Si les différents réseaux d’enseignement travaillent de plus en plus conjointement à réformer l’école, ils n’en restent pas moins des concurrents sur le marché scolaire.
Dans ce dossier, nous avons eu l’occasion de nous adresser aux responsables de la FELSi, du CPEONS et de WBE. Dans ce dernier article, il nous a semblé pertinent de questionner les différents réseaux sur leur vision de l’école de demain. Depuis quelques années, l’école fait face à plusieurs constats alarmants comme la pénurie des enseignant·e·s, un système scolaire profondément inégalitaire avec l’un des plus hauts taux de redoublement d’Europe et une relégation très importante des élèves. Que proposent-ils en termes d’enseignement et de mixité? Quelle stratégie de séduction adoptent-ils face aux parents et à leur libre choix?
Autonomie pédagogique
Chaque intervenant souligne que le travail réalisé par le pouvoir régulateur qu’est la Communauté française pour réformer le système scolaire est de qualité et va dans la bonne direction, même si sur le terrain, toutes les écoles n’y adhèrent pas forcément. «Clairement, les plans de pilotage sont moyennement appréciés par les écoles de la FELSI, explique Michel Bettens, secrétaire général de la FELSI. Les directions et les enseignants ont l’impression que ça va mettre à mal leur liberté pédagogique. Au niveau de la FELSI, on se bat avec certains PO pour faire comprendre que non. Personnellement, je suis d’un avis totalement opposé. Je pense qu’il est légitime de la part du pouvoir régulateur, qui met énormément d’argent public dans l’enseignement, d’exiger à un moment donné de rendre des comptes et de montrer comment cet argent a été utilisé de manière efficace pour obtenir des résultats». Toutefois, chaque réseau tient fortement à son autonomie notamment en matière de méthodes pédagogiques, comme le rappelle notamment Sébastien Schetgen (CPEONS). «L’autonomie des réseaux, j’ajouterai des Pouvoirs organisateurs, en matière de méthodes pédagogiques est essentielle pour qu’une instance organisatrice d’enseignement puisse s’emparer de la question pédagogique, des spécificités qu’elle aura à y verser, de sa culture et de son histoire. Le corollaire de cela, c’est la nécessité de travailler avec des cadres et des référentiels communs, établis par le pouvoir régulateur qui assure à son tour la stabilité et la cohérence du système».
Une diversité en matière d’enseignement
Selon Michel Bettens, les réseaux sont parvenus à proposer une diversité en matière d’enseignement et cela ne doit pas forcément changer. «Aujourd’hui, quand une école se créée, quel que soit le réseau, elle se revendique de pédagogie active. C’est très à la mode. On a l’impression que si on ne le disait pas, l’école serait taxée de pédagogie inactive ou passive, ce qui n’a aucun sens. Il y a une culture de la pédagogie active qui existe depuis fort longtemps et qui fait probablement sa spécificité. Dans d’autres réseaux, il y a d’autres spécificités. Je pense que la richesse se trouve dans cette diversité. Le fait qu’il y ait des choses différentes qui puissent être proposées et qui répondent aux besoins des enfants, cela me semble important. Si vous avez un seul réseau avec un seul pouvoir organisateur qui gère l’ensemble, il va probablement adopter un type de pédagogie, qu’il va considérer comme étant la pédagogie la plus adaptée pour une majorité d’élèves… Mais la plus adaptée pour une majorité d’élèves, cela ne signifie pas la plus adaptée pour tous les élèves. Je ne suis pas occupé à vous dire que les pédagogies alternatives sont la panacée et qu’elles conviennent merveilleusement bien à tous les enfants. Il y a des enfants à qui ça convient très bien et d’autres qui ont besoin de règles probablement mieux définies, d’un cadre plus strict, à qui il ne faut pas donner trop d’autonomie, en tous cas pas dans un premier temps».
Quelle mixité dans les réseaux?
Du côté de l’enseignement organisé par la Communauté française, à savoir WBE, l’accent est mis sur la capacité de ce «presque réseau» à adapter en permanence son offre face aux enjeux de société. «Ma vision pour WBE, c’est de continuer à développer un PO performant qui offre aux familles qui nous confient leurs enfants, adolescents, adultes, des perspectives à la fois sur le plan des valeurs et sur le plan de la formation. Notre priorité reste d’offrir un service éducatif de qualité et performant qui leur permet de devenir les adultes responsables de demain. Tout cela passe par des réflexions permanentes sur nos processus et sur nos manières de fonctionner afin de voir ce que l’on peut encore améliorer pour l’avenir». Pour Michel Bettens (FELSI), ce sont les méthodes pédagogiques alternatives proposées par la FELSI qui attirent les parents vers son réseau. «Les écoles de la FELSI offrent un projet pédagogique qui est fort et on constate que les parents qui viennent chez nous, ce sont des parents avec un niveau intellectuel important, qui ont réfléchi aux questions d’enseignement et au type d’enseignement qu’ils souhaitaient pour leur enfant. Les parents moins informés ne viennent pas chez nous. Il y a l’image peut-être d’une absence de sérieux au niveau de la pédagogie active». Cette sélection qui s’opère participe à ce marché scolaire. «N’entre pas à la Felsi qui veut», lance Fred Mawet du ChanGements pour l’égalité asbl (Lire interview complète page 18). Sur la question du manque de mixité sociale dans les écoles de son réseau, Michel Bettens se défend: «Historiquement, il est vrai que nos écoles se sont implantées dans des communes qui sont plutôt favorisées comme à Auderghem, Uccle ou Forest et pas dans le Nord de Bruxelles. Cette implantation géographique de nos écoles s’explique historiquement, mais ce serait une erreur de croire que nous sommes des écoles pour riches versus d’autres écoles qui seraient étiquetées comme écoles de pauvres. Le problème, c’est que beaucoup d’écoles n’attirent personne parce qu’elles sont situées dans des quartiers insécurisants. Elles trainent une mauvaise réputation, peu importe qu’elle soit vraie ou fausse et ce n’est pas favorable à la mixité sociale. Les écoles sont malheureusement le reflet de la situation sociale. L’école est un élément qu’il faut essayer d’améliorer, mais il faut aussi s’attaquer à son environnement. Toutefois, cet élément dépend de différents pouvoirs dont les communes, les régions, les communautés… ce qui complexifie rudement la tâche». On sait en effet que la réputation de l’école est un facteur qui joue de plus en plus dans le choix des parents. La situation géographique est également un critère déterminant. Cependant, il est impossible de savoir si les parents continuent d’accorder ou non de l’importance au choix du réseau de l’école dans laquelle ils décident d’inscrire leur enfant. «Nous sommes l’un des rares pays où le choix des parents est autant libéralisé. Mon sentiment personnel, c’est que de moins en moins de parents choisissent l’école en fonction du caractère confessionnel ou non confessionnel d’un établissement et il en va de même pour le choix des enseignants, explique Julien Nicaise (WBE). Une école sur deux est catholique, mais je suis certain que beaucoup ne se reconnaissent pas nécessairement dans l’ensemble du message catholique. On sent bien qu’année après année, c‘est quelque chose qui se dilue et qui n’est plus vraiment le choix premier des parents. Les parents sont influencés par des indicateurs parfois un peu subjectifs comme la réputation de l’école. Mais qu’est-ce que c’est qu’une réputation? C’est très volatile et ça change très vite. Dans chaque réseau, on retrouve ce qu’on appelle des écoles ghettos qui sont des écoles difficiles. Nous en avons toutes et tous, dans l’ensemble des fédérations et de WBE. On a aussi des écoles qui ont une image très élitiste, c’est vrai. Mais il est clair qu’avec un public scolaire non mixte, que ce soit dans un sens ou dans l’autre, on ne peut pas proposer la même chose. Je ne peux qu’appeler de mes vœux à une plus grande mixité dans nos établissements scolaires, c’est évident».
Maud Baccichet, chargée de communication