On pense souvent que Galilée a eu de graves ennuis en soutenant que la Terre était sphérique et non plate. Le grand physicien n’a pourtant rien à voir avec cette idée. Il disait tout autre chose: que la Terre, au lieu de trôner au centre de l’Univers, tournait autour du Soleil. L’idée de la sphéricité de la Terre, en fait, n’a jamais chagriné l’Église, pour qui l’Univers devait justement être constitué uniquement de sphères! L’abandon de l’hypothèse de la Terre plate remonte donc à près de 2000 ans avant Galilée: il est dû à Thalès, Aristote et Pythagore notamment. Leurs raisonnements reposent sur des observations simples, que chacun peut s’amuser à refaire.
Contre les «platistes»
Le mouvement «platiste» (personnes convaincues que la Terre est plate) semble gagner du terrain. On lit par exemple sur le site de la RTBF[1] que la «Flat Earth Society», forte de milliers de membres, compte organiser une expédition en Antarctique pour prouver la platitude de notre planète, un grand disque limité à ses bords par des murs de glace… Pour éviter qu’on ne tombe. Pour se convaincre du contraire, et avant que l’expédition ne livre ses intéressantes conclusions, faisons donc un peu de géométrie, terme qui signifie justement «mesure de la Terre». Mais de la géométrie expérimentale et amusante! Voici donc trois observations, géniales réfutations de la «Terre plate», qui ont sans doute été effectuées depuis des temps très reculés autour du bassin méditerranéen. Pour les refaire, Il suffit de regarder le ciel nocturne ou la mer, et de réfléchir: un sain exercice d’observation et de raisonnement, à montrer à ses enfants ou étudiant·e·s. Voici donc trois bons moyens de résister aux grotesques discours platistes.
Premier indice: étoiles englouties par l’horizon
Lorsqu’on observe le ciel nocturne d’un point donné à un moment donné (disons, Marseille un 20 juillet à minuit), on peut voir des étoiles, dont certaines sont assez bas côté Sud (Antarès, par exemple, dans la constellation du Scorpion). Si on voyage vers le Nord en tournant le dos à Antarès, on constate qu’elle brille de plus en plus bas sur l’horizon. Depuis Bruxelles, elle n’est déjà presque plus visible, et disparaît même tout à fait sous l’horizon lorsqu’on arrive en Norvège. À l’inverse, si on voyage vers le Sud, Antarès brille de plus en plus haut (elle trône même au zénith en arrivant en Namibie); et surtout, de nouvelles étoiles, invisibles au début du voyage, apparaissent en-dessous d’Antarès, comme par exemple, la belle constellation de la Croix du Sud, rigoureusement invisible de Marseille. Le fait que, d’une part, Antarès ait été engloutie par l’horizon lorsqu’on va vers le Nord, et que d’autre part, des étoiles nouvelles apparaissent quand on va vers le Sud, montre bien que nous sommes sur une Terre sphérique, ou tout au moins, pas plate. En effet, en se promenant sur une Terre plate, on verrait certes Antarès de plus en plus bas en allant vers le Nord, mais elle ne disparaîtrait jamais tout à fait. Et en allant vers le Sud, on ne verrait pas de nouvelles étoiles apparaître: on ne ferait que mieux voir les étoiles déjà visibles côté Sud de notre point de départ. En somme, dans l’hypothèse platiste où la Terre plate est surplombée par un plafond d’étoiles, tout le monde sur Terre verrait les mêmes étoiles, mais sous des perspectives différentes. Précisons à quiconque est curieux de vérifier cela qu’un voyage jusqu’à la Scandinavie ou la Namibie n’est pas nécessaire: à l’œil nu, on observe aisément ces effets pour des voyages Nord-Sud de quelques centaines de km (Italie-Tunisie, par exemple, ou Bruxelles-Marseille). Ces observations étaient donc largement à la portée de fins observateurs comme les marins de l’Antiquité.
Deuxième indice: la côte avant le port
La deuxième observation est très simple à mettre en œuvre, pour autant qu’on habite près de la mer, ce qui est le cas d’une grande partie des humains, et de pas mal de Belges. Pour les autres, il vaut le coup d’effectuer un aller-retour en train pour faire cette expérience simple et géniale à la fois. Choisissons donc un jour clair sans trop de vent, prenons le train pour Ostende ou le Zwin, asseyons-nous juste au bord de l’eau sur la plage, et observons aux jumelles un bateau à voiles qui s’éloigne. On assiste alors à quelque chose de tout à fait surprenant: après quelques dizaines de minutes, on s’aperçoit que la coque a disparu, alors qu’on parvient toujours à observer les voiles! Ce n’est qu’un peu plus tard que le haut du mât disparaît à son tour. Bref, on voit parfaitement que le bateau est englouti non pas dans la brume lointaine, mais derrière l’horizon. Ces observations peuvent naturellement être effectuées avec des bateaux sans voiles, des ponts ou des îles lointaines, et sont parfois très cocasses. On peut ainsi s’amuser en voyant des conteneurs «flotter» sans voir le porte-conteneurs, ou bien des camions «flotter» sans voir le pont qui les soutient, ou encore des toits de maisons lointaines «flotter» sans voir l’île qui les porte. Réciproquement, un marin approchant de la côte va d’abord voir les sommets (le haut du clocher d’Ostende, les montagnes derrière la côte s’il y en a), puis, beaucoup plus tard, les collines, la côte, le port, et enfin la plage (c’est ce que dit, au fond, la fameuse plaisanterie: si le boucher voit le porc avant les côtes, le marin, lui, voit la côte avant le port!). Si la Terre était plate, les choses se passeraient différemment, du moins pour un observateur attentif. La visibilité en mer ne serait limitée que par le manque de transparence de l’air. Un voilier partant au loin ne disparaîtrait pas derrière l’horizon, mais dans la brume. À la limite, un jour clair, on verrait New York depuis Lisbonne et Alger depuis Marseille. Et on n’assisterait pas au remarquable et amusant phénomène des voiles visibles sans la coque. Sur une Terre plate, un marin traversant la mer verrait de très loin le but de son voyage sortir petit à petit de la brume, but qui ne ferait que grossir pendant les dernières heures de traversée. Or ce n’est pas cela qui se passe: comme on l’a dit, d’abord les montagnes, puis les collines, puis la côte, et enfin le port et la plage, émergent l’un après l’autre de derrière l’horizon… Je prends le pari qu’aucun platiste n’est marin, tellement ces faits sont évidents quand on a un peu circulé sur la mer, ou ouvert ses yeux pendant ses vacances à la plage. Cet argument est bien sûr également valable pour des voyages terrestres, même s’il est moins aisé à mettre en œuvre à cause des obstacles à la visibilité (arbres, collines). Par exemple, si on voyage par beau temps de Bruxelles vers le Mont Blanc, on voit cette montagne surgir de derrière l’horizon (et non pas de la brume) depuis la Bourgogne, à environ 250 km du but; et à cette distance, on ne voit que le sommet enneigé - pas ses pentes!
Troisième indice: la preuve par l’ombre
De temps en temps, au cours de sa promenade cosmique, la Terre se trouve juste sur la ligne joignant la Lune et le Soleil. La Lune plonge alors quelques heures dans l’ombre portée par la Terre. C’est une éclipse de Lune, un phénomène que tout le monde peut voir plusieurs fois dans sa vie sans voyager, superbe à observer à l’œil nu ou aux jumelles (la dernière visible en Europe a eu lieu le 21 janvier dernier, la prochaine le 14 mars 2025). À quoi ressemblerait une éclipse de Lune si la Terre était plate? Imaginons pour cela quel est le contour de l’ombre donnée par une crêpe ou une pièce d’un euro: il s’agit d’une ellipse plus ou moins étroite, mais presque jamais d’un cercle. On peut en particulier prédire qu’une éclipse de Lune ayant lieu au coucher du soleil donnerait une ombre extrêmement étroite, car alors la crêpe-Terre serait éclairée par la tranche! Mais les faits sont impitoyables avec les platistes. Si ceux-ci regardaient les éclipses de Lune comme tous les gens curieux, ils constateraient que l’ombre où plonge la Lune pendant une éclipse est toujours impeccablement circulaire. Or quelle est la seule forme qui projette toujours une ombre circulaire? La sphère, bien sûr! Ce raisonnement très astucieux est encore plus puissant que les précédents puisqu’il prouve non seulement que la Terre n’est pas plate, mais de plus qu’elle est parfaitement sphérique!
Gand visible depuis l’Atomium?
Revenons à notre superbe expérience de bord de mer et posons-nous la question: à quelle distance disparaît le bateau? La distance de disparition est liée à la taille de la Terre et à celle du bateau. Si par exemple la Terre n’avait que 10 km de circonférence, il suffirait au bateau de partir quelques km pour disparaître totalement de l’autre côté de la planète! Et il est clair également qu’un petit voilier de 5 mètres de haut disparaît plus vite qu’un trois-mâts de 30 mètres de haut. Il existe donc un lien, assez simple, entre la distance de disparition du bateau, sa hauteur, et le rayon de la Terre: ce lien, qui peut être établi au moyen du fameux théorème de Pythagore, est celui-ci: d=√(2xRxh) ou encore d=3,6√h. Concrètement, il suffit de prendre la racine carrée de la hauteur du bateau (en mètres) et multiplier par 3.6, pour obtenir la distance de disparition (en km). Pour un bateau de 10 mètres de haut, cela donne environ 11 kilomètres. C’est peu, finalement: sur une distance aussi courte, on voit les manifestations de la courbure de notre grande Terre! Bien sûr, réciproquement, ces 11 kilomètres correspondent également à la distance à laquelle un observateur au sommet du bateau de 10 mètres voit disparaître la plage. Cette formule donne donc également la visibilité depuis un point élevé situé au bord de la mer (ou d’une plaine suffisamment plate). Ainsi, le panorama va jusqu’à 34 km depuis la cathédrale de Gand (89 mètres au-dessus de la plaine), et 36 km depuis l’atomium de Bruxelles (102 mètres de hauteur). Dans le cas de deux monuments, les distances s’ajoutent. Ainsi, il y a 50 km entre Gand et Bruxelles, ce qui est plus petit que 34 + 36. On peut donc théoriquement voir la flèche de la cathédrale de Gand depuis le sommet de l’Atomium, une observation dont je n’ai pas entendu parler, mais probablement aisée par temps clair.
Platistes, sortez de vos forêts!
Que conclure de tout cela? Qu’il faut un peu réfléchir, ouvrir les yeux et, si l’on peut, voyager pour prendre la mesure de la taille et de la forme de notre Terre. Qu’on aura du mal à faire changer d’avis les platistes qui voyagent peu, ou uniquement à l’intérieur des terres, dans des paysages peu ouverts sans montagne… et qui de plus ne prennent pas la peine de se réveiller pendant les éclipses de Lune. Ce cas étant rarissime, on peut en conclure que la majorité des Terrien·ne·s, à part les aveugles, peut observer, réfléchir, et se rendre à cette évidence vieille de 2500 ans: la Terre est ronde!
François Chamaraux, Docteur en physique, enseignant en sciences et mathématiques
[1]www.rtbf.be/info/societe/detail_qui-sont-lesplatistes-ces-gens-qui-pensent-que-la-terre-estplate?id=10260556