: Quels sont les défis du monde de la formation et de l’enseignement d’aujourd’hui? Th.: Il y a plus de diversité dans les nouvelles générations d’apprenants, et leur durée d’attention est moins longue. N.J.: Quels conseils donner pour rendre les formations plus interactives? Th.: Ne jamais oublier qu’un apprentissage efficace se fait par la pratique et les activités, et non pas uniquement en écoutant l’enseignant ou à travers la lecture de manuels. La meilleure façon d’encourager l’apprentissage est de laisser vos apprenants interagir et parler entre eux - et, pour vous, de vous taire. N.J.: Votre dernier mot? Th.: Souvenez-vous que vous n’échouez jamais si vous perdez à un jeu. Vous n’échouez que si vous n’apprenez rien du jeu, peu importe que vous le gagniez ou que vous le perdiez.   Nathalie Jacquemin, formatrice en communication et pédagogies interactives à la Ligue de l’Enseignement  

Qui est Thiagi?

Sivasailam Thiagarajan, alias Thiagi, est né à Madras (Inde) et vit aux États-Unis. Spécialiste de jeux de formation (qu’il définit comme «activités interactives»), il a créé et développé le concept unique de jeux-cadres, qu’il présente lors de nombreux ateliers et séminaires à travers le monde. La créativité débordante de Thiagi a commencé très tôt. Il raconte que déjà, à Madras, dans son enfance, il avait gagné le premier prix lors d’une exposition de réalisations scientifiques en construisant un volcan artificiel. Le fait qu’il ait aussi mis le feu au hall d’exposition le poussa plus tard à utiliser différemment sa créativité, et à réaliser d’autres sortes de feux d’artifice. Thiagi a inventé de très nombreux jeux (jeux d’instruction, de simulation, etc.) et continue à en inventer sans répit (depuis plusieurs années, il s’est donné le défi d’en inventer un par jour). Il a également déterminé au moins 60 types de jeux et d’activités interactives, permettant à chacun d’utiliser le meilleur outil en fonction de différents paramètres (sujet d’instruction ou de réflexion, type de participants, temps, taille du groupe, matériel disponible, forme classique ou informatique, etc.). Ses jeux s’adaptent à une multitude de contextes: la conception de formations, le management du changement, le leadership, la diversité culturelle, la créativité, le travail en équipe, l’enseignement, l’entreprise apprenante et bien d’autres encore. Il est aussi l’auteur de centaines d’articles sur les jeux et de plusieurs livres. À travers ses écrits, ses séminaires et ses activités de consultant, il aide des personnes, des enseignants, des sociétés et des organisations à créer, utiliser et modifier des jeux correspondant à leurs besoins.

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