Le 6 novembre, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté le décret du ministre Jean-Claude Marcourt réformant en profondeur l’enseignement supérieur. Voilà un décret qui aura été sujet, durant des mois et des mois, à de longues discussions et à de nombreuses négociations et confrontations.
Pour rappel, le 17 janvier dernier, un accord politique avait enfin été trouvé entre les membres de la majorité au sujet de l’avant-projet de décret du ministre Jean-Claude Marcourt réorganisant l’enseignement supérieur. Le PS et le cdH, principaux adversaires dans ce dossier, étaient donc parvenus à trouver un terrain d’entente sur la question des « pôles géographiques » et de l’insécabilité de la zone Bruxelles-Brabant wallon. Cette insécabilité était exigée par l’UCL. S’estimant lésées dans la négociation, l’UCL et une demi-douzaine de Hautes écoles de l’enseignement libre s’étaient en effet fermement opposées au projet ministériel.
Aujourd’hui donc, la réforme du supérieur a été adoptée. Le premier volet du décret cherche à obliger les acteurs du supérieur à se parler d’égal à égal et à tirer un trait sur les concurrences stériles. Il préserve cependant l’essentiel de l’ancrage local.
Le deuxième volet du décret réorganise fondamentalement le parcours de l’étudiant. On parle ici de mobilité, d’accès au diplôme, de réussite, de passerelles, etc.
Trois niveaux
La structure de l’enseignement supérieur s’organisera finalement bien en trois niveaux.
Le noyau dur de la réforme se focalisera autour de la création de l’ARES (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), académie regroupant tous les acteurs de l’enseignement supérieur –tous types confondus - afin de compléter et de mieux coordonner l’offre d’enseignement supérieur sur l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le but affirmé de la création de l’ARES est d’améliorer encore la qualité de l’enseignement supérieur et de l’inscrire dans la recherche permanente de l’excellence, et cela tant au profit des étudiants que de l’ensemble de la société. On sort d’une logique concurrentielle pour renforcer les collaborations et les synergies.
Sa composition en sera l’ensemble des recteurs, des directeurs présidents, des directeurs d’enseignement artistique, des représentants des membres du personnel et des étudiants.
Ses missions seront les suivantes :
- avis à destination du gouvernement en matière d’offre d’enseignement ;
- visibilité internationale des institutions de l’enseignement supérieur ;
- fédération des ressources disponibles en matière de recherche ;
- pilotage de l’enseignement supérieur (indicateurs et qualité de l’enseignement).
Il y aura également cinq pôles académiques d’enseignement supérieur (Paes) : le Brabant wallon, Bruxelles, Liège-Luxembourg, le Hainaut et Namur.
Respectivement centrés sur l’UCL, l’ULB/Université Saint-Louis, l’ULg, l’UMons et l’Université de Namur, ces cinq pôles géographiques regrouperont les établissements d’enseignement supérieur basés dans une même zone géographique. Chacun des pôles sera ainsi organisé autour d’une université. Les Hautes écoles, écoles supérieures des arts et établissements de promotion sociale graviteront également autour de ces cinq pôles.
Ils seront composés par les acteurs d’enseignement supérieur qui organisent un enseignement sur le territoire du pôle.
Ils auront pour missions principales d’informer et d’orienter les étudiants, mais surtout de mettre à disposition des différents personnels et des étudiants des infrastructures et services communs aux établissements établis dans une même zone géographique.
La grande nouveauté de l’accord survenu le 17 janvier était celle des trois zones académiques « interpôles », centrées sur Liège-Namur-Luxembourg, Bruxelles-Brabant wallon et le Hainaut. Malgré les critiques estimant que cette troisième couche n’apporterait rien d’utile aux deux premières mais ne ferait qu’alourdir encore un peu plus la machine administrative, ces trois interpôles ont été maintenus. Ils seront essentiellement focalisés sur l’aide à la réussite et pourront rendre des avis sur les nouvelles habilitations dans l’enseignement supérieur de type court. Leurs missions restent plutôt symboliques. Leur création répond surtout à la volonté de l’UCL de ne pas subir le joug de l’ULB à Bruxelles.
Le statut de l’étudiant
Outre la réforme du paysage, une partie importante de l’avant-projet de décret concerne donc le statut de l’étudiant avec la volonté d’uniformiser son statut, qu’il soit dans une université, une Haute école, un conservatoire.
Le décret assouplira considérablement les passerelles entre Hautes écoles et universités. Il encouragera aussi les codiplomations entre Hautes écoles, entre Hautes écoles et universités, et entre réseaux.
La réforme veut sortir d’une organisation actuelle qui s’inscrit trop souvent encore dans une logique d’échec plutôt que dans la promotion de la réussite. C’est le but que poursuit l’organisation plus modulaire de l’année scolaire qui permet d’engranger les modules de formation que l’étudiant a réussis, afin qu’il puisse avancer dans son cursus davantage en fonction de son propre rythme.
Désormais, l’étudiant restera en 1re année tant qu’il n’a pas réussi (avec 10/20 ; au lieu de 12/20 actuellement) au moins 45 crédits sur les 60 prévus dans le programme. Il bénéficiera éventuellement de mesures d’accompagnement pour accroître ses chances de réussite.
Chaque année (après la 1re), l’étudiant s’inscrira à un programme de 60 nouveaux crédits choisis dans le cycle en cours (dont ceux qu’il n’aurait pas acquis dans l’année précédente) et sera délibéré sur ce programme personnel. Le jury gardera sa liberté de clémence. A la fin d’un cycle (bac ou master), le jury délibèrera sur l’ensemble des enseignements acquis.
Nouvelle polémique
Alors que le décret est voté, c’est l’abaissement du seuil de réussite à 10 au lieu de 12/20 qui fait aujourd’hui polémique. Le MR s’est inquiété de voir abaissée à l’avenir la réussite de l’étudiant à 10/20, et a insisté sur le niveau d’exigence « afin d’éviter un nivellement par le bas ». Et plusieurs milliers d’étudiants ont signé une pétition en ligne contre cet abaissement. Maurane Crespin, initiatrice de cette pétition et étudiante en 1re master en psychologie à l’ULg, se demande : « Pourquoi cette décision ? Pour diminuer le taux d’échec ? Ne croyez-vous pas que ça risque de dévaloriser notre réussite ? ». Et d’ajouter : « L’unif doit être le lieu de l’excellence et pas celui du nivellement par le bas. »
Au cabinet du ministre Marcourt, on s’étonne de la proportion prise par la polémique au départ de quelques articles du décret : « En fait, l’objectif réel de la disposition est de faire disparaître la différence incompréhensible et source de difficultés individuelles entre le seuil de réussite d’un cours (déjà fixé actuellement à 10/20) et l’exigence de moyenne à l’année d’étude fixée, elle, à 12/20. Beaucoup de pays pratiquent de la sorte sans que cela ne mette en cause la qualité des études. Un 10 sur 20 n’a rien à voir avec le fait de réussir une question sur deux, la liberté académique est et restera totale. »
Pour le ministre Jean-Claude Marcourt, « cette réforme dont le cœur est indéniablement le parcours de l’étudiant va simplifier notre système d’enseignement supérieur, tout en préservant l’autonomie, la liberté académique et les spécificités de chaque établissement. Avec comme objectif, moins de concurrences et plus de synergies et de collaborations entre les acteurs concernés. »
L’entrée en vigueur de cette réforme est prévue pour septembre 2014, y compris pour le volet « organisation des études et parcours de l’étudiant ». Un phasage sera toutefois organisé sur cinq ans, afin de permettre aux établissements d’enseignement supérieur de mettre en place cette importante réforme.
Valérie Silberberg, responsable du secteur Communication
Sources :
- Le Soir et La Libre Belgique, du 17/01 au 13/11/2013 ;
- L’Avenir.net, 18/01/2013.