Attendue depuis 40 ans et adoptée, il y a deux ans, par l’ex-ministre de l’enseignement obligatoire, Joëlle Milquet, la réforme est entrée en application ce 1er septembre. Si l’objectif est louable, son application nécessite des réajustements.
«Rentrée ratée», c’est comme cela qu’a désigné un média bien connu1 , les conséquences générées par la mise en place de la réforme en ce début d’année. Mais pourquoi une telle réforme? Tout d’abord, rappeler que celle-ci concerne tous les enseignants, du fondamental et du secondaire, tous ré- seaux confondus en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle est le fruit du travail du Comité d’accompagnement, composé de représentants des réseaux, des organisations syndicales et de l’Administration générale de l’Enseignement (AGE), qui pendant un an et demi, a planché sur le texte. Dans l’enseignement, les «titres» désignent les diplômes requis pour dispenser les cours, et les «fonctions» caractérisent les emplois.
Les objectifs
La réforme doit pallier différents problèmes. Premièrement, elle doit garantir le fait que les enseignants ont le diplôme adé- quat pour enseigner leur matière. La réforme vise donc une professionnalisation renforcée des métiers. Cela doit s’accompagner d’une amélioration de la paie des enseignants puisque chaque titre correspond à un barème (salaire) précis. On sort alors de toute interprétation ou flou juridique, sans compter que les intitulés des diplômes ont eux-mêmes souvent changé dans le temps, rendant difficile pour les directions l’évaluation des compétences. Deuxièmement, elle doit assurer une plus grande équité entre les enseignants, en harmonisant la réglementation d’un réseau à l’autre, mais aussi entres les filières. Il y avait, en effet, avant la réforme, certaines situations que l’on pourrait qualifier de choquantes: par exemple, les titres pour enseigner dans l’enseignement général ou en technique/professionnel n’étaient pas identiques, comme si pour ces deux dernières formes d’enseignement, des titres moins élevés ou approximatifs pouvaient suffire2. Par ailleurs, on qualifiait certains diplômes de «titres suffisants» pour enseigner dans un certain réseau, ce qui n’était pas le cas dans un autre. Enfin, la réforme vise une meilleure adéquation entre les demandes d’emploi et les offres disponibles dans les écoles. Une «Chambre de la Pénurie» est prévue par la réforme, «c’est elle qui sera chargée d’analyser les données recueillies et de trouver les raisons des pénuries, et cela, non pas toutes les X années, mais de manière continue»3 .
Le fonctionnement
La réforme définit donc quels diplômes sont nécessaires pour dispenser telle ou telle matière, pour tel ou tel niveau. Dès 1973, la révision du Pacte scolaire prévoyait la création d’un régime de titres communs. Les diplômes sont donc classés en 3 types, du plus approprié à celui qui l’est le moins: les titres requis (TR), les titres suffisants (TS) et les titres de pénurie (TP). Avec la réforme, les titres sont listés de manière exhaustive pour chaque fonction. Le site internet Primoweb, «pierre angulaire» de la réforme, informe les Pouvoirs organisateurs et enseignants et fournit des services, comme manifester sa disponibilité ou connaître les fonctions liées à un titre. Le système mis en place par la ré- forme prévoit la priorité au «primo-recrutement». Cette notion de «primo-recrutement» signifie le recrutement d’un nouveau membre du personnel ou de quelqu’un qui n’a pas assez d’ancienneté pour être temporaire prioritaire et/ou «nommable» dans sa fonction. Pour ce type de recrutement, le pouvoir organisateur doit d’abord chercher à engager un porteur de titre requis avant de se tourner vers un porteur d’un autre titre4 .
L’impact sur les enseignants
Déjà en juin, les enseignants sans titres requis, c’est-à-dire ne possédant pas le diplôme adéquat pour la fonction, s’inquié- taient de perdre leur poste. Lorsqu’on demande à Joseph Thonon, du syndicat CGSP-Enseignement, s’il y a effectivement eu perte d’emploi, il nous répond: «il semblerait qu’aujourd’hui, il y ait des cas mais ce n’est vraiment pas majoritaire. C’est un équilibre: si certains ont perdu leur poste, d’autres, qui possèdent le titre, en ont obtenu un. Ces derniers étaient bloqués par des personnes qui bénéficiaient de mesures dérogatoires, ce qui était anormal. Après, il n’y a pas de doutes sur le fait que les horaires de certains enseignants ont été très morcelés». C’est vrai que la presse, ces derniers temps, a mis à jour plusieurs témoignages d’enseignants désormais contraints de se partager entre plusieurs établissements pour conserver un horaire complet. Pourquoi? Parce qu’auparavant, un prof qui, par exemple, donnait à la fois des cours de latin, français et histoire dans un même établissement5 , doit dorénavant être remplacé par quatre enseignants différents. Lui-même doit donc aller dans plusieurs écoles pour dispenser le cours de la matière correspondant à son titre.
L’impact sur les directions
On le sait, depuis 20 ans, certaines filières, telles que le néerlandais ou les sciences, par exemple, font face à une pé- nurie de professeurs. Il n’est pas rare que des traducteurs donnent cours de langue ou des ingénieurs cours de maths. Si avant la réforme, les directions pouvaient facilement recruter des professionnels non enseignants, désormais, il faut obligatoirement avoir épuisé toutes les solutions, dans les listes des 3 types de titres acceptés, pour pouvoir faire appel à des personnes de l’extérieur. Quand une école est arrivée au bout de ses possibilités de recrutement de professeurs sur la base de données Primoweb, «l’école fait un PV de carence disant qu’ils n’ont trouvé personne. Ils peuvent alors engager des personnes sans titre dans l’enseignement», explique Éric Étienne, porte-parole de la ministre de l’Enseignement obligatoire, Marie-Martine Schyns. L’avantage: le fait d’épuiser les listes prioritaires «prouve qu’on ne lèse personne ayant le titre requis»6 . Pourtant, et c’est une critique importante depuis la mise en place de la ré- forme, les directions jugent la procédure trop longue et compliquée. En réponse, la ministre a donc prolongé jusqu’au 28 octobre la dispense accordée aux directions leur permettant de ne pas rédiger un PV de carence. En effet, depuis septembre, plusieurs mesures transitoires ont déjà un peu assoupli la réforme. Rappelons que les critiques étaient acerbes du côté de l’enseignement libre, fief historique de la ministre cdH, l’obligeant, pour ne pas perdre son électorat, à agir. Différents assouplissements ont donc vu le jour, comme la possibilité de compléter les horaires incomplets des professeurs de l’établissement du secondaire supérieur (disposant d’un master) en leur donnant des classes dans le secondaire inférieur (normalement ré- servées aux bacheliers)7 .
Inverser Primoweb
Tous les enseignants qui cherchent du travail doivent s’inscrire sur Primoweb, base de données unique dans laquelle les directions doivent aller chercher les enseignants qui correspondent à la fonction demandée. Problème: lorsqu’une école recherche un professeur, le système sort une longue liste d’enseignants disponibles, classés dans l’ordre des 3 titres. Les écoles doivent alors appeler dans l’ordre tous ces candidats, jusqu’à en trouver un qui accepte le poste ou le remplacement. «Avant, le directeur devait encoder le type de cours puis il recevait la liste de toutes les personnes encodées. C’était assez fastidieux de contacter tout le monde. L’idée est maintenant d’inverser. Ce sont les professeurs qui cherchent du travail qui verront les annonces des écoles et se proposeront à elles de manière proactive. Résultat, les écoles n’auront plus alors qu’une liste de deux - trois candidats intéressés à contacter», explique encore Éric Étienne. Un système qui devrait donc être plus simple et moins laborieux pour les directions.
Une réforme importante
Si certaines directions de l’enseignement libre fustigent leur perte d’autonomie avec cette réforme, globalement, les acteurs de l’enseignement se félicitent de la mise en place d’une telle mesure. Le syndicat CSC-Enseignement, dans un communiqué, «confirme l’intérêt et l’utilité de cette importante réforme», même si elle regrette, néanmoins, «les difficultés générées et les conséquences sur les membres du personnel». Du côté de la CGSP- Enseignement, même son de cloche, Joseph Thonon se fé- licite de la mesure même s’il a conscience que des assouplissements sont nécessaires. Parce qu’après tout, comme dit ce dernier, «ne voulons-nous pas des enseignants qualifiés pour nos élèves?».
Juliette Bossé, secteur communication
1. RTL.be, 25/10/2016.
2. www.enseignement.be/index. php?page=27705
3. RTL.be, 25/10/2016.
4. www.enseignement.be/index. php?page=27705
5. La Libre, 6/10/2016.
6. RTL.be, 25/10/2016.
7. RTL.be, 25/10/2016.