«Il faut poser la question de la mission de l’enseignement obligatoire à l’échelle de la société»
Lundi 4 octobre 2021
Pour Fred Mawet du CGé, l’enjeu fondamental pour notre système scolaire, c’est faire école commune avec un objectif clair et partagé par toutes et tous, à commencer par les enseignant·e·s. Atteindre cet objectif nécessite d’en finir avec la ségrégation sociale comme pédagogique, présente selon elle, dans tous les réseaux. Pour y parvenir, il faut pouvoir débattre d’abord de la mission conférée à l’école par la société.
CGé?
CGé est un mouvement sociopédagogique reconnu par
l’Éducation permanente, qui a
pour objet social de contribuer
à l’amélioration de la qualité de
l’enseignement et de la formation en Communauté française
de Belgique dans une perspective d’égalité et de démocratie.
Eduquer: Notre système scolaire s’articule en plusieurs réseaux, héritage d’un passé historique chargé en guerres scolaires. Selon vous, est-ce qu’un réseau unique d’enseignement en Belgique francophone est imaginable?
F.M.: Le réseau unique est peu envisageable pour tout un tas de raisons historiques, mais financières également… L’enjeu, c’est donc moins une école unique que parvenir à faire école commune, avec un système scolaire qui fonctionne bien, qui communique bien, qui partage les mêmes objectifs et rend un service public de qualité vers tous les élèves. On arriverait à un réseau unique qu’on n’aurait pas encore gagné cette dynamique pour autant. Il y a des écoles élitistes et de la relégation partout et c’est tout ça qu’il faut attaquer et arriver à dépasser. Évidemment, le fait qu’on ait des réseaux différents et qu’il y ait tout un pouvoir et une liberté aux pouvoirs organisateurs, c’est à la fois une bonne chose car il ne s’agit pas d’inféoder les gens et de les mettre sous une dictature hiérarchique mais à la fois, ça ne garantit pas de pouvoir faire école commune parce qu’ils sont d’une certaine façon, en écran, entre la volonté politique et le terrain.
Éduquer: Vous dites que les réseaux participent quelque part à cette concurrence, ce marché scolaire. Comment faire alors pour rassembler tout le monde autour de cet enjeu fondamental de l’école?
F.M.: Je voudrais insister sur cette question: quel est l’enjeu fondamental? Est-ce que c’est: faire école commune? Est-ce qu’on est d’accord de sortir de cette concurrence scolaire et de se mettre au travail ensemble au service d’un objectif clair et partagé qui est: une école émancipatrice, de qualité, qui donne un socle de compétences et de savoirs communs à tous les enfants de 3 à 15 ans? Si c’est bien ça l’objectif, alors on peut se mettre au travail. Comment se parler de ce que l’école produit? Puisqu’on est dans un système de concurrence scolaire, chacun cache ses difficultés. Il faut avoir l’air le plus attractif possible pour avoir son public.
Comment faire école commune alors que dans notre système actuel, il n’y a pas de leadership fort sur les directions puisqu’il y a les réseaux et les P.O. qui font écran?
Éduquer: L’école doit faire face à des enjeux multiples comme la pénurie des enseignant·e·s, plusieurs réformes, celle de la formation des enseignant·e·s, les plans de pilotage, le Pacte pour un enseignement d’excellence, etc. Des changements arrivent et tous les réseaux y travaillent avec le pouvoir politique. Pensez-vous qu’ils mèneront concrètement à plus d’égalité scolaire entre les élèves?
F.M.: Le problème de notre système, c’est qu’il est fondamentalement inégalitaire. Il peut fonctionner autrement, mais ça nécessite un accord sociétal fort et durable pour changer la mission de l’enseignement obligatoire: pour y arrêter de trier et sélectionner les enfants en lien avec leur appartenance sociale et mettre toute l’attention et l’organisation au service de leurs apprentissages. Il faut s’en parler à l’échelle de la société, accepter ce changement et comprendre par quels changements de structure, de fonctionnement et de pratiques pédagogiques il passe. Et ce n’est vraiment pas gagné à ce stade. Un des gros problèmes, c’est l’adhésion des enseignants. Il faut qu’ils comprennent ce changement et en partagent la volonté, qu’ils se sentent écoutés, respectés, qu’ils aient le cadre pour participer à cette réflexion collective. L’État doit faire sa partie du travail: on peut considérer que le Pacte et son train de réformes systémiques articulées et phasées sur 15 ans tente de programmer tous ces changements indispensables mais c’est loin d’être gagné car il faut garder le cap pendant 15 ans et amener chaque réforme à bon port, en veillant à ce qu’elle ne soit pas pervertie ou détournée et à ce qu’elle produise bien les effets attendus.
Éduquer: Les plans de pilotage sont ces contrats d’objectifs qui engagent l’école et son Pouvoir organisateur vis-à-vis du pou - voir subsidiant et doivent permettre à notre système scolaire d’aller vers plus d’équité, d’efficacité et d’efficience. Pourtant, ils ne convainquent ni tous les réseaux, ni toutes les directions, ni tous les enseignant·e·s. Pourquoi?
F.M.: Les plans de pilotage, c’est une manière originale de se demander où en est chaque école et qu’est-ce qu’elle pro - duit. Ils permettent d’objectiver une partie des difficultés qu’elle rencontre au travers d’indicateurs et de se mettre au travail pour changer cette situation en ayant toujours en tête cet objectif global et central qui est: émanciper et réduire les inégalités. Les plans de pilotage sont pour partie mal interprétés. Il y a cette crainte qu’ils ne soient qu’une demande administrative mais ils peuvent et devraient être tout autre chose. Cela nécessite de pouvoir mettre en place une dynamique de questionnement collectif dans l’école: d’ouvrir, de pouvoir nommer les difficultés sans craindre des représailles. L’outil a été pas mal pensé mais nous trouvons qu’il y a des angles morts à CGé. Par exemple sur cette question de la concurrence entre écoles proches qui renforce voire crée la ségrégation du public accueilli. Même si les équipes n’ont pas de prise directe sur cette question, cela joue évidemment sur leur réalité et on ne peut pas ne pas en tenir compte. Mais là, c’est surtout l’état qui doit agir en assumant d’expliquer aux parents de milieux favorisés pourquoi il va falloir réguler les inscriptions de l’entrée à la sortie de l’enseignement obligatoire pour assurer une bonne mixité sociale tout au long. Il faut donner ce pouvoir et cette capacité d’analyse aux équipes pédagogiques pour qu’elles puissent avoir une vision de ce dans quoi elles sont prises et pouvoir les accompagner dans la construction de leurs moyens d’actions. Les plans de pilotage, ça peut et ça doit être ça. Ce n’est pas une abominable réification des choses, ce sont simplement des indicateurs objectifs sur ce qu’une école produit: Qui est son public? Qu’est-ce qui se passe en termes de violence, d’absentéisme des profs, des élèves, l’ambiance scolaire, qu’est-ce qui se passe en termes de résultats, d’obtention du CEB, en termes de niveaux aux épreuves pisa etc. Ce sont des indications, point. Après ça, tout reste à faire, mais ça permet d’objectiver et c’est indispensable de passer par là.
Éduquer: Avez-vous la sensation que les parents et la société en générale comprennent les enjeux autour des réseaux d’enseignement et de la concurrence scolaire?
F.M.: Il me paraît fondamental de communiquer là-dessus avec la société dans son ensemble et notamment avec les parents favorisés qui sont de puissants acteurs de ce système et qui freinent certaines réformes dont ils ont peur. Ils ont l’impression que si l’école devient meilleure pour les enfants de milieux populaires et pour l’ensemble des enfants, elle va sans doute devenir moins bonne pour leurs enfants. Sortir des écoles de niches, ces écoles qui organisent la compétition, c’est être convaincus qu’on peut fonctionner autrement et que ça doit fonctionner autrement pour le bien de notre société. Nous trouvons que ce débat est insuffisamment assumé et porté et que sans ce débat, on ne peut pas y arriver. C’est ce qui se joue dans le décret Inscriptions. Les écoles élitistes trient leurs élèves, elles sont pyramidales et elles existent dans tous les réseaux. La ségrégation pédagogique c’est ça: sélectionner tout au long et repousser les plus faibles vers d’autres écoles. La reconduite polie est tout aussi redoutable que le renvoi. Le problème, c’est le système de relégation qui existe actuellement. Notre système scolaire trie, oriente et relègue. L’enjeu c’est de changer ça en tous cas, au moins jusqu’à 15 ans.
Maud Baccichet, chargée de communication
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