De l’absolue nécessité d’une formation au développement de l’esprit critique inclue dans la formation initiale des enseignant·e·s.

Lundi 9 novembre 2020

Alors qu’un avant-projet de décret modifiant le décret du 7 février 2019 définissant la formation initiale des enseignant·e·s est actuellement en première lecture au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous y constatons l’absence de cours de philosophie et de citoyenneté en tant que compétence nécessaire pour faire face aux situations de remises en cause des savoirs et des valeurs qui fondent la société démocratique et ce dans toutes les disciplines.

Il nous parait urgent que la formation initiale et continue des enseignant·e·s l’intègre et permette véritablement aux futur·e·s enseignant·e·s de toutes les disciplines d’être en mesure de développer quotidiennement et sans crainte les valeurs qui fondent le socle commun de la vie en société, notamment le droit à la liberté d’expression, de conscience, le droit de croire ou de ne pas croire, l’égalité des sexes, le respect de l’État de droit, tout ce que garantit la laïcité.

Trois semaines après l’ouverture du procès de l’attentat de la rédaction de Charlie Hebdo, le vendredi 16 octobre 2020, le terrorisme islamiste frappe une nouvelle fois la France. À Conflans, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, est assassiné en pleine rue pour avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves lors d’un cours sur la liberté d’expression dans le cadre du programme scolaire. À Nice, le 29 octobre, dans un contexte international tendu entre la France, la Turquie et plusieurs pays musulmans, un sacristain et deux femmes sont sauvagement assassiné·e·s par un jeune homme âgé de 21 ans dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption. Ces assassinats surviennent après un trop long cortège funèbre d’attentats qui ont frappé la France: l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse, Charlie Hebdo, le Bataclan, des terrasses de café à Paris, l’Hyper casher, le prêtre Hamel dans son église, la promenade des Anglais à Nice, le marché de Noël à Strasbourg, la rue Appert le 25 septembre 2020. Et en Belgique: le Musée Juif de Bruxelles, le 24 mai 2014, le métro de Bruxelles et l’aéroport de Zaventem, le 22 mars 2016, Liège, le 29 mai 2018 . D’autres pays, européens et partout dans le monde, ont été aussi durement frappés. Les exécutants sont jeunes, natifs ou non mais empreints de radicalisme religieux. Dans les classes, les professeur·e·s sont souvent bien démuni·e·s pour aborder cette actualité ou enseigner des savoirs qui ne correspondent pas aux croyances des élèves, croyances exacerbées et manipulées par les réseaux sociaux. Face à l’agressivité manifestée sous de multiples formes allant jusqu’aux menaces ou au refus silencieux dans le meilleur des cas, il est urgent de venir en aide au monde enseignant. Ce n’est pas par la violence que la paix reviendra, mais par l’éducation. Après l’assassinat du professeur Samuel Paty, le Centre d’Action Laïque a rappelé une nouvelle fois la nécessité d’être uni·e·s autour de valeurs communes, démocratiques et respectueuses des droits et libertés de chacun·e. C’est l’une des missions prioritaires de l’enseignement obligatoire: préparer tou·te·s les élèves à être des citoyen·ne·s responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste, respectueuse de l’environnement et ouverte aux autres cultures (Décret Missions/Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire). Si l’école doit permettre à tou·te·s les élèves d’acquérir des connaissances et de développer des compétences, celles-ci ne peuvent se limiter, se restreindre aux seuls contenus disciplinaires. Une telle approche met inévitablement en péril les autres missions de l’école. Elle ne permet pas la construction, le développement d’un·e citoyen·ne critique et responsable, ne garantit pas l’émancipation sociale des élèves. Le développement de l’esprit critique, la capacité à construire une pensée autonome, argumentée et cohérente, la faculté de reconnaître la diversité des valeurs, des normes, des convictions et des cultures, l’habilité à distinguer les opinions, les croyances et les savoirs doivent, plus que jamais, être au cœur des pratiques scolaires. Seules ces compétences permettront de lutter véritablement contre l’intolérance et la violence aveugle et garantiront la liberté d’expression. Une telle ambition ne pourra se concrétiser qu’en soutenant les enseignant·e·s, en les outillant dans le cadre de leurs formations initiale et continue.

Thomas Herremans, Président de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente de Liège  

nov 2020

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