Quoi de plus parlant que d’aller sur le terrain? Pour l’occasion, nous avons rencontré Céline Desruelles, institutrice primaire à l’école Émile André à Bruxelles. Cette dernière nous fait part de sa vision du système d’évaluation des élèves, de ses inquiétudes et de son approche pour valoriser les élèves.
Eduquer: Considérez-vous le système traditionnel de cotation pertinent?
Céline Desruelles: Je pense que le système traditionnel de cotation n’est pas suffisamment précis pour être pertinent. Un 5/10 en grammaire ne dit pas si l’enfant a des difficultés à trouver le verbe ou le sujet dans une phrase, alors que l’une des deux tâches peut très bien être acquise. En plus de ce manque de pertinence, le système de cotation sert à classer les enfants et à les comparer, au lieu de les considérer comme des êtres à part entière avec leurs difficultés propres.
Eduquer: Le système classique d’évaluation est-il épanouissant pour les élèves ou, au contraire, est-il discriminant et néfaste pour l’estime de soi des enfants?
C.D: En général, dans les écoles qui fonctionnent avec le système de cotation traditionnel, on met en rouge les mauvaises notes et en bleu les notes au-dessus de la moyenne. Dans ce système, c’est l’échec qui est mis en avant alors que ce qu’il faudrait faire apparaître, c’est ce que l’enfant sait faire, car il y a plus de choses qu’il sait faire que de choses qu’il ne sait pas faire! à mon sens, ces notes en rouge sont mauvaises pour l’estime de soi. Imaginons, qu’en tant qu’adultes, on écrive sur une feuille tout ce que l’on ne sait pas faire en rouge… cela ne nous permettrait pas de nous épanouir, d’avancer, de nous développer. Je pense que c’est la même chose, si pas pire, pour des enfants. Il ne faut pas oublier que les enfants sont en train de se construire, tant au niveau de leurs apprentissages qu’au niveau personnel.
Eduquer: Quel système d’appréciation appliquez-vous dans votre classe et quels en sont les bénéfices?
C.D: Au sein de l’école Émile André, nous utilisons des appréciations: A pour acquis, B pour en cours d’acquisition, et C pour non acquis. Ces appréciations portent sur des compétences (lecture fluide, compréhension de vocabulaire...) et non sur des aptitudes (orthographe, algèbre...). Cette particularité permet de mieux cibler où sont les difficultés d’apprentissage des enfants. Selon moi, le point le plus positif de ce système d’évaluation est qu’il est impossible de classer les enfants par ordre de réussite et ainsi d’avoir un premier et un dernier de classe. En effet, il ne faut pas oublier que les apprentissages restent personnels, l’évolution propre à chacun.
Au-delà des notes utilisées, le portfolio qui est mis en place dans toute l’école permet de favoriser l’estime de soi. Le but de celui-ci est de permettre à l’enfant de trouver ses points forts, ses qualités mais aussi de mettre le doigt sur ses difficultés, sur les aspects à travailler et sur lesquels il faut peut-être un petit peu plus insister.
Eduquer: Quelle est votre approche et votre cheminement personnel quant à la question du système de cotation des élèves?
C.D: Je pense qu’il faudrait simplement arrêter de mettre des cotes aux élèves, peu importe la forme que celles-ci peuvent avoir (points, lettres...). Dans cette logique, la seule chose qui est importante pour les enfants est de voir combien de «A» ils ont obtenus, alors que l’objectif principal de ces points est pourtant de savoir s’ils sont capables de faire ce qu’on leur a demandé.
Eduquer: à votre connaissance, y a t-il une réflexion sur le système d’évaluation dans les écoles ou reste-t-on dans un schéma traditionnel de cotation?
C.D: Les choses semblent bouger au sein des établissements et des différents pouvoirs organisateurs. La demande de terrain est de plus en plus grande et l’intérêt pour les systèmes de portfolio est grandissant. Il reste, malgré tout, des écoles qui sont encore très traditionnelles, et qui ne changeront peut-être pas avant longtemps… Nous verrons aussi ce que nous imposera le Pacte pour un enseignement d’excellence…
Marie Versele, secteur Communication
Encadré: L’éducation positive
L’éducation positive trouve ses fondements dans la psychologie positive et la neuroscience
[1]. Globalement, la psychologie positive défend l’idée que la forme conditionne le fond et que le cerveau perçoit plus facilement et plus sereinement les messages formulés positivement que négativement. Ainsi, il serait plus efficace de dire
«parle doucement» plutôt que
«arrête de crier». L’impact des messages négatifs enfermerait l’enfant dans un rôle stigmatisant duquel il est difficile de sortir. Il s’agit donc de sanctionner l’action elle-même et non l’enfant, en disant:
«Tu t’es trompé de réponse. Ce n’est pas grave, recommence, tu vas y parvenir» plutôt que:
«Tu es bête».
Par ailleurs, la psychologie positive part du postulat que la confiance naît de l’estime de soi. De facto, il est primordial de veiller à la valorisation de l’enfant afin de l’encourager dans l’acquisition de ses nouvelles compétences.
[1] Les informations suivantes sont issues de l’ouvrage «Apprendre autrement avec la Pédagogie Positive - A la maison et à l’école, (re)donnez à vos enfants le goût d’apprendre» d’Audrey Akoun et Isabelle Pailleau.