Dernière chronique (inter)culturelle avant la prochaine: "La carte d’identité, d’iditenté, d’idétitan"

Lundi 25 mai 2020

Je me souviens - c’était il y a déjà deux ans - quand, avec la naïveté des ploutocrates version middle class, sourire aux lèvres, j’ai prononcé cette phrase devant ses grands yeux noirs ébahis: «Maiiiiis non, pas de soucis, t’inquiète pas, on va régler ce problème de carte d’identité en quelques semaines». Deux ans plus tard, je suis là, elle toujours à mes côtés, devant le centre administratif De Brouckère. Entre les deux, un parcours digne d’Astérix et Obélix dans la maison qui rend fou, du «Contrôleur général adjoint des affaires non transmises» au laissez-passer A-38. C’est drôle comme en tant que belge simple - basique, si l’idée de devoir faire des démarches administratives me hérissait certes légèrement l’avant-bras, j’étais à mille lieux d’imaginer les aventures incroyables et rocambolesques que vivaient plus d’un·e bruxellois·e sur trois. «Mais madame est belge, madame doit apprendre qu’elle a des responsabilités et des devoirs dorénavant. Madame doit prendre un avocat et demander un changement de prénom.» «Je vois que madame s’est mariée, madame a même divorcé… elle n’a jamais remarqué ce soucis avant? C’est quand même spécial ça»... Entre chaque rendez-vous, chaque explication, formulaire à remplir, le même regard en coin effrayé, là où à sa place, j’aurais probablement lancé un «Je te l’avais dit, sale petite fille gâtée qui ne connait rien de la vie». Mais non, à situation absurde, réponse absurde: c’est elle qui me rassure en me disant «T’inquiètes pas, c’est pas grave, ça fait déjà longtemps». Ce côté «décalé», «l’absurde» que l’on revendique, que l’on brandit comme étendard, à tour de bras, en Belgique, m’a donné la nausée. En dépit de la présence du certificat de naissance officiel, il nous fut demandé d’en apporter un nouveau: «Parce que vous voyez, on n’a jamais vu ça ici non mais franchement» et qu’à l’argument: «Vous avez vu les informations, ma ville a été rasée hier...», nous n’avons reçu qu’un indigné «Oh mon dieu, oui j’ai vu ça au journal parlé, c’est horrible oui, mais on ne peut rien faire là madame, il nous faut le papier»... Quant à ma question: «Et on fait quoi?», elle ne reçut qu’un «Ha ben ça, je peux pas vous dire moi». Comment pouvions-nous espérer quelque humanité dans un bureau où la cheffe de service s’est fendu d’un «Ma pauvre Marie-Paule, ça fait 28 ans que tu travailles ici et tu ne sais toujours pas imprimer ce papier, décidément tu ne sers vraiment à rien», teinté de mépris envers sa collègue. Je me vois encore, grand sourire, goguenarde, quand; deux ans auparavant, elle m’a annoncé: «Je n’ai pas de prénom sur ma carte d’identité, c’est vide. Il y a eu un problème à la commune mais personne veut changer ça pour moi.»

Pauline Laurent, formatrice au secteur interculturel de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente Illustration: Pauline Laurent Dans le cadre de ses missions de Cohésion sociale, l’équipe du secteur Interculturel de la Ligue donne des cours de français à des adultes dans 6 communes bruxelloises. Ces cours sont un lieu d’apprentissage mais aussi et surtout un lieu de rencontres. L’équipe partagera donc régulièrement des petites tranches de vie glanées au fur et à mesure de ces rencontres... Avec légèreté, une pointe de second degré et d’humour et une grande dose d’humanité!

mai 2020

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