Le plafond du service des créances alimentaires vient d’être relevé à 2.200 euros, ouvrant ce droit à davantage de famille. Un «déjà ça» pour les associations rassemblées dans la Plateforme créances alimentaires, qui en attendent plus, notamment la suppression complète de plafond.
C’est une mère à la voix tremblante qui crie son désespoir au micro des Grenades, programme de la RTBF qui se fait l’écho des combats de femmes, en mars dernier: «Je faisais confiance à la justice peut-être allait-elle me donner mes droits et ceux de mes enfants, malheureusement, ça n’est pas le cas». Cette maman est séparée et elle ne touche pas la pension alimentaire de son ex-mari. Plus d’un ménage belge sur dix sont dans son cas. Et à 80 pourcents des femmes. Malgré les changements de loi relatifs au divorce - privilégiant la garde alternée - les femmes continuent souvent à assurer la garde principale des enfants. Il ressort aussi que trois fois plus de mères seules que de pères seuls se retrouvent être le principal soutien financier et matériel d’un ménage monoparental. Le SECAL, pour Service des créances alimentaires a été mis en place en 2003 pour recouvrir les pensions alimentaires non ou mal payées par le mari ou, uniquement pour celles des enfants, les avancer. La création de ce service est le fruit d’un long combat - presque 50 ans - commencé en 1973 quand un groupe de femmes suggère de mettre en place un système de caisse de compensation. Aujourd’hui, et malgré la loi, il reste difficile pour de nombreuses familles monoparentales de l’obtenir. La Ligue des Familles estime à 40 % les cas de pensions alimentaires non ou mal payées.
Demi-victoire
Les créances ne sont pas universelles et systématiques comme l’exigeaient initialement les mouvements de femmes. Jusqu’il y a peu, le plafond était de 1800 euros net par mois. Sous la pression d’un groupe de mères ayant lancé une pétition, la commission des Finances de la Chambre a approuvé début avril un amendement PS-cdH-Ecolo à une proposition de loi fixant le plafond à 2200 euros (majoré de 70 euros/mois/ enfant à charge). Tous les partis ont voté pour, à l’exception de la NV-A. Les avances sont toujours fixées à 175 euros/mois maximum par enfant. «C’est une victoire, mais pas une victoire complète puisque toutes les femmes ne sont pas concernées par le relèvement de ce plafond», nous explique Hafida Bachir, secrétaire politique de Vie Féminine, membre de Plateforme Créances alimentaires qui rassemble plus de 30 associations, néerlandophones ou francophones. «Un relèvement avait déjà eu lieu en 2014, dans le même contexte de période pré-électoral», rappelle-t-elle, attendant un vrai engagement politique. La plateforme exige la suppression du plafond. Il s’agit d’un enjeu crucial pour les femmes quand on sait que 80 pourcents des familles monoparentales sont des femmes, et le risque de pauvreté pour une famille monoparentale est proche des 40 pourcents, selon La Ligue des familles. «Ce système de plafond pour accéder aux avances a des conséquences néfastes pour les femmes. Il est fixé arbitrairement sans tenir compte du coût de la vie, des frais de logement, des frais et difficultés accentuées dans les situations de monoparentalité (garde, aides ménagères, difficultés de conciliation entre la vie de famille et la vie professionnelle, etc). Beaucoup de femmes, malgré un salaire jugé ‘suffisant’, vivent avec leurs enfants dans la précarité», souligne Hafida Bachir.
Un service sous-financé
Le problème autour du SECAL ne concerne pas uniquement le plafond. Mais aussi son manque de financement: «Le budget alloué au service est totalement insuffisant pour couvrir les besoins des familles potentiellement demandeuses, explique Hafida Bachir, le SECAL est souvent noyé dans la lutte contre la pauvreté, or, il s’agit d’un droit! Et ce service devrait être financé comme toute politique de sécurité sociale d’emploi ou de santé.» Ne parlons pas du personnel, totalement insuffisant lui aussi. Dans le rapport d’évaluation de 2010, réalisée par une commission d’évaluation - le dernier en date disponible sur le site - le problème était déjà souligné. «À la date du 31 décembre 2010, il y avait encore 96 - 90 collaborateurs (ETP ou équivalents temps plein) en poste dans les différents services du SECAL (cfr n° 2.2.1.). Le nombre estimé lors de la création (dans un premier temps, 220 personnes, 186 par la suite) n’a jamais été atteint (…) Les bureaux donnent en effet de plus en plus de signaux selon lesquels l’effectif en personnel actuel n’est plus suffisant et que l’effet se fait sentir le plus sur le recouvrement», pouvait-on y lire. Depuis, la commission ne s’est plus réunie jusqu’en 2016. Mais toujours aucune trace d’un rapport sur le site… rendant difficile le suivi de cette question du personnel et l’évaluation générale du dispositif. Mais Vie Féminine a établi qu’en 2016, on ne comptait plus que 89 collaborateurs! «On s’interroge sur l’impact de ce manque de personnel nous sur le haut taux de non recouvrement des contributions alimentaires avancées par le SECAL, mettant en péril la santé financière du service», explique Hafida Bachir. En 2016, le SECAL a (seulement) récupéré 133 millions d’euros des 382 millions d’euros qu’il devait recouvrir. À noter toutefois, comme le souligne le rapport de la Ligue des familles sur la santé financière du service, publié en 2017, que le taux de recouvrement annuel augmente d’année en année.
Non-recours
Si ce «droit» existe, sans être pleinement respecté, il ressort également que de nombreux ayants-droit n’y recourent pas. C’est le fameux non-recours aux droits sociaux, un enjeu crucial étudié depuis peu en Belgique et qui commence timidement à être pris en compte par les responsables politiques. Comment l’expliquer? «Le SECAL est invisible», résumait la Ligue des familles, il y a deux ans. «Il n’y a eu aucune campagne d’information digne de ce nom organisée par le Ministère des Finances, ce sont toujours les associations qui s’y collent, observe Hafida Bachir qui déplore également la fermeture, en 2017, de 23 bureaux d’enregistrement. «Ils ont été remplacés par 11 infocentres du SPF Finances, aux horaires limités et, nous l’avons testé, qui répondent peu au téléphone». Si la méconnaissance explique le non-recours, il existe également un non-recours volontaire. Le découragement face à cette procédure longue peut l’expliquer. Aussi, de nombreuses femmes veulent éviter de réactiver le conflit avec leur ex-mari. C’est pourquoi Cécile de Wandeler, du bureau d’étude de Vie Féminine, plaidait dans un article d’Axelle consacré au non-recours pour qu’«au-delà de l’information, les femmes soient renforcées pour faire valoir leurs droits en général, pour se sentir légitimes de demander l’intervention du SECAL par exemple. Il y a sans doute un rôle important à jouer ici pour les relais entre les femmes et leurs droits (services de 1èreligne, professions juridiques, secteur social et culturel, etc.)»[1] . Plus efficace encore: l’instauration d’un Fonds universel des créances alimentaires en Belgique, à l’instar de ce qui existe au Québec depuis 1995. Une exigence de la plateforme à la veille des élections. «Il prendrait en compte toutes les créances alimentaires des enfants et ex-conjoints, de façon automatique, après décision de justice, sans nécessité donc de l’intervention de la créancière. C’est ça le modèle d’avenir», conclut Hafida Bachir. [1] La kermesse des droits sociaux, Axelle n°167, mars 2014. Manon Legrand, journaliste
SECAL: marche à suivre
Pour introduire une demande au SECAL, Sophie a la possibilité de le faire sur place, dans un info center où on l’aidera à remplir sa demande. Elle peut également effectuer sa demande en ligne sur le site du SECAL. Ce service est gratuit depuis 2014. La demande remplie, le Service vérifie si Sophie remplit les conditions: remplir les conditions de revenus; être domiciliée en Belgique (pendant une période, il fallait également que le débiteur soit domicilié en Belgique ou y dispose de revenus, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui); que l’exconjoint ait, au cours des 12 mois précédant la demande, manqué minimum deux fois de verser les pensions alimentaires dans leur totalité; Sophie doit avoir pu fournir un document officiel attestant du montant exact de la pension requise.
Le SECAL dans les programmes politiques des partis francophones
Suppression du plafond: Le PTB, le MR, le PS et Défi se prononcent pour une suppression du plafond de revenu. Ecolo, bien que soulignant à plusieurs reprises la précarité féminine, ne parle pas spécifiquement de SECAL dans son programme fédéral. Les Verts penchent vers la suppression.
Élévation du plafond: Le CdH entend «relever de manière progressive le plafond de revenu pris en compte pour bénéficier d’avances sur pensions alimentaires. Porter ce dernier à 2.500 euros par mois permettrait à 95 % des familles monoparentales d’en bénéficier.» Information: PS et MR défendent dans leur programme une amélioration de l’information. Le MR entend «renforcer la publicité des services et faciliter et simplifier les procédures dans la communication des documents nécessaire pour l’obtention des droits». Le PS parle quant à lui de «mener des campagnes d’information à grande échelle afin que le SECAL soit davantage connu du grand public». Dans son programme communal, Ecolo soulignait la nécessité d’«une attention particulière accordée aux parents seuls avec enfants afin de les informer et de les aider à introduire leur dossier auprès du SECAL».
Automatisation: Seul Défi émet la volonté de «mettre en place un système réellement ‘universel’ par lequel le SECAL encaissera directement toutes les rentes alimentaires dues aux enfants et ex-conjoints qui ont bénéficié d’un jugement en leur faveur». Le parti propose que «le SECAL se charge lui-même de verser la pension alimentaire dans le respect du jugement. Plus de disputes, plus de crainte de faire valoir ses droits, plus ’administration à gérer; le SECAL veillera lui-même au respect des jugements et au besoin récupèrera lui-même la pension alimentaire auprès du débiteur». Les autres partis parlent d’optimisation (cdH), de systématisation dans le cas du MR.