Vu de l’intérieur: un îlot de théorie perdu dans un océan de pratique

Mardi 13 juin 2017

Après avoir passé 10 ans à travailler pour le secteur interculturel de la Ligue de l’Enseignement dans différentes écoles en D+ de la ville de Bruxelles, de Molenbeek ou encore de Saint-Gilles, j’ai contracté le virus de l’enseignement. Côtoyer quotidiennement les institutrices, les élèves, le personnel éducatif et les parents a fi ni par me «contaminer» et me décider à entreprendre une reconversion pour le plus beau métier du monde. Dès lors, un retour sur les bancs de l’école s’avérait nécessaire. Globalement, quelle constatation? Le terrain évolue vite, l’école normale plus lentement et «in vivo». Qui pour rattraper l’autre?

Le choix de l’école

Premier pas dans ce parcours: dans quelle école s’inscrire? J’avoue avoir été un peu  perdue. Pourquoi cette école plutôt qu’une autre? Qu’estce qui peut motiver un choix? Certes, les descriptifs de cours des hautes  écoles pédagogiques de Bruxelles sont en ligne mais, cela restait quelque peu nébuleux. J’ai décidé de me fier aux conseils des institutrices que j’avais côtoyées dans le cadre de mes activités pour la Ligue. J’ai choisi l’ISPG, l’Institut Supérieur de Pédagogie Galilée. Oh, je sais, je vous vois déjàpâlir face à la «trahison» et vous  interroger: «mais pourquoi une école catholique après avoir passé 10 ans à porter les valeurs de l’enseignement laïque?». Tout d’abord, c’est un choix pédagogique. La pédagogie qui y est enseignée découle du courant socio-constructiviste. Le socio-constructivisme suppose que la connaissance est une construction. Néanmoins, cette construction est d’ordre social et non individuel. Vigotsky a souligné l’importance de l’interaction sociale dans le développement de la connaissance chez l’enfant.Ainsi, la construction d’un savoir,bien que personnelle, s’effectue dans un cadre social. De cette théorie a émergé une orientation pédagogique et des applications didactiques en lesquelles je crois.2 Ensuite et de façon tout à fait pragmatique, être diplômée d’une école catholique me donne le choix d’enseigner dans les deux réseaux, libre et communal, moyennant l’obtention d’un certificat de neutralité.

Dans le vif du sujet

Lorsque les cours ont débuté, j’ai rapidement eu l’impression d’être noyée par un maelström de jargon et de théorie. Outre les cours de psychologie du développement, de psychologie des apprentissages, de psychologie de la relation, les cours de sciences, de mathématiques et de français m’ont donné le sentiment que le métier d’institutrice exige un niveau de maîtrise dans tous les domaines et c’est là que le bât blesse. Le test diagnostique pratiqué à l’entrée en Bac 1 (première année de bachelier) en français a révélé des lacunes abyssales en maîtrise de la langue. La moyenne des notes obtenues par les 160 élèves était de 8/20! La non maîtrise de la langue d’enseignement est un problème, pas seulement lors des examens que l’on passe en janvier et en juin. Il devient un handicap sur le terrain lorsqu’une fois en classe de stage, devant les élèves, les fautes au tableau ou encore à l’oral se multiplient et finissent par avoir raison de la réussite. Au vu du programme d’études extrêmement chargé, l’école normale ne peut pallier ces lacunes. C’est donc à l’étudiant de se mettre à niveau. La même problématique se pose pour les autres matières. C’est ici que j’ai une pensée émue et reconnaissante pour mes vieux professeurs qui m’ont fait faire des pages et des pages d’exercices de  led© et de Bescherelle©, et pour m’avoir donné le goût des lettres et de l’écrit!

Au fil du temps

Alors que j’achève ma deuxième année, je prends le recul que me permet mon âge canonique au regard de celui de mes camarades de classe. Je réalise que certains cours n’ont, à mon sens, que peu d’utilité dans le cursus.  C’est le cas notamment des cours d’éducation physique que l’on doit suivre et valider alors que, sur le terrain, ce sont les professeurs dûment formés et diplômés qui assureront cette tâche. Je ne m’étendrai  as sur  les cours d’arts plastiques ou d’éveil musical… Je me rends compte que les stages sur le terrain sont trop peu nombreux alors que ce sont eux qui nous permettent de construire nos compétences, de donner du sens  toute cette théorie et de nous projeter dans notre future profession sous le regard bienveillant de nos maîtres de stage. Je réalise également que mon âge et mon expérience pallient les manques de la formation initiale. Qu’en est-il pour mes jeunes camarades? À plus d’un titre, nous ne sommes pas égaux et cela me semble problématique.

3 ans, c’est trop court!

La formation d’intituteur/trice primaire se déroule sur 3 ans. 3 années pendant lesquelles chacun doit:
  • acquérir la maîtrise de toutes les matières enseignées;
  • maîtriser les processus d’apprentissages et les tenants pédagogiques qui y sont liés;
  • maîtriser la gestion de classe (en théorie…);
  • développer son identité professionnelle tout en étant étudiant, soit se projeter dans une profession alors qu’on a à peine 20 ans et que l’on sort du secondaire.
Le problème de la formation professionnalisante est qu’on attend du diplômé qu’il soit compétent dès sa sortie de l’école normale. Or, c’est un leurre. Tout ce que sait le jeune diplômé quand il sort de l’école normale et  qu’il arrive sur le terrain, c’est qu’il ne sait pas! Il ne sait pas travailler avec les parents parce qu’on ne le lui a pas appris et qu’il ne les a pas vus en stage. Il ne sait pas gérer le volet administratif de sa classe car on ne le lui a pas appris (registre, caisse de classe, …). Il ne sait pas gérer le travail en équipe et la collaboration pédagogique car on ne le lui a pas appris. Quelque chose m’intrigue. Cette profession, d’années en années, reste inscrite sur la liste  les métiers en pénurie alors que les listes d’attentes, lors des inscriptions en école normale, ne cessent de s’allonger. Qu’est-ce qui peut expliquer cet état de fait? D’une part, le taux d’échec. Dans mon école, ¼ des étudiants de 1 année échoue et ne passe pas en 2 re année, même si la réforme Marcourt leur permet, moyennant le nombre de crédits requis, de suivre certains cours de Bac 2. Ceux-ci ne pourront hélas pas avoir accès à nouveau aux stages pratiques et se retrouveront une année scolaire entière loin du terrain. D’autre part, la première prise de contact avec la réalité de ce même terrain est un autre facteur d’abandon. Lorsque l’on sort tout juste du secondaire supérieur, la seule expérience que l’on a d’une classe est bien souvent celle que l’on a en tant qu’élève et non en tant que professeur. Enfin, en interrogeant mes petits camarades sur leur projection dans l’avenir, je me suis aperçue que nombre d’entre eux ne souhaitent pas  enseigner directement après l’obtention du sésame. Parfois parce qu’ils souhaitent poursuivre une autre formation universitaire pour compléter la première (master en sciences de l’éducation) mais souvent parce qu’ils se disent «pas prêts». Pas prêts? Est-ce à dire pas préparés? Comment est-ce possible lorsque l’on suit une formation dite professionnalisante? Il doit donc y avoir des manques qui provoquent un tel sentiment.

Qui pour rattraper l’autre?

Quel que soit ce que l’on apprend en théorie, le terrain évoluera toujours plus vite que le contenu des cours de l’école normale. Je considère que ces trois années de formation me donneront de quoi «survivre» les premiers mois, voire les premières années, mais je sais aussi que seule la pratique complètera ma formation et que c’est sur le terrain, dans ma future classe, auprès de mes futurs élèves, de leurs parents et de mes futurs collègues que je vais continuer à grandir et à apprendre. Si cela, ce n’est pas le plus beau métier du monde…   Karine Chave, étudiante à l’Institut Supérieur de Pédagogie Galilée Pourvue d’un diplôme français d’éducatrice de jeunes enfants (EJE), Karine Chave a travaillé pendant plusieurs années comme animatrice en cours d’alpha, à la Ligue de l’Enseignement. Il y a de cela deux ans, elle a choisi de se réorienter vers la profession d’institutrice. À la mi-parcours, elle nous fait part de ses réflexions  en tant qu’étudiante. 1. Rue Royale, 336, 1030 Bruxelles 02.613.19.00. 2. Lev Semionovitch Vygotski (17/11/1896 - 11/06/1934), psychologue biélorusse puis soviétique, connu pour ses recherches en psychologie du développement et sa théorie historico-culturelle du psychisme. ------------------------------------------------------------------------------------------------------

A lire...

La naissance de l’intelligence chez l’enfant

De Jean Piaget, 1936 Cet ouvrage est sans conteste l’un des plus importants de toute l’œuvre de Piaget. Son but est manifeste: à travers l’examen systématique de très nombreuses conduites spontanées ou provoquées de différents niveaux minutieusement choisies et décrites, il s’agit de révéler et d’expliquer la naissance de l’intelligence sensori-motrice chez l’enfant, ou encore le passage des conduites innées aux conduites acquises, en d’autres termes de l’adaptation biologique à l’adaptation psychologique, dont cette intelligence est l’instrument mais aussi le produit. Les observations faites par Piaget sur ses trois enfants sont l’objet d’une analyse très fine et approfondie, réalisée au moyen d’un cadre conceptuel très riche qui prolonge, en les dépassant, les travaux des premiers psychologues du développement (dont J.-M. Baldwin) et bénéficie de la formation préalable ou parallèle de  l’auteur en biologie et en épistémologie. Ce cadre théorique se voit lui-même progressivement différencié et clarifié au fil des observations illustrant les étapes successives de construction de cette première forme  d’intelligence.

Faire la classe à l’école élémentaire

De Bernard Rey, ESF, 1998. Comment mettre les élèves au travail? Comment préparer la classe? Comment ramener à la tâche les élèves distraits ou agités? Comment mettre en place des activités qui fassent réellement apprendre? Comment réagir à l’agressivité ou à l’insolence de tel ou tel? Comment et quand évaluer? Comment aider les élèves en difficulté? À ce type de questions, ce livre donne des réponses précises et concrètes, et même ce qu’on pourrait appeler des «recettes». Mais faire la classe n’est pas une activité ordinaire qu’on pourrait pratiquer mécaniquement. Il faut faire des choix et se donner des principes. Ce sont eux que Bernard Rey s’attache à éclairer. Il s’adresse ainsi aux enseignants débutants. Mais le livre provoquera aussi la réflexion des maîtres chevronnés. Quant aux parents d’élèves, ils trouveront grâce à lui un accès aux coulisses d’une activité qui concerne, jour après jour, leurs enfants.  

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