Freinet, Montessori, Decroly... de grands pédagogues, une autre conception de l’enseignement

Dimanche 1 mai 2016

Marie Versele, secteur communication Ligue de l'Enseignement
Stephane Mansy, coordinateur du Relais de La Louvière-Picardie Laïque

Et si, pour lutter contre l’échec scolaire, on repensait l’École? Ses programmes, ses méthodes pédagogiques? Les expériences des écoles alternatives recentrent l’éducation sur l’enfant, sur l’apprenant, plutôt que sur le contenu. Elles renoncent à la compétition pour s’adapter à l’intelligence et au rythme de l’élève. De plus en plus, ces pédagogies séduisent des parents qui y voient une réponse aux carences de notre système éducatif.

Le système scolaire belge est profondément inégalitaire et l’échec scolaire y est omniprésent. Une première cause de l’échec et du décrochage scolaires est d’ordre économique. Les enfants concernés sont souvent issus d’un milieu socio-économique et socio-culturel défavorisé et victimes de discrimination sociale.

La seconde est liée au modèle éducatif et à l’inadaptation de certains enfants à ce modèle. Pour réussir actuellement à l’école, il faut savoir accepter l’obéissance, l’autorité de l’adulte, certaines contraintes inhérentes au modèle d’encadrement et accepter de faire des choses que l’on n’a pas toujours envie de faire. Tous les enfants ne sont pas dans cette inclination d’esprit aujourd’hui, loin s’en faut.

Le troisième facteur est directement lié à l’école et à sa structuration. En effet, l’école garde le travers de s’adresser à des gens qui connaissent bien le système et ses rouages, tandis que le mode d’enseignement ne passe pas suffisamment par l’expérimentation et la patience requise pour ne laisser aucun élève au bord du chemin.

En ce sens, le modèle scolaire présent exige très (trop?) tôt un effort d’élaboration et de conceptualisation très difficile pour un enfant, surtout si celui-ci ne possède pas les codes culturels nécessaires et si sa famille méconnaît également les rouages du système. Face à ces constats, il est urgent de repenser les fondamentaux de l’école, les programmes, la méthodologie, via d’autres formes d’enseignement en s’inspirant, notamment, des expériences des écoles alternatives de plus en plus prisées en Europe.

La Belgique n’est pas en marge du phénomène. Les écoles à pédagogie alternative ont le vent en poupe et les demandes d’inscription y deviennent insistantes. Qu’ont ces écoles de plus que les autres? Pourquoi un tel engouement? Si chaque école a ses propres spécificités, on distingue, malgré tout, des caractéristiques communes, telles que: centrer l’enseignement sur l’élève et non sur les contenus des cours, donner une place active et participative à l’élève dans l’élaboration de ses apprentissages, favoriser au maximum l’autonomie des élèves, développer la créativité, la confiance en soi et l’esprit d’initiative de l’enfant, s’adapter à la forme d’intelligence particulière et aux rythmes de chaque apprenant, s’adapter au rythme de chacun et, enfin, renoncer aux systèmes de cotation (note, classement...) pour bannir tout esprit de compétition au sein de l’école. Derrière ces enseignements alternatifs, il y a des grands pédagogues comme Freinet, Montessori, Decroly et Steiner-Waldorf. Que proposent-ils?

Célestin Freinet: expression et coopération

 

Célestin Freinet (1896-1966) est un instituteur français qui a développé sa pédagogie à partir de sa propre expérience. La pédagogie Freinet1 se centre essentiellement sur le groupe, le collectif et favorise la collaboration et la coopération entre les élèves (on y retrouve souvent des classes multi-niveaux où les grands aident les plus petits, créant ainsi une émulation positive).

Pour Freinet, la dimension collective est essentielle. Et avec elle, l’élaboration de projets communs qui seront ensuite exposés à l’extérieur du groupe (comme, une pièce de théâtre, un exposé...). Célestin Freinet pensait avant tout en termes d’organisation du travail et de coopération. Il désirait une école centrée sur l’enfant, l’école traditionnelle étant basée sur les programmes qui définissent la matière, la précisent et la hiérarchisent.

Chez Freinet, pas de compétition, mais une constante émulation et une collaboration enrichissante. Pas de notes non plus, mais de véritables dialogues d’évaluations.

La pédagogie de Freinet est également fondée sur l’expression libre des enfants: texte, dessin, correspondance interscolaire, imprimerie, journal étudiant... La confiance en soi est un principe clé. Cette confiance en soi, fruit de la valorisation, tant des adultes que de son propre travail, devient alors le moteur de réussite de l’enfant.

Maria Montessori: bouger, sentir, apprendre

Maria Montessori

 

Maria Montessori (1870-1952) est un médecin italien qui a développé une méthode pédagogique2 basée sur le rythme individuel de l’enfant. C’est la méthode dite «ouverte» qui suppose que l’enfant vit des étapes, des périodes sensibles durant lesquelles il est plus apte à développer certaines compétences.

La pédagogie de Montessori se centre donc sur l’éveil sensoriel et kinesthésique de l’enfant et travaille sur son autonomisation. L’adulte est un accompagnant qui doit tout mettre en œuvre pour offrir un environnement positif, dans lequel l’enfant pourra développer ses talents et s’autonomiser.

En classe, les enfants sont libres de choisir l’activité qu’ils souhaitent faire, à la seule condition d’avoir déjà «vu» cette activité avec l’encadrant pédagogique. Ils peuvent y passer le temps qu’ils veulent, ils ont le droit de parler (à voix basse) et de se déplacer comme ils l’entendent dans la classe, tant que l’ambiance de travail est respectée.

Ici, l’auto-apprentissage et l’autodiscipline de l’enfant vont de pair avec la liberté qui lui est accordée. Pour s’approprier les concepts, l’enfant doit manipuler, de façon tangible et concrète, avec ses cinq sens. Peu importe que l’enfant soit rapide ou lent, pourvu qu’il soit concentré, concerné et réceptif.

Ovide Decroly: l’enfant global et central

Ovide Decroly

 

Ovide Decroly (1871-1932) est un médecin et psychologue belge. Il lutta fermement pour la reconnaissance de la méthode globale d’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Les fondements de la réflexion de Decroly sur la pédagogie se situe dans son travail avec les enfants dits «irréguliers» (des enfants anormaux que Decroly préféra nommer «irréguliers» car il se refusait d’en parler comme d’enfants anormaux ou handicapés). Observant que l’enseignement traditionnel était réservé à une élite (dans le contexte social du début du XXe siècle), Decroly souhaita faire naître une nouvelle école adaptée à tous les enfants, y compris les «irréguliers». Pour ce faire, il développa une pédagogie basée sur l’observation et l’approche de l’enfant dans sa globalité. Les centres d’intérêts de l’enfant servent de base à l’acquisition des savoirs.

Dans cette approche, le rôle de l’enseignant est déterminante. Il devient le guide bienveillant de l’enfant, garant de ses apprentissages. La pédagogie de Decroly repose sur 4 principes majeurs3 : la globalisation (il faut voir l’enfant dans sa globalité), les centres d’intérêts de l’enfant, son environnement, source de découverte et de savoirs et, enfin, l’idée de classe laboratoire ou d’école atelier où l’enfant vit, agit et découvre.

Rudolf Steiner: liberté et confiance... une pédagogie controversée

Rudolf Steiner

 

Rudolf Steiner (1861-1925) est un philosophe autrichien.

Steiner a élaboré une pédagogie qui s’appuie sur ses conceptions philosophiques de l’anthroposophie («science de l’esprit»). Elle se base essentiellement sur la créativité artistique de l’enfant et sur son ouverture au monde en s’adressant tant à la tête, qu’au corps ou au cœur. Elle se fonde sur l’idée de la liberté de l’homme, convaincue que l’amour, la confiance et l’enthousiasme, en lieu et place de l’ambition, la crainte et la compétition, dotent les enfants de la sérénité et des forces qui leur seront indispensables pour avancer dans un monde incertain, y réaliser leur projet d’existence, tout en contribuant au progrès humain. Pour lui, accueillir l’enfant à l’école, signifie le reconnaître dans sa singularité, établir avec lui une relation de confiance et de responsabilité. Dans sa conception de l’enseignement, l’enfant est un être autonome capable de penser, agir et sentir seul.

Dans les écoles Steiner, les enfants se voient proposer des activités artistiques et pratiques, auxquelles viennent se greffer des matières plus académiques. Les talents et aptitudes de chaque enfant sont valorisés sans hiérarchisation. La tâche de l’enseignant est de favoriser l’épanouissement de chaque enfant dont il a la charge, de l’accompagner vers la découverte de sa voie originale.

Largement controversée, la pédagogie de Steiner a été objet de nombreuses critiques de pédagogues. Les écoles Steiner ont, en effet, parfois été considérées comme élitistes et faisant preuve de sectarisme. Par ailleurs, on y relèverait un niveau d'apprentissage inégal voire moyen pour certains élèves. Des dérives d'ordre sanitaire y auraient également été soulevées: plusieurs épidémies s'y seraient répandues, les enfants n'étant pas tous en ordre de vaccination. Même si bon nombre des aspects de la pédagogie Steiner sont séduisants, la vigilance reste de mise.

Vers un nouveau modèle scolaire?

Beaucoup estiment que l’adaptation partielle, ou non, de l’enseignement traditionnel vers les pédagogies alternatives est devenue une nécessité dans le paysage scolaire actuel.4 Les élèves seraient devenus tellement hétérogènes qu’une modification de l’enseignement «classique» deviendrait inévitable. Les enseignements de type alternatif seraient plus adaptés aux enfants que les modèles éducatifs traditionnels. L’enfant inscrit dans un enseignement alternatif serait, dès lors, plus heureux, aurait des résultats scolaires en hausse et les écoles y jouiraient d’une violence quasi absente et d’une vie en collectivité harmonieuse et sereine. Ces pédagogies permettraient un enseignement plus varié, mieux adapté à chaque élève et favoriseraient, à terme, une école plus juste.

Une pédagogie pour élites?

Voilà pour la théorie. En pratique, les écoles à pédagogie alternative semblent, dans la plupart des cas, réservées à une élite économique et culturelle, avec pour résultat un manque de mixité sociale. La grande majorité d’entre elles sont des écoles privées et n’ont d’autre ressources financières que celles des parents d’élèves, ce qui induit des frais scolaires mirobolants (certaines écoles Montessori, par exemple, n’hésitent pas à demander un minerval annuel variant de 4 000 à 10 000 euros5 ).

Cet état de fait est un paradoxe total compte tenu de la philosophie de certains pédagogues dont ces écoles sont issues. En effet, Decroly avait comme point de départ le sort des enfants «irréguliers» et souhaitait une réelle émulation entre les enfants de toutes origines, considérant l’école comme vecteur d’évolution et d’autonomisation. Freinet, de son côté, voulait émanciper les classes populaires en proposant une façon d’apprendre qui permette aux enfants de développer leur esprit critique et d’agir collectivement. Et il tenait aussi à installer «ses» écoles au cœur des quartiers défavorisés, tout en popularisant cette pédagogie inclusive.

L’approche de Freinet ou de Decroly est très différente de celles des écoles Montessori et Steiner, qui possèdent plutôt un statut d’écoles privées accessibles, vu le coût d’inscription parfois prohibitif, surtout aux enfants des classes privilégiées. Il n’y a pas vraiment non plus cette volonté d’émancipation politique chez Steiner et Montessori, dont les pédagogies s’articulent prioritairement sur l’épanouissement personnel de l’enfant.

Il reste donc des contradictions. En principe, tous les parents ont le droit d’inscrire leurs enfants dans une école à pédagogie alternative, mais, en pratique, les enfants qui y sont inscrits évoluent dans des familles culturellement riches et aux valeurs pédagogiques affirmées.

Ces écoles sont donc confrontées, soit à une distance économique empêchant certains enfants d’y accéder, soit à une distance culturelle qui empêche des parents de connaître ces innovations pédagogiques. L’école doit se réinventer, innover pour proposer de nouvelles approches et des réponses pertinentes aux impasses rencontrées sur le terrain. Les pédagogies alternatives proposent une nouvelle vision de l’école. Leurs expériences posent des questions sociales majeures: notre société, à travers ses écoles, offre-t-elle à tous d’égales possibilités d’émancipation et de développement personnel? Ouvre-t-elle à tous l’accès à la culture, aux savoirs et connaissances diverses en favorisant une inclusion sociale globale?

Même si elles ne sont pas parfaites, ces pratiques pédagogiques différentes portent leurs fruits. Elles ont le mérite de s’inspirer des préoccupations des enfants, de s’adapter à leur évolution et à leurs étonnements, dans le but de les émanciper, de leur donner les capacités de s’interroger durablement sur le monde. Pour que ces initiatives ne restent pas marginales et/ou réservées à une élite, que chaque enfant puisse jouir de conditions d’enseignement optimales et justes, il semble important d’agir, d’évoluer et d’enseigner... autrement.

Marie Versele, secteur Communication (en collaboration avec Stephane Mansy, coordinateur du Relais de La Louvière-Picardie Laïque)  

1. Célestin Freinet, Œuvres pédagogiques, Seuil, 1994. Édition en deux tomes établie par sa fille, Madeleine Freinet: Tome 1: L’éducation du travail (1942-1943) - Essai de psychologie sensible appliquée à l’éducation (1943). Tome 2: L’école moderne française (1943). 2. Maria Montessori, Les étapes de l’éducation, Desclee de Brouwer. 3. «Le représentant de l’Éducation nouvelle» [archive], www.fabert. com. 4. «École: le boom des projets alternatifs», Le Vif/L’Express, Soraya Ghali, 28/08/15. 5. «Les pédagogies actives: pourquoi ça marche», www. enseignons.be, 15/03/2010.

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