Constellations: la Grande Ourse ressemble-t-elle à une grande ourse?

Mercredi 9 mai 2018

En vacances dans des lieux où le ciel nocturne est encore suffi samment riche  en étoiles, j’ai souvent l’occasion de montrer les étoiles à des ami.e.s curieux.ses d’apprendre le nom des étoiles et des constellations: la Grande Ourse, le Cygne, la Lyre, Andromède, Pégase… On me dit alors souvent: «Ces Anciens, alors, ils hallucinaient! Franchement, tu vois vraiment une ourse, là? Un cygne à la rigueur,  mais une lyre, une princesse d’Éthiopie, un  cheval ailé?». Et on se moque de l’imagination un peu naïve des Grecs 1. Je dois bien reconnaître qu’en effet, je ne vois pas vraiment de princesse. Et pourtant, c’est ce que j’essaierai d’expliquer ici, placer Andromède à cet  endroit du ciel avait sans doute du sens pour une civilisation aujourd’hui disparue.

Petite histoire des constellations

On appelle «constellation» un groupe d’étoiles dessinant une forme suffisamment frappante pour qu’une civilisation la nomme d’après un animal, un personnage ou un objet à qui il ressemble: les étoiles du Scorpion, par  exemple, forment un ensemble qui évoque irrésistiblement cet animal, et sont ainsi nommées depuis l’époque sumérienne (il y a plus de 4000 ans)2. En Occident, nos constellations actuelles sont essentiellement l’héritage de la Grèce Antique, notamment de Ptolémée, qui les a cataloguées il y a presque 2000 ans. Ces 48 constellations de la science méditerranéenne ont été enrichies par une quarantaine d’ajouts du XVII siècle, qui couvrent  certaines zones pauvres en étoiles brillantes ainsi que le ciel de l’Hémisphère Sud, inconnu des Grecs. Enfin, le tout a été précisément fixé par les astronomes modernes en 1930. Ainsi, de même que l’Europe est divisée en  51 pays, tout le ciel est divisé  en 88 constellations officielles reconnues par les astronomes du monde entier. Notons que nous savons depuis longtemps maintenant qu’une constellation donnée, comprenant des étoiles de tailles et de distances variées, est le fruit de simples effets de perspective: vu d’une planète extra-solaire située à quelques dizaines d’années-lumière 3, le Scorpion ressemblerait peut-être à un porc-épic, une tulipe ou un  écureuil, ou plus probablement, à rien de tout cela. Le  Scorpion n’est scorpionesque, en somme, que pour la minuscule partie de l’Univers où nous habitons.

Les Anciens sont-ils naïfs?

Une dizaine de constellations possèdent des formes vraiment frappantes. Orion figure en effet un géant musclé, épée à la ceinture. Le Cygne au long cou semble réellement voler au zénith un soir d’août. Et ma préférée, le  Dauphin, qui en  six étoiles (belle économie de moyens) évoque la grâce légère de cet animal. En revanche, beaucoup d’autres laissent perplexes tant elles ne s’apparentent pas aux personnages annoncés: ainsi par exemple  Cassiopée, qui ressemble à un W plus qu’à une reine d’Ethiopie, ou la célèbre Grande Ourse, qui rappelle plutôt une casserole. La palme de la déception revient peut-être à Andromède: en lieu et place d’une belle princesse orientale, on ne trouvera qu’un simple alignement de quatre étoiles peu remarquables, qu’on aurait  alignement de quatre étoiles peu remarquables, qu’on aurait  pu aussi bien  pu aussi bien  baptiser «clochette» ou «Canal» selon l’humeur du moment. Concernant la Grande Ourse, il faut y réfléchir à deux fois avant de  déclarer qu’il n’y a pas de ressemblance avec l’animal: car de façon troublante, on sait que plusieurs civilisations anciennes  voient effectivement un ours à cet endroit du ciel. Peut-être, après tout, ne sommes-nous plus assez familier.e.s de cet animal vénéré par les Indiens d’Amérique (et sans doute d’autres peuples aujourd’hui disparus) pour comprendre en profondeur cette similitude. Mais en ce qui concerne Andromède, il faut se  rendre à l’évidence: ces quatre étoiles alignées ne peuvent vraiment pas faire penser à une des plus belles femmes de la mythologie grecque.  Pourtant, dire que les Anciens ont une «imagination naïve» m’attriste; car cela témoigne, me semble-t-il, d’une méconnaissance  de la richesse de la mythologie et du rôle capital du ciel m’attriste; car cela témoigne, me semble-t-il, d’une méconnaissance de la richesse de la mythologie et du rôle capital du ciel nocturne pour les nocturne pour les  Anciens. De plus, ce jugement contribue à l’illusion tenace suivant laquelle l’intelligence et la rationalité de notre espèce augmentent  avec le temps, moyennant quoi  les peuples médiévaux étaient naïfs et enfantins, et les Hommes de l’âge de pierre quasi-stupides. Au contraire, comme nous allons voir, nommer les constellations d’après des personnages mythiques, même sans ressemblance, me semble être une remarquable preuve d’intelligence pratique.

Apprendre le ciel grâce à Persée et Andromède…

En effet, pendant des centaines d’années, connaître le ciel était un atout important, notamment pour les navigateur.trice.s, mais aussi pour les agriculteur. trice.s.  Pour les premier.e.s, le ciel nocturne permettait non seulement de trouver les points cardinaux, mais également d’estimer la latitude et la durée  d’une traversée nocturne. Pour  les second.e.s, l’observation du ciel  permettait d’établir un calendrier des tâches agricoles. seulement de trou cardinaux, mais d’estimer la latitude et la durée d’une traversée nocturne. Pour les second.e.s, l’observation du ciel permettait d’établir un calendrier des tâches agricoles 4. On comprend alors l’importance de répertorier et nommer le plus grand nombre de régions du ciel, aussi importante, au fond, que de nommer les mers, les îles et les rivières. À titre d'exemple, regardons de plus près l’histoire de six constellations d’automne, qui toutes sont «très peu ressemblantes»: Persée, Cassiopée, Céphée, Andromède, Pégase, la Baleine. Cette zone peu peuplée en étoiles   ne présentait pas de structure très frappante, et les quelques ensembles d’étoiles qu’on peut y trouver n’avaient probablement pas été baptisées par les Mésopotamiens - du moins, si des noms ont été donnés, les Grecs ne les ont pas repris. 5 Les Grecs ont alors placé dans cette région du ciel tous les principaux personnages d’un fragment de leur mythologie, l’histoire du sacrifice d’Andromède: «Il était une fois Cassiopée, la reine d’Égypte, qui un jour ose comparer sa  beauté à celle des nymphes marines.Quelle arrogance! Poséidon se fâche  et envoie une créature marine (la Baleine) ravager les côtes du pays. Pour calmer le courroux du dieu de la mer, le roi Céphée n’a d’autre choix que  de sacrifier leur fille Andromède, qui sera livrée enchaînée au monstre marin. Mais arrive le héros Persée,montant  Pégase le cheval ailé. Iltue la baleine (grâce à son épée et au regard pétrifiant de la tête de la Méduse qu’il  vient de couper)et sauve Andromède.». Voici ce qu’on racontait peut-être à un enfant en lui montrant, un soir d’automne, un semis d’étoiles moyennement brillantes qui devient ainsi une sorte de «diorama de la geste antique.»6

… Ou grâce à Nelson Mandela et la Vierge Marie 

Quelle belle trouvaille pédagogique! On ne peut imaginer meilleure idée pour apprendre le ciel que d’y associer des histoires mythiques, partagées par toutes et tous! Grâce à ces repères puisant dans l’imaginaire commun, chacun peut retrouver ses marques dans le ciel nocturne. Si de nos jours, on devait nommer des constellations dans le but vital de les faire apprendre au plus grand nombre, on trouverait excellente l’initiative de choisir des héros (réels ou non, peu importe) de la mythologie moderne: au lieu de Persée, Céphée, Cassiopée et Andromède, on pourrait penser à Luke Skywalker, Nelson Mandela, la Vierge Marie ou Angelina Jolie. Même si cela n’a sans doute pas mis en place  consciemment ni de façon organisée, cette démarche grecque de  placer dans le ciel des personnages ou des objets peut donc  être vue comme un moyen mnémotechnique astucieux pour permettre un apprentissage  important. Vu ainsi, il n’est pas si gênant  que les constellations ne ressemblent pas aux personnages annoncés.  Les Grecs voyaient peut-être ces constellations  simplement comme une sorte de  signalétique: ils ont donné des noms  poétiques et faciles à mémoriser à quelque chose qui ne  ressemblait à rien. Après tout, notre civilisation également donne de jolis noms, à des personnes par exemple, sans souci de ressemblance. Monsieur  Loiseau aime-t-il voler, Madame Rose cueille-t-elle des fleurs mauves? Peu importe. Ces noms nous permettent simplement de savoir de qui on parle - bref, de s’y retrouver.

Plus durable que le GPS

Naïfs, les Grecs? Finalement,  il me semble que ce sont nous, modernes ayant perdu de vue l’utilité du ciel nocturne et la puissance évocatrice des mythes populaires, qui sommes bien terre-à-terre de vouloir  systématiquement chercher des ressemblances dans toutes les constellations,  et à prendre les Anciens (Grecs,  Mésopotamiens, Hommes de l’âge de pierre)  pour des enfants. Cette profusion de héros et d’animaux plus  ou moins fantastiques dans le ciel, ce n’est pas de la naïveté, ni du manque de discernement, mais plutôt une tentative réussie  de donner du sens au monde en faisant appel à la mémoire et à l’imagination. En choisissant d’associer leurs mythes locaux à des alignements d’étoiles, une civilisation  a permis de mettre en place un moyen performant de  localisation, moins précis peut-être, mais infiniment plus  robuste et durable que les horloges atomiques et le GPS.

François Chamaraux, enseignant en physique et mathématiques

1. Lu, par exemple, sur http:// monglane.a2co.org/chouettcorbeau.htm: «Apollon, ulcérpar son mensonge, les projetatous trois dans le ciel où, avec lanaïve imagination des Ancienson peut voir l’Hydre, à l’est, empêcher le Corbeau d’atteindrla Coupe…». 2. J.H. Rogers, Origins of the ancientconstellations: the Mediterraneantradition, consultable sur http://adsabs.harvard.edu/ full/1998JBAA..108...79R 3. Une année-lumière correspondà environ dix mille milliards de km, mais cette distance reste très petite à l’échelle del’Univers. 4. Le terme canicule est dérivé dulatin canis, le chien. Vers l’an-1000, lorsque l’étoile Sirius (constellation du Grand Chien)se levait avec le soleil, on étaiten juillet, et de fortes chaleursrisquaient de survenir. 5. J.H. Rogers, op. cit. 6. J.H. Rogers, op. cit.

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