Former les enseignant·es au genre - Une question politique

Lundi 12 décembre 2022

Nadine Plateau, Réseau «Genre et ESNU» de Sophia

Poser la question du genre, en tant que rapport asymétrique et hiérarchique entre les femmes et les hommes est une question politique au sens où elle concerne non pas seulement les relations entre des individu·es (femmes et hommes) mais l’organisation sociale de ces relations, la construction des rapports sexués, ce que nous appelons patriarcat, un système qui repose sur la domination des hommes sur les femmes.

Si ce concept de genre se limitait dans les années 70 aux rapports sociaux de sexe, il s’est affiné au cours du temps et se conçoit aujourd’hui de manière moins binaire en incluant une approche critique non seulement de la construction des rôles sexués mais aussi de la sexualité et cela dans leur articulation à d’autres systèmes de domination et d’exploitation. Le terme d’intersectionnalité désigne l’approche qui consiste à analyser comment les inégalités fondées sur le milieu social, le genre, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, les convictions religieuses et philosophiques s’imbriquent les unes dans les autres.

L’école est un champ du social structuré par ces diverses logiques de domination que sont le capitalisme, le patriarcat, le racisme, l’hétérosexisme. Cependant, de l’après-guerre aux années 90, seules les inégalités sociales furent prises en compte dans les politiques d’enseignement de la Communauté française. La mixité acquise dans la foulée de la grande réforme de l’enseignement secondaire des années 70 a puissamment contribué à l’occultation des inégalités réelles entre filles et garçons, non seulement dans le monde de l’enseignement, mais aussi dans celui de la recherche et des médias.

Visibiliser les inégalités de genre

C’est pourquoi la première étape a consisté à rendre visibles les inégalités de genre dans le système éducatif. Ce sera l’objectif d’abord de militantes féministes du milieu associatif qui dès les années 70 multiplient les publications, colloques, séminaires et formations pour sensibiliser le monde de l’école et le grand public et ensuite, à partir de 1985, des responsables chargées de concevoir et de mettre en œuvre des politiques publiques d’égalité des chances, bien que celles-ci ciblent à l’origine principalement la sous-représentation des femmes en politique et les violences à leur encontre. On ne s’étonnera donc pas que la prise en compte du genre ne progresse que lentement dans les politiques d’enseignement. Il faut attendre les années 2000 pour que cette question apparaisse explicitement à l’agenda public grâce à la collaboration croissante entre les militantes de l’associatif féministe, les responsables de politiques publiques de genre ainsi que les académiques actives dans le secteur du genre. A cette nuance près qu’en examinant les Déclarations de Politique Communautaire des dernières législatures, il apparaît bien vite que les questions «genre et enseignement» sont essentiellement traitées dans le petit chapitre «égalité» et peu ou prou dans le gros chapitre «enseignement». En réalité, pratiquement toutes les mesures, actions positives, recherches en matière de genre et enseignement ont été impulsées, sinon financées, par les ministres chargées de l’égalité des chances et leur administration, la Direction de l’égalité des chances (DEC) et ce jusqu’au Décret de gender mainstreaming[1].

Le genre dans la formation initiale des enseignant·es: la réforme de 2005

La formation initiale des professeur·es constitue bien évidemment un enjeu primordial pour les politiques d’enseignement. Il s’agit en effet de déterminer le profil, les savoirs et les compétences du corps enseignant qui permettront d’atteindre les objectifs poursuivis par le système éducatif. Vu le manque de données scientifiques, il ne sera pas possible d’adopter ici une approche intersectionnelle de cette formation, mais l’analyse en termes de genre fournit des hypothèses pertinentes pour étudier les autres discriminations.

Le mot genre apparaît pour la première fois dans le Décret de 2005 organisant la formation initiale des enseignant-e-s du préscolaire, du primaire et du premier cycle du secondaire. Ce décret modifiait celui de 2000 en ajoutant «la dimension du genre» à l’intitulé du cours «Approche théorique et pratique de la diversité culturelle» prévu par le décret précédent. Si le genre fut ajouté en 2005, c’est que le gouvernement de la Communauté française avait adopté la même année un Programme d’Action Gouvernemental pour la promotion de l’égalité femmes-hommes, de l’interculturalité et de l’inclusion, programme qui dans le chapitre enseignement mettait l’accent sur la formation initiale et continue des enseignant-e-s à l’égalité et à la mixité. Grâce au décret de 2005, toutes les personnes enseignant dans le primaire et le début du secondaire posséderont désormais une base minimale de formation au genre.

En 2008, la commission enseignement du Conseil de Femmes Francophones de Belgique réalise une étude auprès de titulaires de ce cours en Communauté française. Les résultats ont de quoi consterner: la moitié des enseignant·es n’est pas au courant du changement d’intitulé; plus de la moitié n’aborde pas la question du genre et la majorité manque de connaissances scientifiques dans la matière. En 2016, un mémoire d’étudiante refait la même enquête auprès des mêmes professeur·es et aboutit aux conclusions suivantes: la dimension genre est désormais abordée par la totalité des professeur·es; la majorité accorde au genre une place égale à celle de la diversité culturelle; aucun titre requis n’est nécessaire; la majorité des professeurs accorde plus d’importance à la pratique qu’à la théorie; l’ensemble manifeste une ignorance totale des travaux en études de genre. Ces deux études exploratoires permettent de mesurer l’écart entre le texte d’un décret et sa mise en œuvre.

Une nouvelle réforme: le Décret de 2021

En 2011, soucieux de se conformer aux exigences européennes d’harmonisation de l’enseignement supérieur dans les Étatsmembres (système d’accréditation, durée des études etc.), le Ministre Marcourt initie une nouvelle réforme de la formation initiale des enseignant·es qui concerne cette fois tous les niveaux de l’enseignement obligatoire. Se succèdent alors une étude portant sur l’évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en FWB, une note d’orientation du gouvernement relative à la réforme de la formation initiale des enseignant·es et des recommandations d’un groupe de travail composé des représentant·es de l’enseignement supérieur. Dans aucun de ces documents, la question du genre n’est prise en compte sinon en annexe dans un cas. L’absence d’attention au genre manifeste dans les politiques d’enseignement ne signifie toutefois pas que la question soit totalement évacuée. Ainsi, le Conseil de l’Éducation et de la Formation a remis, en 2017, un Avis extrêmement bien documenté «Comment intégrer la dimension de genre dans le système éducatif de la Fédération Wallonie-Bruxelles?» et au cours de la même période, le Comité Femmes et Sciences a décortiqué les avant-projets de loi puis envoyé des recommandations aux autorités politiques afin qu’elles intègrent la problématique du genre dans le texte du nouveau décret. Finalement voté en 2021, le Décret, qui organise la formation initiale du corps professoral de tout l’enseignement obligatoire, inclut le genre au même titre que d’autres matières transversales comme l’éducation aux médias, à la citoyenneté, à la diversité et l’EVRAS. Le terme est explicité de manière exhaustive dans les définitions. Il n’est par contre mentionné que dans une seule des quatre compétences à développer chez les futur·es enseignant·es et n’apparaît, pour ce qui concerne les axes de formation devant guider l’élaboration des unités d’enseignement, que dans la formule lapidaire suivante: «Dans chacun des axes, une attention constante est portée au genre»[2].

En bref, le cours d’initiation à la diversité culturelle et au genre institué par le Décret de 2005 a été supprimé et remplacé par une exigence d’attention à cette dimension. Le refus d’imposer un contenu de cours s’inscrit dans la tendance actuelle d’évolution vers un enseignement de plus en plus libéral. La «liberté pédagogique» l’emporte sur les contraintes politiques. Se pose alors la question de savoir -étant donné que le Décret ne donne que des balises (référentiels) aux établissements d’enseignement-, ce qui convaincra ou motivera les équipes à inscrire le genre comme les autres matières transversales dans les cursus et les stages et surtout, si les formateurs et formatrices d’enseignant·es possèdent l’expertise nécessaire à cet effet.

La mise en œuvre du Décret en matière de genre dépendra donc moins de la volonté du législateur que de la sensibilisation effective de la communauté éducative (des Pouvoirs organisateurs, des enseignant-e-s, des conseiller-e-s, syndicats, fédérations étudiantes, de parents, etc.). Sans prise de conscience de ce que l’attention au genre et les connaissances en genre doivent faire partie des compétences de base des enseignant·es et sans la conviction que celles-ci sont une condition non seulement de justice sociale, mais aussi de qualité de l’enseignement, le risque est grand d’«oublier» le genre ou de considérer que d’autres problèmes requièrent plus d’attention. A cet égard, une convergence d’efforts s’impose: celle des organes publics (DEC[3] ainsi que la Cellule de soutien à la mise en œuvre de la réforme, le Comité Fe & sciences[4] et la Commission Genre de l’ARES[5]), avec l’associatif féministe et tous les progressistes qui agissent pour une société plus juste.

Nadine Plateau, Réseau «Genre et ESNU» de Sophia

Retrouvez la captation vidéo du webinaire «Mieux former les enseignant·es», avec Nadine Plateau, présidente de la commission Enseignement du Conseil des Femmes Francophones de Belgique et Marie-France Zicot, formatrice aux CEMÉA sur notre site et sur notre chaine YouTube      


Enfants CAPables de Garance asbl

Nous pouvons être victime d’une agression à tout âge. Une proportion significative d’enfants vit de la violence, parfois grave, qui peut nuire à leur développement et accroître leur vulnérabilité à l’âge adulte. Nous ne sommes pas à côté de nos enfants 24h sur 24, c’est pourquoi il est primordial de les munir d’outils concrets pour faire face à d’éventuelles agressions, qu’elles soient verbales, physiques ou sexuelles. Les adultes en contact avec des enfants ont également besoin d’outils pour pouvoir les soutenir dans ces situations. C’est pourquoi l’asbl Garance, active depuis plus de 20 ans dans la prévention primaire des violences basées sur le genre, a mis sur pied le programme Enfants CAPables. Le programme de prévention primaire de violence envers les enfants «Enfants CAPables» se base sur une approche pédagogique triple, incluant les parents, le personnel scolaire et les enfants. Ces ateliers sont dispensés au sein de l’école primaire et a pour objectif d’informer et de sensibiliser mais surtout d’accroître la confiance en soi et les ressources personnelles et collectives chez les enfants comme chez les adultes. Le message clé est que chaque enfant a le droit de se sentir fort·e, libre et en sécurité. Si quelqu’un·e lui enlève un de ces droits, l’enfant peut dire non, résister ou chercher de l’aide. Durant les ateliers, des jeux de rôles sont utilisés pour illustrer les situations les plus fréquentes de violences envers les enfants. L’enfant n’est à aucun moment mis·e dans une situation négative ou anxiogène et toutes les situations trouvent un dénouement positif. Si vous voulez bénéficier de ce programme dans votre école ou dans l’école de votre enfant, n’hésitez pas à contacter l’asbl Garance à l’adresse mail: info@garance.be

Plus d’infos: garance.be/spip.php?rubrique88 Enfants CAPables porte le label «EVRAS Jeunesse» et est subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles et par la COCOF.


[1] Décret du 7 janvier 2016 relatif à l’intégration de la dimension de genre dans l’ensemble des politiques de la Communauté française. [2] Sept axes: disciplinaire, didactique, pratique, pédagogique, en communication, en recherche, en maitrise de la langue française. [3] Direction de l’Égalité des Chances. [4] Comité Femmes & sciences. [5] Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur.    

 

déc 2022

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