Des conceptions différentes de la neutralité peuvent coexister

Jeudi 24 juin 2021

Muslim student wearing mask studying in a classroom

La Cour constitutionnelle défend le principe d’une conception plurielle de la neutralité dans l’enseignement.

On s’en souvient, la Cour avait à se prononcer sur la question préjudicielle de savoir si l’interdiction du port visible des signes convictionnels dans l’enseignement neutre, telle qu’elle est inscrite dans le règlement intérieur de la Haute École de la Ville de Bruxelles, viole la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme (voir Éduquer n°160 et 161). À cette question, la Cour constitutionnelle répond sans ambiguïté de façon négative. Plus précisément, dans son arrêt 81/2020 du 4 juin 2020, la Cour constitutionnelle considère que l’interprétation donnée à l’article 3 du décret de la Communauté française du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté française, consistant à interdire dans le règlement intérieur le port visible des signes convictionnels, «ne viole pas les articles 19, 23 et 24 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 2 du Premier Protocole additionnel à cette Convention» (Arrêt 81/2020, p. 41) Les parties demanderesses voient donc leur plainte rejetée. Examinons quelles sont les motivations de la Cour. Après avoir statué sur la recevabilité de la question préjudicielle, la Cour se prononce successivement sur les aspects concernant la légalité de l’interdiction, la liberté de l’enseignement et la neutralité de l’enseignement officiel, le droit à l’enseignement, l’égalité de traitement, la liberté de religion, la dignité humaine.

La recevabilité

À l’occasion de la discussion sur la recevabilité de la question préjudicielle, la Cour rappelle utilement plusieurs dispositions d’où il ressort que: a. La neutralité de l’enseignement est définie par le décret du 31 mars 1994 (définissant la neutralité de l’enseignement organisé par la Communauté française) et par le décret du 17 décembre 2003 (définissant la neutralité de l’enseignement public subventionné, c’est-à-dire, organisé par les communes et les provinces), mais un pouvoir organisateur public (ou privé) peut adhérer aux dispositions du décret du 31 mars 1994. Dans ce cas, les dispositions de ce décret sont d’application et celles du décret du 17 décembre 2003 cessent totalement de s’appliquer (Arrêt 81/2020, B.5.2, p. 16); b. Le décret du 31 mars 1994 stipule explicitement que la liberté dont jouissent les étudiant·e·s a pour «condition que soient sauvegardés les droits de l’homme, la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, et que soit respecté le règlement intérieur de l’établissement». D’où il ressort que les éventuelles restrictions requises par la neutralité ne s’appliquent pas seulement au personnel, mais également aux élèves (Arrêt 81/2020, B.6.2, p. 16). c. La Cour rappelle qu’elle n’est pas compétente pour contrôler directement si une norme législative respecte une convention internationale. «Toutefois, ajoute la Cour, lorsqu’une disposition conventionnelle liant la Belgique a une portée analogue à celle d’une des dispositions constitutionnelles dont le contrôle relève de la compétence de la Cour et dont la violation est alléguée, les garanties consacrées par cette disposition conventionnelle constituent un ensemble indissociable avec les garanties inscrites dans les dispositions constitutionnelles concernées. Il s’ensuit que, dans le contrôle qu’elle exerce au regard de dispositions constitutionnelles, la Cour tient compte des dispositions de droit international qui garantissent des droits ou libertés analogues» (Arrêt 81/2020, B.10.2, p. 18). En conséquence, l’arrêt de la Cour constitutionnelle s’appuiera autant sur la jurisprudence liée à la Convention européenne des droits de l’homme que sur la Constitution belge.

La légalité

L’article 24, § 5 de la Constitution dispose que «l’organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l’enseignement par la Communauté sont réglés par la loi ou le décret». Il résulte de ce principe que toute réforme touchant l’organisation, la reconnaissance ou le subventionnement de l’enseignement doit être réglée par décret. Mais en résulte-t-il que toute mesure d’un pouvoir organisateur pour assurer le bon fonctionnement de ses écoles ou la réalisation de leur projet pédagogique ait, également, à s’effectuer par décret? En d’autres termes, est-ce que le règlement d’ordre intérieur d’un établissement scolaire suffit pour interdire le port visible des signes convictionnels, ou un décret est-il nécessaire pour prendre cette mesure? La réponse de la Cour est sans ambiguïté: «Comme la Cour l’a jugé par son arrêt n°40/2011 du 15 mars 2011, le Constituant n’a pas voulu interdire aux pouvoirs organisateurs de l’enseignement d’adopter, en vue de garantir le bon fonctionnement de l’enseignement ou d’assurer la réalisation du projet pédagogique, des règlements d’ordre intérieur portant sur le comportement des élèves. En juger autrement impliquerait en effet que tous les comportements d’élèves et d’étudiants qui pourraient compromettre le bon fonctionnement de l’enseignement et la réalisation du projet pédagogique - comportements qui peuvent d’ailleurs changer selon les circonstances et l’époque - devraient être réglés par le législateur décrétal. L’article 24, §5, de la Constitution ne peut être interprété en ce sens qu’une ingérence dans un droit fondamental, dans un contexte d’enseignement, en vue de garantir le bon fonctionnement de l’enseignement et la réalisation du projet pédagogique d’une école, n’est possible que si cette ingérence fait l’objet d’une règle prévue par une norme législative» (Arrêt 81/2020, B.12.4, p.21). Le règlement intérieur d’un établissement scolaire établi par un pouvoir organisateur est donc parfaitement licite, même en cas d’ingérence dans un droit fondamental.

La liberté de l’enseignement et la neutralité de l’enseignement officiel

a. La liberté de l’enseignement La Cour constate que la liberté de l’enseignement fait l’objet de certaines restrictions pour les pouvoirs publics: l’enseignement de la Communauté doit être neutre, il doit respecter les conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents; les écoles publiques doivent offrir jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle (Arrêt 81/2020, B.14.1, 22 – 23). Par ailleurs, même si la Constitution ne dispose pas explicitement que l’enseignement organisé par les communes et les provinces doit être neutre, ces dernières doivent respecter le principe général de la neutralité qui incombe à toute autorité publique, laquelle implique l’interdiction des discriminations et le respect de l’égalité des usagers. (Arrêt 81/2020, B.14.2, p. 23). b. La neutralité La Cour s’appuie sur le commentaire associé au concept de neutralité formulé lors de la révision constitutionnelle du 15 juillet 1998 qui en précise le sens: «L’enseignement neutre ne se limite pas à l’instruction, mais s’étend également à l’éducation de la personnalité entière. Une école neutre respecte toutes les opinions philosophiques, idéologiques et religieuses des parents qui lui confient fonde sur une reconnaissance et une appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes et, la dépassant, met l’accent sur les valeurs communes. Un tel enseignement veut aider et préparer les jeunes à entrer dans notre société avec un jugement et un engagement personnels. C’est seulement dans cet esprit qu’on traitera les problèmes controversés. La mise en œuvre d’une telle neutralité est étroitement liée au projet éducatif et aux méthodes pédagogiques. Elle pourra par conséquent évoluer différemment dans les Communautés» (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n°100-1/1°, pp.2-3; cité in Arrêt 81/2020, B.17.2). Par ailleurs, le législateur n’a pas voulu figer la notion de neutralité et l’a, au contraire, envisagée comme évolutive: «Il ne faut pas perdre de vue que les circonstances sociologiques évoluent et qu’il n’est donc pas indiqué de clicher certaines notions» (Doc. parl., Sénat, S.E. 1988, n°100-1/2°, p.64; cité in Arrêt 81/2020, B.17.2). Il ressort de ces différents textes, que le législateur a considéré que l’obligation pour la Communauté d’organiser un enseignement neutre constituait une garantie pour le libre choix des parents. «La neutralité que les autorités doivent rechercher, relève la Cour, sur le plan philosophique, idéologique et religieux en vue de l’organisation de l’enseignement communautaire leur interdit plus précisément de défavoriser, de favoriser ou d’imposer des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses. La neutralité suppose donc, comme on peut le lire dans la note explicative du Gouvernement relative à la révision constitutionnelle de 1988, «une reconnaissance et une appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes» - du moins en ce qu’il ne s’agit pas d’opinions constituant une menace pour la démocratie et les droits et libertés fondamentaux - ainsi qu’un «accent sur les valeurs communes» (Arrêt 81/2020, B.17.5, p. 27). La neutralité telle qu’elle est envisagée, commente la Cour, n’est pas seulement une neutralité d’abstention. Elle peut devenir dans certaines circonstances, «une obligation positive, découlant de la liberté de choix des parents, d’organiser l’enseignement de telle manière que «[la] reconnaissance et [l’]appréciation positives de la diversité des opinions» et l’accent sur les valeurs communes» ne soient pas compromis» (Arrêt 81/2020, B.17.6, p. 27). La Constitution (ou le décret sur la neutralité) n’instaure pas en soi une interdiction du port visible des signes convictionnels, mais elle n’empêche pas l’instance compétente, lorsqu’elle établit le règlement d’ordre intérieur, de décider de l’opportunité ou non de procéder à cette interdiction, compte tenu des circonstances, pour garantir la reconnaissance et l’appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes, dans le but de mettre l’accent sur les valeurs communes. D’où la conclusion de la Cour: «Dès lors que le Constituant n’a pas conçu la neutralité de l’enseignement communautaire comme une notion statique et compte tenu des obligations positives résultant de cette neutralité, la disposition en cause, qui se borne à permettre à l’instance compétente pour établir le règlement intérieur d’un établissement d’enseignement de prévoir, le cas échéant, dans ce règlement, l’interdiction mentionnée dans la question préjudicielle, n’est pas contraire à l’article 24, §1er, alinéa 3 , de la Constitution, ni au principe de la neutralité de l’autorité publique, applicable à l’enseignement organisé par les administrations décentralisées, lu en combinaison avec la liberté d’enseignement, telle qu’elle est garantie par l’article 24, §1er, alinéa 1er, de la Constitution. Dans le contexte de l’enseignement, ce principe a en effet une portée analogue à celle de la notion de neutralité contenue dans l’article 24, §1er, alinéa 3, de la Constitution» (Arrêt 81/2020, B.18.3., p. 28).

Le droit à l’enseignement, l’égalité dans l’enseignement et la liberté de religion

L’arrêt de la Cour fait deux observations qui la conduisent à s’appuyer conjointement sur la jurisprudence de la Cour européenne et sur la Constitution: - la Cour considère que les paragraphes 3 et 4 de l’article 24 de la Constitution et l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ont une portée analogue. Dans cette mesure, la Cour considère que ces dispositions forment un ensemble indissociable dont elle tient compte; - la Cour fait une observation comparable en ce qui concerne le droit de religion. Elle observe que l’interdiction du port visible des signes convictionnels, relativement au respect des libertés et droits fondamentaux, intéresse en particulier la liberté de religion. Elle constate que l’article 19 de la Constitution et l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme ont une portée analogue. En conséquence de quoi, la Cour considère que ces dispositions forment un ensemble indissociable. La Cour constitutionnelle retient de la jurisprudence de la Cour européenne que le droit de manifester ses convictions peut faire l’objet de restrictions, moyennant le respect de certaines conditions: «Alors que le droit d’avoir des convictions religieuses (forum internum) est absolu, le droit de manifester sa foi religieuse (forum externum) peut être soumis à des restrictions, dans les limites fixées par l’article 9, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme» (Arrêt 81/2020, B.22.2, p. 30). Quelles sont ces conditions? - L’ingérence doit être prévue par une loi; - elle doit poursuivre un des objectifs suivants: la sécurité publique, la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou encore, la protection des droits et libertés d’autrui; - elle doit être nécessaire dans une société démocratique (c’est-à-dire répondre à un besoin social impérieux); - elle doit être proportionnée aux objectifs visés. La Cour considère que l’ensemble de ces conditions sont respectées. - L’ingérence trouve une base légale suffisante dans l’article 24 de la Constitution et le décret du 31 mars 1994. - En ce qui concerne l’objectif visé, la Cour rappelle qu’il consiste à viser «un environnement éducatif totalement neutre». Etant donné que le législateur a considéré la notion de neutralité comme évolutive, il en déduit que peuvent coexister différentes conceptions de la neutralité et qu’il ne lui appartient pas de privilégier l’une ou l’autre conception: «La notion de ‘neutralité’ n’étant pas conçue de manière statique par la Constitution, il faut en déduire que différentes conceptions de la «neutralité» peuvent être compatibles avec ce prescrit. Il n’appartient pas à la Cour de privilégier une conception de la «neutralité» par rapport aux autres conceptions envisageables. En l’espèce, l’autorité compétente pour adopter le règlement intérieur en cause devant la juridiction a quo veut créer «un environnement éducatif totalement neutre», interprété par cette autorité comme un environnement dans lequel les étudiants ne sont exposés à aucune tentative d’influencer leurs opinions ou convictions politiques, philosophiques et religieuses. L’interdiction, pour les étudiants, de porter des bijoux, insignes et vêtements, en ce compris les couvre-chefs, qui reflètent une opinion ou une appartenance politique, philosophique ou religieuse, est envisagée comme une mesure visant, selon le projet pédagogique basé sur une conception déterminée de la neutralité de l’enseignement officiel, à protéger l’ensemble des étudiants contre la pression sociale qui pourrait être exercée par celles et ceux, parmi eux, qui rendent leurs opinions et convictions visibles» (Arrêt 81/2020, B.24.2, p. 33). La Cour en déduit que l’ingérence dans le droit de religion vise certains objectifs repris dans l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme: «Il peut être admis que cette ingérence, autorisée par la disposition en cause, dans la liberté de religion poursuit les objectifs relatifs à la protection des droits et libertés d’autrui et à la protection de l’ordre public mentionnés à l’article 9, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme» (Arrêt 81/2020, B.24.3, p. 33). La Cour rappelle que la liberté de conscience et de religion ne garantit pas, en toutes circonstances, de pouvoir se comporter selon les prescriptions religieuses ou ses convictions. Par ailleurs, déclare la Cour, «il peut se révéler nécessaire, dans une société démocratique où plusieurs religions et convictions coexistent, d’assortir de restrictions la liberté de manifester ses convictions en vue de concilier les intérêts de divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun» (Arrêt 81/2020, B.25.2, p. 34). Et d’ajouter: «Le pluralisme et la démocratie doivent s’appuyer sur le dialogue et sur un esprit de compromis, qui requièrent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique» (idem). Par ailleurs, déclare la Cour, «il peut se révéler nécessaire, dans une société démocratique où plusieurs religions et convictions coexistent, d’assortir de restrictions la liberté de manifester ses convictions en vue de concilier les intérêts de divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun» (Arrêt 81/2020, B.25.2, p. 34). Et d’ajouter: «Le pluralisme et la démocratie doivent s’appuyer sur le dialogue et sur un esprit de compromis, qui requièrent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique» (idem). L’autorité publique doit se montrer neutre et impartiale, elle doit s’abstenir d’apprécier la légitimité des convictions. De ce point de vue la Cour considère que l’interdiction du port visible des signes convictionnels ne fait pas de distinction fondée sur la nature des convictions et ne fait pas naître une différence de traitement. La Cour en déduit la conclusion suivante: «L’interdiction que la disposition en cause permet d’instaurer ne saurait être  qualifiée de mesure par laquelle l’autorité publique se montre partiale vis-à-vis des différentes convictions présentes dans la société, quand bien même une telle interdiction pourrait être perçue par certaines personnes qui adhèrent à certaines de ces convictions comme une restriction plus grave que par d’autres élèves ou étudiants» (Arrêt 81/2020, B.25.4, p. 35). Si la neutralité requiert à certains égards une attitude d’abstention des autorités publiques, elle entraine aussi des obligations positives, qui peuvent prendre la forme d’interdictions, pour que «la reconnaissance et l’appréciation positives de la diversité des opinions et des attitudes» et pour que «l’accent [mis] sur les valeurs communes» ne soient pas compromis (Arrêt 81/2020, B.25.5, p. 35). Cette interdiction peut viser le bon déroulement du projet d’enseignement, comme avoir pour visée «l’objectif qui consiste à protéger les élèves ou les étudiants qui ne souhaitent pas rendre leurs convictions visibles contre la pression sociale qui pourrait être exercée sur eux par les personnes qui souhaitent rendre leurs convictions visibles» (Arrêt 81/2020, B.25.6, p. 36). - La Cour considère que l’interdiction du port visible des signes convictionnels est motivée par un besoin social impérieux, «à savoir la mise en œuvre d’un projet pédagogique trouvant son fondement dans une conception déterminée de la neutralité de l’enseignement officiel qui n’est pas incompatible avec la notion constitutionnelle de neutralité» (Arrêt 81/2020, B.25.8, p. 36).

La dignité humaine

À la question de savoir si l’interdiction du port visible des signes convictionnels prévue dans le règlement intérieur de la Haute École de la Ville de Bruxelles, contrevenait à l’article 23 de la Constitution qui dispose que «chacun a droit de mener une vie conforme à la dignité humaine», la Cour observe que le législateur compétent peut imposer des limites aux droits énoncés dans l’article 134 de la Constitution, à savoir les droits économiques, sociaux et culturels, pour peu que ces restrictions ne soient ni introduites sans nécessité, ni de telle manière que leurs effets soient disproportionnés avec le but poursuivi. La Cour considère, pour les raisons développées dans l’arrêt, que cette limitation est raisonnablement justifiée, pour des motifs d’intérêt général (Arrêt 81/2020, B. 30.2. et B.31, p. 39 et 40).

En guise de conclusion

La Cour constitutionnelle insiste dans son arrêt sur le caractère évolutif de la notion de neutralité. Ce caractère évolutif, voulu par le législateur pour tenir compte du fait que la société elle-même évolue, a pour conséquence qu’il peut exister différentes conceptions de la neutralité. À ce titre, la neutralité participe au libre choix des parents et conduit à une diversité de l’offre d’enseignement public. La neutralité, quelle qu’en soit la forme et l’étendue, caractérise l’enseignement officiel. Les décrets sur la neutralité du 31 mars 1994 et du 17 décembre 2003 ainsi que la Constitution elle-même, nous avaient déjà appris que la neutralité pouvait se définir de différentes manières. L’arrêt de la Cour nous montre à présent qu’un même décret, en l’occurrence celui du 31 mars 1994, pouvait lui-même faire l’objet de différentes interprétations légitimes Pour les pouvoirs organisateurs de l’enseignement public, la neutralité est d’abord une contrainte qui s’exerce sur leur liberté d’enseignement. Cette contrainte est une différence objective qui distingue l’enseignement officiel de l’enseignement confessionnel, sur lequel ne s’exerce pas cette contrainte et qui permet à ce dernier, assez paradoxalement, de se dire «libre», bien qu’il soit soumis à la direction de l’église. La contrainte qui pèse sur la liberté d’enseignement de l’école officielle requiert de celle-ci, le plus souvent, une attitude, sinon d’abstention, du moins de réserve, et d’impartialité. Mais elle peut également conduire le pouvoir organisateur à prendre des mesures contraignantes, pour préserver le caractère neutre, la cohérence du projet éducatif et le pluralisme des opinions que toute école officielle abrite. La liberté de religion fait l’objet d’une distinction entre le for intérieur (la liberté de conscience) et le for externe (l’expression des convictions). Alors que la première est absolue, la seconde est seulement relative et peut faire l’objet de restrictions, pour peu que ces restrictions soient justifiées. La Cour constitutionnelle considère dans son arrêt que la volonté de créer un «environnement éducatif totalement neutre» est une justification suffisante pour interdire le port visible des signes convictionnels. Dans le chef des élèves, cette interdiction suppose d’accepter de faire les concessions «qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique» (Arrêt 81/2020, B.25.2, p. 34).  

Patrick Hullebroeck, directeur

juin 2021

éduquer

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