Cet article fait partie du dossier d'Eduquer 127: Les ados et la sexualité.
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Contraception, avortement, accompagnement à la parentalité… Les centres de planning familial restent des acteurs incontournables pour toutes les questions liées à la sexualité. Mais quelles questions les jeunes leur posent-ils aujourd’hui? Tentatives de réponse avec Gaëtan De Laever, directeur de la Fédération Laïque des centres de Planning Familial et Jonathan Riguelle, animateur au centre de planning «Les Haies» à Gilly.
La rue principale de Gilly a visiblement connu des temps meilleurs. Beaucoup de magasins sont fermés, des maisons à vendre. Tout près de là, le centre de planning familial «Les Haies» accueille les jeunes et les moins jeunes. Comment qualifier le public qui fréquente le centre? «
Hétérogène, répond Jonathan Riguelle, animateur et sexologue.
Mais le point commun, c’est la précarité». Précarité sociale, culturelle: «
Ils ont peu de points de chute et peu de confiance dans ceux-ci. Les gens viennent demander des conseils alors qu’ils en ont déjà reçu de la part du CPAS».
Le centre de planning a une panoplie d’offres, poursuit l’animateur et donc des demandes très diverses. Il a la particularité d’être intégré dans une maison médicale. Beaucoup sont envoyés par le médecin mais la demande dépasse largement le cadre des consultations gynécologiques. «Les Haies» accueille aussi des adultes qui souffrent de dépression, des enfants dits «difficiles». «
C’est cela, la force des centres de planning, bserve Gaëtan De Laever. Nous prenons la personne dans sa globalité. Cela va à l’encontre des politiques actuelles qui veulent tout diviser par secteur en renvoyant, par exemple, les problèmes psy chez les seuls centres de santé mentale ou les problèmes sociaux vers les CPAS».
Que veulent les ados de Gilly? Pourquoi passent-ils au centre? «
Pour chercher des préservatifs, sourit Jonathan Riguelle. Nous sommes tout près des établissements scolaires, ils ne font que passer pendant les pauses, sans discussion». Sans discussion ou presque. Pour la contraception comme pour la pilule du lendemain, le centre a changé de stratégie. «
Avant, à l’accueil, on les écoutait puis on leur donnait un rendez-vous médical à un autre moment. Mais ils ne revenaient pas. Parce que c’est difficile de se libérer, parce qu’il faut éviter que les parents, le copain, la copine, sachent que l’on est passé. Ce qui marche, c’est de répondre à leur demande quand elle arrive et d’utiliser ce moment pour aller plus loin dans une réflexion sur la contraception, quand l’angoisse est retombée».
Une confidentialité indispensable
Quels contraceptifs? La demande a évolué, constate Gaëtan De Laever. La demande de stérilets augmente parce qu’on rejette la pilule et les hormones. «
On s’oriente vers des techniques plus simples, comme le patch». Ce qui ne change pas par contre, c’est la difficulté à assumer la contraception. «
On pense que la sexualité n’est plus taboue, ce n’est pas notre expérience, poursuit Jonathan Riguelle.
La difficulté d’en parler à ses parents pour des raisons culturelles ou religieuses subsiste. Et il y a donc des prises de risque. A l’accueil, nous entendons tous les jours des filles dire: ‘si je dis à maman que je prends la pilule, elle va savoir que je suis sexuellement active et cela va poser de gros problèmes’». C’est en tout cas ce que ces jeunes pensent, nuance l’animateur, car quand ils finissent par en parler à leurs parents, ils sont souvent heureusement surpris par leur réaction.
Prendre la pilule, faire un test de dépistage restent des démarches difficiles pour certains jeunes qui souhaitent donc les rendre les plus discrètes possible. D’où l’inquiétude des centres de planning face à la disparition des
certificats et des ordonnances «papier» mise en place depuis le début de cette année. «Cela va conduire à une plus grande transparence, concède le directeur de la Fédération Laïque, mais pour les jeunes qui fréquentent nos centres, cette perte de confidentialité va être vécue comme un risque. Nous réfléchissons à l’idée d’instaurer une sorte de «passeport» qui permettrait de garder l’anonymat de la personne pour un test de détection de grossesse, de prise de sang, d’avortement. La transparence annoncée va fragiliser une partie de notre public».
Les comportements sur le plan affectif évoluent peu. Mais Jonathan Riguelle pointe le grand désarroi de beaucoup de garçons, qui se sentent coincés dans les clichés accolés aux hommes. «
On leur demande d’être à la
fois assertifs, puissants mais aussi sensibles, capables d’exprimer leurs émotions. Ce désarroi est aggravé par la pornographie qui les confronte à une image fausse de la virilité». Dans les animations en classe comme en consultation individuelle, la question de la pornographie est récurrente. «
Bien sûr, elle a toujours existé mais avant, elle se découvrait après celle de la sexualité et on pouvait plus facilement prendre conscience de ses mensonges. Aujourd’hui, dès l’école primaire, les jeunes sont imprégnés d’images pornographiques qui les influencent très fort car ils s’imaginent qu’ils vont devoir se conformer à ce qu’ils voient et c’est générateur l’angoisse. Pour nous, il est essentiel de démonter le porno sans pour autant le stigmatiser».
Gsm harceleur
Une autre évolution significative s’observe dans les comportements au sein du couple. La fidélité est essentielle, «comme chez les adultes», et quand l’infidélité de l’un(e) ou l’autre est constatée, cela fait des dégâts. Dans les centres, on constate des attitudes de surveillance de l’autre induites par le smartphone. Les jeunes n’en finissent pas de s’envoyer des textos et «si on ne répond pas dans les dix minutes, c’est la catastrophe, observe Gaëtan De Laever. La pression est énorme». «
Quand des professeurs confisquent le gsm pendant les cours, cela met les élèves dans un état inouï, enchaîne Jonathan Riguelle.
C’est comme si on les amputait. Les écoles font souvent appel à nous pour gérer cet aspect relationnel lié à l’omniprésence du gsm. C’est comme s’il ne pouvait pas y avoir de pause dans le couple. Avant, on pouvait faire du foot, être en lien avec l’autres, c’était une respiration. Ici, cela ressemble parfois à du harcèlement. C’est un élément nouveau en tout cas que nous rencontrons. Des jeunes nous disent que leur relation a capoté parce qu’il fallait tout le temps répondre à l’autre».
Et l’homosexualité? «
Dans nos animations, c’est tout un exercice pour nous de parler de ‘partenaire’ et non pas de ‘compagnon’, de ‘copine’ parce que nous avons tendance d’office à penser que l’autre est hétéro. Avant, des jeunes venaient nous consulter parce qu’ils étaient homos. Maintenant, s’ils viennent, c’est pour évoquer leurs difficultés de couples. C’est un vrai changement». Mais qui ne doit pas faire illusion, poursuit l’animateur. «
Chez les ados et les garçons en particulier, cela reste très difficile à vivre et source de moqueries à l’école».
L’avortement, autre tabou? «
Les a priori des jeunes que nous rencontrons sont très négatifs et même quand ils sont confrontés à cette situation, suite à un échec de la contraception, cela reste vécu comme quelque chose de très difficile. Il est donc important de dédramatiser l’avortement», estime Jonathan Riguelle qui pointe une autre difficulté: le manque de médecins et plus particulièrement de médecins travaillant dans les centres de planning familial. «
Ceux qui pratiquent l’avortement sont encore plus rares et ils sont âgés. Il n’y a pas de renouvellement parce que peu de facultés donnent cette possibilité de formation». Gaëtan De Laever ajoute: «
les dix prochaines années vont être très difficiles. En Flandre, il existe cinq centres pratiquant des avortements et ils ne rencontrent pas ce problème de pénurie parce que les médecins y travaillent avec un contrat à temps plein. Ce n’est pas le cas dans les entres francophones où les médecins oeuvrent à temps partiel, en gardant leur propre clientèle. Dans la province du Luxembourg, il n’y a plus personne pour pratiquer une interruption de grossesse. Le rapprochement entre les maisons médicales et les centres de planning pourrait être une solution mais il faudra toujours des médecins qui s’engagent…»
Martine Vandemeulebroucke, secteur communication
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