Cet article fait partie du dossier d’Eduquer 128:Le Pacte d’excellence, une réponse adaptée? N’hésitez pas à consulter le dossier complet
Eduquer 128: Le Pacte d'excellence: une réponse adaptée? Illustration: Célia Callois
Imaginons que vous vous trouviez dans votre maison et qu’une amie qui vous veut du bien vous dise: «On n’est pas bien ici, tout est à refaire!». Supprimer ceci, ajouter cela, transformer, agrandir, isoler, moderniser, repeindre… votre maison ressemble désormais en imagination à une maquette, mais les obstacles ont grandi en proportion dans votre esprit: budget, temps, moyens, compétences, tout manque, et il est des besoins, des contraintes et des obligations plus immédiats qui ne peuvent attendre… Résultat: vous renoncez à changer quoi que ce soit, sinon d’amie, ce qui vous fera le plus grand bien!
Il en est ainsi du Pacte pour un enseignement d’excellence.À vouloir tout changer, les obstacles se multiplient dans l’esprit de ceux qui auront à effectuer les changements, qui plus est, en ayant à assumer leurs effets.
Ils n’ont alors d’autres ressources que de se replier sur une position prudentielle et de bon sens. Ils rejettent le projet à défaut de pouvoir se séparer de l’amie qui leur veut du bien.
Changer le système
Changer le système scolaire n’est pas une mince affaire. Du maternel à la fin du secondaire, l’enseignement concerne environ 860.000 élèves qu’encadrent plus de 150.000 enseignants ETP. C’est aussi un système particulièrement complexe, qui résulte de près de 200 ans d’histoire, et dont on peut penser, à bon droit, qu’il devrait d’abord être simplifié: une multitude de pouvoirs organisateurs qui sont comme autant de chapelles concurrentes, des réseaux, des caractères, chacun obéissant à ses autorités et à ses règles particulières, cultivant ses intérêts financiers propres et se pliant difficilement à des objectifs communs. Nombreux sont les projets de réforme dans l’enseignement qui, aussitôt conçus, ont été abandonnés. Et quant aux innovations, elles furent souvent si lentes à s’implanter, qu’elles étaient déjà anciennes avant d’avoir été assimilées. L’introduction des notions de compétence et de socle de compétences, en est un bon exemple. Promulguées dans le décret «Missions», adopté le 17 juillet 1997, elles font, vingt ans plus tard, toujours débat et ne sont pas pleinement intégrées à la pratique. Il en va de même du décret «Inscriptions» dont la première version date de 2007. 10 ans plus tard, les résultats de cette politique sont encore contestés et à évaluer. Mais voici qu’au nom de l’excellence, un «pacte» suggère de changer le système d’enseignement en profondeur. Que faut-il en penser?
Des intentions louables
Si les intentions sont louables, les propositions peinent à convaincre: sans doute trop nombreuses, les réformes suggérées restent floues. Il manque des choix clairs, des mesures concrètes, des priorités, un chiffrage précis, l’analyse des obstacles et des freins prévisibles, l’impact budgétaire. Résultat: les cinq syndicats d’enseignants rejettent le texte, les fédérations de pouvoirs organisateurs se montrent réservées. Et il ne reste à la ministre d’autre ressource que celle de demander aux auteurs de revoir leur copie. On en est là.
Le parcours scolaire
Le pacte d’enseignement défend une certaine vision de l’enseignement qui ne manque pourtant pas d’intérêt. L’idée générale envisage le parcours scolaire comme un continuum qui conduit les élèves de la première maternelle à la fin de la troisième année secondaire au sein d’un tronc commun. Durant cette période, les élèves ont une formation polyvalente dans sept domaines: les langues; la culture et l’expression artistique; les mathématiques, les sciences, les compétences techniques et technologiques; les sciences humaines et sociales, la philosophie et la citoyenneté; les activités physiques, bien-être et santé; la créativité, l’engagement et l’esprit d’entreprendre; apprendre à apprendre et à poser des choix. Pendant toute la durée de la formation commune, il n’y a que des évaluations formatives et, en principe, pas de redoublement. La différenciation de l’enseignement dans les classes et une remédiation rapide sont sensées parer à l’échec. La certification n’intervient qu’à la fin de la troisième secondaire, c’est-à-dire, à la fin du tronc commun. Commencent alors des parcours différents: d’un côté l’enseignement de transition, qui prépare aux études supérieures, de l’autre, l’enseignement qualifiant qui forme à des métiers et prépare à une entrée directe sur le marché de l’emploi.
Le pilotage de l’enseignement
Le système envisagé est largement décentralisé. Le pouvoir régulateur, c’est-àdire, la Communauté française, intervient via des inspecteurs new look, appelés «délégués aux contrats d’objectifs» (DCO). Ceux-ci établissent avec chaque équipe pédagogique, des objectifs à atteindre en trois et six ans, dans des plans de pilotage qui ont une valeur contractuelle et qui font l’objet d’un contrôle. Ces plans, qui engagent l’établissement scolaire et le pouvoir organisateur, se décomposent en quatre parties: l’identité spécifique de l’établissement, les objectifs à atteindre, les stratégies choisies par l’établissement pour y parvenir, le chiffrage des objectifs. Les objectifs généraux étant définis par l’autorité centrale, l’autonomie des équipes pédagogiques porte essentiellement sur le niveau des stratégies, à savoir, les choix pédagogiques et le management de l’équipe. L’atteinte des objectifs est de la responsabilité de la direction et de l’équipe pédagogique.
En cas d’échec, trois cas de figure se présentent:
- l’établissement échoue sans être responsable de l’échec et voit ses objectifs adaptés dans un plan réactualisé;
- l’échec de l’établissement traduit «une incapacité ou une mauvaise volonté manifeste» de mettre en œuvre le plan. Dans ce cas, l’établissement fait l’objet d’un «suivi rapproché», d’une «procédure d’audit externe» ou subit des «sanctions» (réduction de moyens de fonctionnement et d’encadrement) ou encore, l’attribution d’un «manager de crise»;
- il s’agit d’un «établissement en difficulté» qui bénéficie d’un «dispositif spécifique de contractualisation», avec audit, «dispositif de rattrapage spécifique», évaluation annuelle. Parallèlement à la fonction de DCO, l’administration du pouvoir régulateur est décentralisée dans des directions territoriales. Celles-ci assurent le contrôle de l’application des décrets et règlements, la négociation des plans de pilotage et l’évaluation des établissements. Elles servent de courroie de transmission avec l’administration centrale et sont placées sous l’autorité d’un directeur de zone. L’administration centrale est elle-même réformée en profondeur. La communauté française voit ses pouvoirs distingués, d’un côté, en tant que régulateur normatif, de l’autre, en tant que pouvoir organisateur. Elle s’organise en quatre entités dont les compétences respectives sont: le pilotage du système éducatif; l’enseignement obligatoire; les personnels; l’enseignement non obligatoire et la recherche scientifique. La direction générale du pilotage comprendra elle-même quatre entités, chargées respectivement de l’élaboration des standards et des référentiels de compétence; de l’analyse et de la prospective; le pilotage des établissements qui regroupera directeurs de zone et DCO; l’inspection. Du côté des pouvoirs organisateurs (PO), les Fédérations de PO soutiennent leurs écoles via leurs conseillers pédagogiques.
Dans les écoles
Les directions des établissements sont amenées à jouer un rôle plus important dans le leadership des écoles et devraient bénéficier d’une aide administrative renforcée. Elles devraient à minima pouvoir donner un avis lors de l’engagement du personnel enseignant. Eux-mêmes devraient être recrutés sur base de profils de fonction, pour des mandats de six ou huit ans renouvelables et être régulièrement évalués. À côté des directions, devraient être désignés, parmi les enseignants chevronnés, des coordinateurs pédagogiques. Ils ont pour mission de coordonner et de développer des pratiques pédagogiques au sein de l’école sans disposer pour autant
d’un pouvoir de décision.
La mission des enseignants est déclinée en cinq fonctions constitutives:
- le travail en classe;
- le service à l’école et aux élèves (conseils de classe, conseils pédagogiques, surveillances, remplacements, etc.);
- le travail collaboratif (réunions pédagogiques, projets, coaching des jeunes enseignants, etc.);
- le travail autonome (préparation des cours et des examens, corrections, etc.);
- la formation continuée (4 à 6 jours obligatoires par an).
Les enseignants sont évalués par les directions d’école, individuellement et collectivement (via l’évaluation du plan). Une évaluation individuelle précède la nomination. Pour rendre moins plane la carrière des enseignants, il est imaginé de distinguer trois étapes: l’enseignant débutant (pendant maximum les cinq premières années de sa carrière); l’enseignant temporaire ou définitif (on peut lui confier des tâches supplémentaires telles que la gestion des horaires, les relations avec les parents, la fonction de référent numérique ou des intérimaires, la médiation scolaire, etc.); l’enseignent expérimenté, qui, vu son ancienneté, peut bénéficier d’une réduction de ses heures de classe pour s’occuper de la communication interne, renforcer l’administration, assurer la coordination pédagogique et l’évaluation formative des collègues, encadrer les enseignants débutants, etc.
L’enseignement qualifiant revu et corrigé
L’enseignement qualifiant au terme du tronc commun ne fait plus la distinction entre technique et professionnel. Désormais, il faudrait se former à un métier technique en trois ans et avoir bien choisi son métier, sous peine de devoir être réorienté en cours de route, ce qui laisserait fort peu de temps à la formation du métier. Le système de la CPU devrait être testé expérimentalement dans l’ensemble d’un secteur de l’enseignement qualifiant sur ce parcours de trois ans avant d’être généralisé. Il n’y pas de redoublement mais une remédiation permanente. Les élèves qui, en fin de parcours, n’ont pas acquis toutes les unités d’apprentissage peuvent
poursuivre dans une année complémentaire avec un programme personnalisé pour rencontrer leurs lacunes. Chaque élève dispose d’un dossier individuel d’apprentissage. Celui-ci expose les compétences à acquérir et les objectifs de la formation ainsi que les acquis de l’élève progressivement validés. En fin de scolarité, le jeune qui a réussi sa formation reçoit un «passeport CPU» qui détaille ses compétences acquises, ses stages, ses attestations en langue. A côté de la formation «métier», l’enseignement qualifiant offre une formation générale. Le CESS obtenu n’ouvre cependant pas l’accès à l’enseignement supérieur comme le CESS de l’enseignement de transition. Pour qu’il le devienne, le jeune aura la possibilité de suivre une année complémentaire, dans l’enseignement de plein exercice ou en promotion sociale. Le rapport final du «Pacte» envisage
le resserrement des options proposées et la fermeture de celles qui n’ont pas assez d’élèves. Il préconise de maintenir un système bottom/top, où les établissements scolaires peuvent prendre des initiatives dans la
création des nouvelles options mais il suggère également que l’organe de pilotage puisse procéder à des appels d’offre afin de rencontrer les besoins qu’il détecterait sur le marché de l’emploi. C’est dans ce domaine que la collaboration avec les Régions et les acteurs de la formation professionnelle prend toute sa signification. Le groupe central, auteur du rapport, préconise la mise en place d’une plateforme pour centraliser les informations, destinée à améliorer l’orientation des élèves.
Une école inclusive avec plus de bien-être
La lutte contre l’échec et le redoublement est considérée par les auteurs du rapport final comme prioritaire. Ils fixent un objectif de réduction de 50% de l’échec d’ici 2030. Pour y parvenir, ils avancent une longue liste de suggestions, au reste pas vraiment neuves, dont rien ne garantit qu’elles permettront d’atteindre, ne fut-ce que de manière infime, l’objectif, tant la tâche est immense.
Retenons, en vrac:
- déceler rapidement les difficultés et les besoins spécifiques des élèves;
- un objectif de réduction des échecs inclus dans les plans de pilotage;
- un dialogue renforcé avec les parents;
- l’innovation pédagogique, les supports numériques, les bonnes pratiques validées;
- le redéploiement des CPMS dans une mission d’orientation et de soutien des écoles, en lien direct avec les objectifs des plans de pilotage;
- le soutien spécifique et renforcé de 50 établissements par an dont les écarts de performance sont importants;
- la réforme de l’enseignement différencié pour concentrer les moyens et le renforcement des programmes d’accompagnement et de remédiation pour les primo-arrivants et allophones.
Le rapport du Groupe central, envisage également dans sa synthèse les facteurs susceptibles d’améliorer le bienêtre des élèves à l’école, à travers une politique structurelle de création de places dans les écoles, le financement de conseillers chargés de la prévention dans le domaine de la sécurité et de la santé, l’augmentation du sport à l’école et l’accès renforcé à des activités extrascolaires et citoyennes. Il est également suggéré de mener une étude pour réformer le rythme scolaire, aussi bien au plan annuel qu’au niveau quotidien. Le rapport préconise également un effort conséquent pour atteindre la gratuité effective de l’enseignement et propose de procéder pas à pas, par niveau d’enseignement et type de frais, en commençant par la suppression des frais scolaires qui sont encore à charge des parents.
Le facteur humain
Au terme de ce tour d’hori zon, comment ne pas s’inquiéter de la mise en œuvre d’une telle réforme, alors que le gouvernement de la Communauté française arrive à la moitié de la législature. D’un côté, les auteurs du rapport final du «Pacte» considèrent la réforme comme «un tout» systématique dont rien ne peut être retranché. Mais d’un autre côté, il n’existe ni plan convaincant, ni budgétisation sérieuse, et surtout, nul engagement politique correspondant. Car qui peut prétendre décider d’une politique pour les quinze années à venir et apposer sa signature au bas d’un texte qui ressemble si peu à un pacte, que toutes les organisations parties prenantes s’en désolidarisent? En quoi un tel texte est-il un véritable accord qui engage, à savoir un Pacte?
Le projet de réforme a, semble-t-il, dans son élan réformateur, négligé un facteur important sans lequel aucun plan, aucune politique, aucun enseignement ne peut être construit: le facteur humain. Peu réaliste, le rapport, dans son contenu comme dans son style, sonne terriblement éloigné de la réalité des écoles. Celles-ci sont, heureusement, d’abord des lieux de vie où jeunes et adultes sont en relations concrètes, à travers l’activité
d’apprendre, où des professionnels ntretiennent des rapports concrets les uns à l’égard des autres, des relations dont la métaphore du pilotage ne rend aucunement compte. Peut-être faudrait-il renverser complètement les termes de l’équation. Et reconstruire le système, en le refondant sur ceux qui font vivre les écoles quotidiennement, les enseignants et leur direction. Et remettre au service de la fonction éducative et des bénéficiaires de celle-ci, les élèves, toute la machine scolaire. En commençant par la simplifier, en mettant fin, par exemple, aux différences de caractères qui minent notre système éducatif. L’impréparation et le manque de réalisme politique du projet se traduit bien par deux lacunes majeures. La première concerne la réforme de la formation initiale des enseignants. Alors que celle-ci est en préparation depuis de nombreuses années, les travaux
menés dans le cadre du Pacte ont été conduits indépendamment d’elle. Si bien que leMinistre Marcourt annonce l’atterrissage de son projet pour la moitié du mois de mars en mettant l’accent sur la maitrise du français par les bacheliers à l’entrée de la formation tandis que de leur côté, les acteurs du groupe central, promettent de se revoir après le congé de Carnaval pour améliorer leur texte. La deuxième concerne le rôle de la Communauté française dont les fonctions de régulateur et de pouvoir organisateur seraient séparées. Si le Pacte donne un aperçu succinct de la réorganisation de l’administration chargée de la régulation, rien n’est dit de la manière dont son rôle de pouvoir organisateur serait désormais assuré. Dans la conjoncture politique actuelle, cet aspect pose une question de timing. Est-il raisonnable de confier à un cabinet social-chrétien, qui a surtout une bonne connaissance de l’enseignement catholiqueet en défend les intérêts, d’organiser les destinées d’un réseau, - celui de la Communautéfrançaise -, qu’il traite comme un concurrent?
Plus d’infos:
www.pactedexcellence.be/
Patrick Hullebroeck, directeur de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente